Lundi Librairie : Gypsy. Mémoires - Gypsy Rose Lee - Éditions Aux Feuillantines - Collection Destins singuliers

 


Rose Louise Hovick, connue sous le nom d'artiste Gypsy Rose Lee, naît le 8 janvier 1911 à Seattle. Sa soeur cadette, June, future actrice June Havoc, en 1912. Leurs parents divorcent en 1915. Rose Thompson Hovick, la mère, manager de talents, monte une troupe itinérante de danseuses. Ensemble, elles sillonnent les routes américaines, traversent les régions les plus rurales, Michigan, Ohio, Oregon, en compagnie de toute une ménagerie. Les deux filles de Rose, encore petites, Gypsy Rose et June, sont les clous du spectacle et s'illustrent par des performances de danse, claquette, saynètes de vaudeville, sketches. La mère falsifie souvent des documents officiels, notamment des certificats de naissance, pour contourner les lois au sujet du travail des enfants ou bien obtenir des réductions transports ferroviaires. Vie à la marge et système D, la bohème américaine, elles connaissent la précarité, les campements de fortune, les motels crasseux, les salles miteuses.

Gypsy, moins douée que sa soeur pour la danse ou la comédie, trouve sa vocation effeuilleuse par hasard. Lors d'un numéro, elle a alors dix-huit ans, l'enthousiasme du public à la suite d'un accident vestimentaire, incident au cours duquel une bretelle rebelle révèle plus que prévu, lui inspire un tout nouveau tour de danse. Elle mêle esprit coquin et nudité. C'est le succès, elle gagne Broadway. Un manager impresario improvisé la prend sous son aile, bootlegger local, figure influente de la pègre, qui finit sa vie à Alcatraz. Gypsy Rose Lee se produit dans les cabarets les plus fameux de l'époque, les Ziegfeld Follies, le Minsky 

Au début des années 1940, la mère tient une maison "February House" où vit une communauté d'artistes, Carson McCullers, W.H Auden, Britten, Jane et Paul Bowles. Sous leur influence, Gypsy Rose se lance en littérature. Elle rédige un premier ouvrage, un polar pulp, parodie de roman noir en 1941, "Mort aux femmes nues" adapté au cinéma suivi d'un second "Madame mère et le macchabé". Par la suite à Hollywood, Gypsy Rose Lee obtient de petits rôles. Elle entretient une liaison avec le réalisateur Otto Preminger. De 1965 à 1968, elle anime une émission de débats à la télévision locale, KGOTV de San Francisco, The Gypsy Rose Lee Show. Au cours des 754 épisodes, elle reçoit Judy Garland, Agnes Moorehead, Jayne Mansfield, Woody Allen... Elle s'éteint en 1970, emportée par un cancer du poumon.

Figure oubliée, célébrée par ses contemporains John Steinbeck, Henry Miller, le poète Delmore Schwartz, Gypsy Rose Lee (1911-1970) a été une artiste burlesque aux innombrables talents romancière, comédienne, chanteuse, scénariste. La flamboyante saltimbanque se distingue par son numéro d'effeuillage qui la consacre reine du music-hall newyorkais, étoile de Broadway. Ses Mémoires publiées en 1957, adaptées en comédie musicale à Broadway en 1959 dans une mise en scène de Jerome Robbins, portées à l'écran en 1962 avec Natalie Wood dans le rôle-titre, sont traduites pour la première fois en France aux Éditions Feuillantines. Un texte de Joseph Kessel, "La Rose nue" préface le recueil, auquel s'ajoute une postface d'Erik Lee Preminger son fils ainsi qu'un important corpus de photographies et de documents. 

Existence romanesque à rebours de la morale puritaine, Gypsy Rose Lee fait preuve de courage, d'intelligence, de persévérance. Par ses talents de conteuse, elle enjolive, édulcore et nous captive. Elle nous fait rire et rêver, sans pourtant dissimuler la noirceur des milieux où elle évolue, les mésaventures et la violence, l'adversité et la réalité sociale. Femme indépendante de caractère, elle donne ses lettres de noblesse à la profession de stripteaseuse, souvent condamnée pour outrage aux bonnes moeurs. Gypsy invente un numéro très différent, où l'humour, l'esprit, la suggestion prennent le pas sur la crudité des chairs. 

Dans ses mémoires, elle raconte la Prohibition (1920-1933) période durant laquelle les lois interdisent la fabrication, le transport, la vente, l'importation et l'exportation de boissons alcoolisées, l'essor de nouvelles fortunes, l'importance de la pègre et des bootleggers contrebandiers et moonlighters, fabricants de spiritueux clandestins. Elle évoque par l'incarnation les périodes difficiles de l'histoire des États-Unis, le krach boursier de 1929 et la crise économique terrible qui frappe le pays. La Grande Dépression voit l'effondrement de la production industrielle, l'expansion du chômage, les familles jetées sur les routes et sans-abris, la misère et la ruine des fermiers. 

Verve pétulante et personnalité délicieuse, femme dans un monde d'hommes, son récit nous plonge dans l'univers de l'industrie du divertissement. Gypsy Rose nous entraîne dans les coulisses de Broadway et l'Âge d'or du cinéma hollywoodien. Les anecdotes et son bagou soulignent les cocasseries mais le tableau général donne le ton, les producteurs omnipotents, le statut des artistes en particulier des femmes. Passionnant, inspirant.

Gypsy. Mémoires - Gypsy Rose Lee - Traduction Vianney Aubert - Éditions Aux Feuillantines 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.