Dans un futur proche, aux États-Unis, la pollution a pris une telle ampleur que la natalité a drastiquement chuté. La bigoterie d'extrême-droite a pris le dessus et le pays, désormais République de Gilead, a basculé vers une théocratie autoritaire. L'instauration de ce nouveau régime conservateur autocratique a privé les femmes de tous leurs droits. Elles sont désormais divisées en castes aux fonctions spécifiques : les Épouses, femmes des Commandants, élite de la société, les Marthas dévolues aux tâches domestiques, les Servantes, dernières femmes fertiles esclaves reproductives au sein des foyers privilégiés, les Tantes en charge de la formation des Servantes avant leur entrée dans les maisons. Les Éconofemmes, épouses des hommes pauvres, assument ces trois fonctions auprès de leur mari. Les Jézabel, prostituées illégales exercent dans des lupanars clandestins fréquentés en secret par les hommes des classes supérieures. Les rebelles, les infertiles, les trop âgées sont envoyées vers les Colonies, zones dévastées hautement polluées où promises à une mort rapide, elles sont chargées du traitement de déchets toxiques.
Les Servantes écarlates, drapées dans des uniformes de moniales, vivent sous une surveillance continuelle, précieux véhicule de perpétuation de l'espèce. Devenues bien matériel, elles sont envoyées dans les foyers des Commandants méritants. Chaque mois, elles font l'objet d'un viol rituel de procréation de la part du maître de la maison, en présence de son Épouse. Dans cette nation masculiniste, l'absence de fertilité d'un couple est toujours considérée comme la faute de la femme. Defred - Offred en version originale autrefois s'appelait June. Contrainte au statut de Servante pour avoir donné naissance à une petite-fille en pleine santé, les autorités lui ont arraché jusqu'à son identité. Elle n'est plus que la propriété de Fred Waterford.
Le roman dystopique culte de Margaret Atwood, publié en 1985 au Canada puis traduit en 1987 en France, a fait l'objet de nombreuses adaptations, cinématographique, scénique et depuis 2017, en série. Atmosphère asphyxiante de fin du monde, sentiment prégnant de claustrophobie, la narration emprunte la voie du monologue intérieur, de Defred. Entre horreur du quotidien, banalité du mal, elle s'interroge sur les débuts du régime autoritaire tandis qu'elle se raccroche à ses souvenirs, son passé où elle avait encore un prénom June, un mari Luke, une fille enlevée par le régime, une meilleure amie Moira, une mère. Cette mémoire entretient une force vitale qui la préserve de sombrer dans la folie avec l'espoir de révolte, d'émancipation et l'idée de retrouver son enfant.
Margaret Atwood image une évolution des moeurs, sous le joug d'une idéologie fanatique, d'un pouvoir religieux répressif. Elle dit le trauma collectif de l'asservissement et la conscience individuelle de ces femmes esclaves sexuelles, réduites au silence, séquestrées, abusées. Elle décrit des scènes insoutenables d'agressions sexuelles, des séances d'embrigadement, de lavage de cerveau. Les situations se révèlent d'autant plus troublantes que de nombreux éléments sont directement empruntés à l'histoire de la condition des femmes.
Ce roman d'anticipation porteur d'une critique sociale affûtée entre en écho avec la réalité de notre monde actuel, remise en question des droits des femmes, l'horreur en Afghanistan, révision du droit à l'avortement aux États-Unis, amplification du dogmatisme religieux, montée en puissance des extrêmes. De nos jours, leur discours conservateur réactionnaire emprunte les motifs de souveraineté démographique et encouragent les politiques natalistes. Histoire de pouvoir, d'insoumission, de résilience, de sororité pas évidente, "La servante écarlate" nous alerte sur les dérives possibles, la fragilité des acquis et la nécessaire perpétuation des luttes.
La servante écarlate - Margaret Atwood - Traduction Sylviane Rué - Éditions Robert Laffont - Pavillons Poche
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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