Expo : Agnès Thurnauer. Correspondances - Musée Cognacq-Jay - Jusqu'au 8 février 2026

 

L'exposition "Agnès Thurnauer. Correspondances" au Musée Cognacq-Jay éclaire l'art au féminin du XVIIIème siècle sous un angle alternatif, à l'aune des consciences modernes. La mise en regard des oeuvres du Siècles des Lumières et celles contemporaines de l'artiste franco-suisse Agnès Thurnauer initie un échange au sujet de l'héritage culturel, le matrimoine des arts et des lettres. L'évènement placé sous le double commissariat de Saskia Ooms, attachée de conservation au Musée Cognacq-Jay et l'artiste elle-même, propose une lecture alternative du rôle des femmes dans l'histoire des idées et de l'art. Pour la première fois, une artiste contemporaine intervient dans ce cadre unique consacré à une période très précise. L'abstraction conceptuelle d'Agnès Thurnauer dialogue avec l'opulence esthétique du XVIIIème siècle. "Peintre des mots", la plasticienne questionne le langage, pivot central de sa démarche, l'identité, la condition des femmes dans un contrepoint autant plastique que politique. Le contexte historique posé, la réflexion moderne sur les mots, le langage, le savoir se nourrit d'affinités esthétiques, thématiques, réflexives. Les correspondances se font résistance contre l'oubli, rétablissent les femmes, à la place qu'elles méritent dans l'histoire des pensées, des arts, des sciences.


Agnès Thurnauer - Portrait grandeur nature, Emmanuelle Kant (2025), Françoise Boucher (2025
Angelica Kauffmann - Bacchante (1784-1785)

Agnès Thurnauer - Prédelle, Now #4 (2008) Now #18 (2025) Now #11 (2010)
Canaletto - Vue du canal de Santa Chiara à Venise (vers 1730)

Agnès Thurnauer - Sleepwalker (2013) - Matrices sol (2014)
François Boucher - L'Odalisque (1743) - Attribuée à Jacques Charlier - L'Odalisque d'après François Boucher (après 1745)

François Boucher - L'Odalisque (1743)
Attribuée à Jacques Charlier - L'Odalisque d'après François Boucher (après 1745)

Agnès Thurnauer - Sans titre #1 Sans titre #2 Sans titre #3 (2010) / Matrices sol (2014)

Jean Joseph Foucou - La bacchante (après 1777)
Agnès Thurnauer - Pour Simon Hantaï (1998-2001) / Matrices Sol (2014) / Sleepwalker (2013)

La puissance critique de l'échange porté tout au long de l'exposition "Agnès Thurnauer. Correspondances " s'inscrit dans un dispositif de résonance entre les oeuvres qui vient souligner l'ambiguïté du sort réservé aux femmes au Siècle des Lumières. L'exposition affirme la légitimité des artistes, écrivaines, philosophes, scientifiques dont le travail, la pensée, l'importance ont été minimisés. 

Au XVIIIème siècle, elles ont refusé d'être cantonnées dans un rôle de modèle, de muse pour devenir actrices d'une émancipation radicale, à l'instar d'Angelica Kauffmann, l'une des portraitistes les plus célèbres de son temps. Ses consœurs Elisabeth Vigée Le Brun et Adélaïde Labille-Guiard sont parmi les premières femmes à intégrer l'Académie royale des beaux-arts en 1783. Par leur formation artistique officielle, elles accèdent à un statut nouveau qui les autorise à faire œuvre de transmission. Désormais, les femmes intègrent les cours prestigieux auprès des hommes mais elles organisent aussi leurs propres ateliers, enseignent, se représentent les unes les autres. 

Le récit officiel de l'histoire des arts et des sciences, écrit par les hommes, aurait aimé reléguer les femmes à la sphère domestique, condamnant à l'oubli les figures majeures de leur époque par un phénomène d'invisibilisation. Au XVIIIème siècle, le contexte rend possible l'émancipation par le savoir. Les Lumières posent les premiers jalons d'un renouveau, d'engagement et de transmission. C'est la grande époque des salons littéraires animés par des femmes, l'écrivaine philosophe Madame de Staël, la peintre Elisabeth Vigée Le Brun, Juliette Récamier, Thérésa Tallien...

Agnès Thurnauer étudie la façon dont la langue structure la pensée et dessine les contours du monde. Sa perception prend forme dans des jeux de correspondances entre images et textes, typographie et éléments picturaux.

