Théâtre : Naïs, d'après Émile Zola et Marcel Pagnol - MES Thierry Harcourt - Avec Arthur Cachia, Marie Wauquier - Le Lucernaire - Jusqu'au 30 juin 2024

Crédit Philippe Dayries 

Naïs vit sous la coupe de son père, Micoulin, veuf atrabilaire, métayer provençal. Elle s'éprend de Frédéric Rostaing, le fils des propriétaires aixois, venu passé les vacances d'été avec sa mère à la campagne. Le garçon de la ville, séducteur promis à un bel avenir, et la jeune paysanne qui rêve d'amour et d'émancipation sont surpris par Toine, le valet de ferme bossu. Celui-ci devient le complice de leur idylle, déchiré entre son amitié pour Frédéric, ses sentiments secrets pour Naïs qu'il n'a jamais avoué par honte de son infirmité et sa loyauté envers le père Micoulin. Lorsqu'il découvre le pot aux roses, ce dernier décide de venger son honneur.




Le film "Naïs", réalisé en 1945 par Marcel Pagnol et Raymond Leboursier, est une adaptation pour le grand écran d'une nouvelle signée Émile Zola. "Naïs Micoulin", texte écrit en 1883, proposait néanmoins une chute beaucoup plus dramatique. Pour cette première création de la jeune compagnie "Les fautes de frappe", Arthur Cachia transpose le scénario de Pagnol sur les planches avec une pièce créée à l'occasion du festival d'Avignon 2023. Thierry Harcourt imagine une mise en scène minimaliste au dispositif épuré, plateau vide à l'exception d'un escabeau. Ce parti pris fait la part belle à l'interprétation. La Provence s'incarne dans les accents chantants.

Pièce vibrante d'humanité, les protagonistes sont traversés par tout un panel de sentiments de l'amour au désespoir en passant par l'aigreur et la résignation. Sous couvert d'humour et de comédie romantique, cette partition sensible développe des thématiques sociétales sérieuses, les rapports de classe, l'incommunicabilité fruit des différences de condition sociale. La ville et la bourgeoisie affrontent la campagne et le monde ouvrier paysan dans une interrogation aigue des déterminismes sociaux. Le personnage de Madame Rostaing, mère aussi aimante qu'envahissante de Frédéric contraste avec celui du père austère et violent de Naïs. 

Les comédiens généreux manifestent un bel esprit de troupe et font preuve d'une énergie communicative. Arthur Cachia, remarquable prête ses traits à Toine, le pur au grand coeur qui souffre de son infirmité. Marie Wauquier incarne Naïs, entre insouciance solaire de la jeunesse et détermination. Kevin Coquard est un Frédéric Rostaing séduisant et trouble. Patrick Zard dans le rôle du père Micoulin, acariâtre, brutal, rustique, donne beaucoup d'intensité aux relations conflictuelles entre le père et la fille. Lydie Tison dans le rôle de Madame Rostaing et Clément Pellerin sous le costume de différents personnages complètement une distribution très inspirée. 

La pièce remet en question les valeurs d'une société traditionnelle, l'emprise patriarcale, les enfants contraints de se soumettre aux desiderata des parents et vient finement aborder le sujet des violences physiques et morales. Le metteur en scène situe l'intrigue dans les années 1970 ce qui place en exergue le sujet de la condition des femmes, la chasteté des filles et l'honneur de la famille qui en dépend. La libération des moeurs de l'époque permet d'envisager une fin plus optimiste que celle écrite par Zola. Critique sociale d'une singulière modernité, un joli moment de théâtre.

Naïs, d'après Émile Zola et Marcel Pagnol
Jusqu'au 30 juin 2024
Du mercredi au samedi à 18h30 - Dimanche à 15h

Mise en scène Thierry Harcourt
Avec Arthur Cachia, Kevin Coquard, Clément Pellerin ou Simon Gabillet, Lydie Tison, Marie Wauquier et Patrick Zard
Musique Tazio Caputo
Lumières Thierry Harcourt
Costumes Françoise Berger et Yamna Tison
Chorégraphie Bénédicte Charpiat
Production Les Fautes de Frappe
Coproduction Black Bird Prod
Soutiens Adami, Imprimerie Wauquier

Le Lucernaire 
53 rue Notre-Dame-des-Champs - Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.