Né en 1988, Young, désormais trente-deux ans, se souvient de sa jeunesse à Séoul. À vingt ans, étudiant en littérature, il vit en colocation avec sa meilleure amie Jaehee, rencontrée à l'université. De cette vie commune, les autres déduisent qu'ils forment un couple. Mais Young est homosexuel. Il préfère éviter de le révéler dans une société conservatrice qui discrimine les minorités. Young et Jaehee font la fête, expérimentent les excès. Ils multiplient les relations sans lendemain. Young bien décidé à croquer la vie à pleine dents va de conquêtes faciles en amants d'une nuit. Il se laisse séduire par le propriétaire d'une voiture tape-à-l’œil symbole de statut de social, puis par un timide étudiant ingénieur. Dans un atelier de philosophie, il fait la connaissance d'un homme de trente-huit ans qui n'assume pas son homosexualité. Ils nouent une relation passionnée marquée par la honte et l'incompréhension. Young entretient des rapports complexes avec sa mère, chrétienne traditionnaliste, dans le déni de l'orientation sexuelle de son fils unique. Elle est malade d'un cancer. Young passe beaucoup de temps à l'hôpital auprès d'elle alors qu'elle fait face à de nombreuses rechutes au fil des ans.
Roman générationnel à hauteur d'homme, "S'aimer dans la grande ville", publié en 2019, a connu un grand retentissement en Corée du Sud puis dans ses différentes traductions à l'étranger, notamment une sélection pour le Man Booker Price 2022. Le livre a fait cette année l'objet d'une adaptation en film puis en série sous le titre de "Love in the Big City". Écriture alerte, narrateur attachant, Sang Young Park fait entendre une voix vibrante pour incarner une émouvante jeunesse qui a soif d'émancipation face la société traditionnaliste. Il dit, en tant que jeune gay, le poids des traditions, la violence et le rejet, le harcèlement dès l'école, la faible estime de soi, la solitude, les pensées suicidaires et les conduites à risque. Dans cette description des difficultés rencontrées par sa génération, le romancier aborde frontalement les aspects négatifs d'un hédonisme forcené frappé de consumérisme qui s'oppose au monde d'hier, de sacrifices consentis par les aînés afin de redresser l'économie du pays au lendemain de la Guerre de Corée (1950-1953) et la scission du pays.
Dans cette autofiction sensible, Sang Young Park évoque quatre épisodes de sa vie, dans un récit intimiste marqué par la quête de l'amour. Il porte un regard lucide sur cette vie sentimentale chaotique, préférant l'autodérision à l'autoapitoiement. Avec une ironie savoureuse, il décrit les mésaventures de son double de fiction et la découverte d'une vocation d'écrivain, les premiers textes publiés, distingués par un prix prometteur ainsi que les galères. Il évoque les difficultés à trouver des emplois alimentaires pour subvenir à ses besoins, aborde les moments difficiles sur le ton de la satire. Le personnage Young ne parvient pas à faire son coming out, à se confier à sa mère parce qu'elle l'a envoyé chez un psy adepte des thérapies de conversion alors qu'il était encore adolescent.
Sous des abords légers que la mélancolie prégnante vient diluer, Sang Young Park creuse des sujets sociétaux majeurs et interroge l'avenir de la Corée du Sud, l'évolution des mœurs. Depuis la sortie du livre, l'avortement a été dépénalisé en Corée du Sud. Les campagnes de prévention contre les IST et plus particulièrement le VIH se sont amplifiées. La Prep, traitement préventif, s'est généralisée.
S’aimer dans la grande ville - Sang Young Park - Traduction Kyungran Choi et Pierre Bisiou - Éditions La Croisée - Rentrée littéraire 2024
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