Dans la série des "Portraits grandeur nature", la plasticienne féminise les noms des acteurs de l'art et de la pensée, notamment le XIXème et le XXème siècles "Annie Warhol", "Marcelle Duchamp", "Francine Bacon". Pour l'exposition qui se tient au Musée Cognacq-Jay, elle revisite le XVIIIème siècle avec "Françoise Boucher" et "Emmanuelle Kant".

La "Vue du canal de Santa Chiara" (vers 1730) du Canaletto, paysage classique du temps suspendu s'inscrit dans un flottement mémoriel de carte postale figé. Agnès Thurnauer capture l'azur du ciel qu'elle transmet à son oeuvre de la série Prédelles "Now 11" (2014). Le mot résonne telle une injonction, invitation à appréhender l'art dans l'instantanéité du moment, une expérience du temps différente. 


Jean-Honoré Fragonard - Perrette et le pot au lait (vers 1770)
Agnès Thurnauer - Prédelle Now #13 (2025)

Agnès Thurnauer - Into Abstraction (2013)


Atelier de Joshua Reynolds - Portrait de Mrs Richard Bennett Lloyd of Maryland (entre 1775 et 1800)
Agnès Thurnauer - Prédelle translation (2018)

Agnès Thurnauer - Prédelle language (2017)

Tableau de commande, François Boucher aurait pris son épouse pour modèle de son "Odalisque" (1745), corps érotisé, objectivé, offert à la concupiscence du commanditaire, libertin de funeste réputation. Agnès Thurnauer place en regard "Sleepwalker" (2013), oeuvre introspective, où elle se représente, silhouette nue de dos et toile parcourue de mots. Par les artifices du langage, elle redonne le pouvoir au corps dénudé, renverse la domination pour redevenir sujet.

La série "les Matrices", inspirée des premiers supports d'écriture, des tablettes d'argile datant de 3500 avant JC, retrouvées en Mésopotamie, interroge les clés du langage. Les lettres en plâtre, formes en creux, bousculées, privées de leur ordonnancement forment un alphabet fragmenté, promesse d'un nouveau sens. 

Le tableau "Perrette et le pot au lait" (vers 1770) de Jean-Honoré Fragonard, fétichise une situation de maladresse et d'humiliation. La maladresse de la jeune femme révèle ce que sa pudeur dissimulait. Le rire des spectateurs qui assistent à la scène - hommes égrillards aux joues rubicondes - ravive sa honte. Le triptyque "Into Abstraction" (2013), signé Agnès Thurnauer, dessins d'après photographies, répond à l'oeuvre de Fragonard par l'idée d'un corps en mouvement, dans l'énergie d'une chorégraphie, de la performance. La femme représentée est investie dans la vitalité du sujet actif, la maîtrise du scénario et de sa chair. 



Adélaïde Labille-Guiard - POrtrait de femme (vers 1787)
Agnès Thurnauer - Table-page (2015)

Agnès Thurnauer - Tablette #32 (2024)
Marie-Anne Loir - Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (vers 1745) 

Agnès Thurnauer - Matrices sol (2021)

Agnès Thurnauer - Tablette #31 - Matrices Assises (2013)

"Portrait d'Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet" (Seconde moitié du XVIIIème siècle), représente une pionnière des sciences, peinte à sa table de travail par un artiste anonyme de l'école française. Mathématicienne et physicienne d'envergure, commentatrice et traductrice des travaux d'Isaac Newton célébrée de son vivant, de nos jours, Mme du Châtelet est plus connue pour avoir été la compagne et la mécène de Voltaire durant quinze années. 

La série Prédelles d'Agnès Thurnauer se compose de diptyques qui soulignent les structures du langage et prend pour principe fondateur un jeu de mot "près d'elle", homophonie ouverte au double sens. La plasticienne souligne le lien entre la connaissance et les mots. "Prédelle (language)" (2017) représente un planisphère. Cette oeuvre ouvre un espace de réflexion sur la place des femmes sur la scène scientifique, artistique et leur invisibilisation. 

Agnès Thurnauer invite à se réapproprier la mémoire confisquée et redonne la parole aux pionnières, célébrées en leur temps, mais désormais souvent oubliées, méconnues.

Agnès Thurnauer Correspondances
Jusqu'au 8 février 2025

Musée Cognacq-Jay
8 rue Elzévir - Paris 3
Tél : 01 40 27 07 21
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Carl Van Loo - Portrait de femme tenant un livre
Agnès Thurnauer - Prédelle alphabet (2018)
Elisabeth Vigée Le Brun - Portrait de Marie-Louise-Adélaïde-Jacquette de Robien, vicomtesse de Mirabeau (1774)