Théâtre : La dernière nuit de Don Juan, d'après Edmond Rostand - Adaptation et mise en scène Maryse Estier - Studio-Théâtre de la Comédie Française - Jusqu'au 7 juillet 2024

Crédit Vincent Pontet


Don Juan a obtenu un sursis de dix années auprès du Diable. Aujourd'hui, il doit faire face à son destin. Réfugié à Venise, le dévoué Sganarelle à ses côtés, le libertin mène l'existence de débauche dont il est coutumier. Un soir, le Malin lui apparaît sous les traits d'un marionnettiste grimé en Polichinelle qui rejoue en tournant en dérision les faits de gloire dont se vantent tant le grand seigneur. Piqué, Don Juan se rapproche, engage une joute verbale avec le Diable à laquelle vient se mêler l'Ombre blanche, le fantôme des "mile e tre" conquêtes. Bien loin de se comporter en femme bafouée, humiliée, celle-ci parvient à désarçonner le séducteur et remettre en question les principes de sa vie. Au cours de sa dernière nuit sur terre, celui qui a toujours voulu s'émanciper des codes imposés par la société, de toute morale, est confronté à sa propre humanité vacillante. 




Maryse Estier, ancienne membre de l'académie de la Comédie Française, adapte avec sobriété un texte méconnu, poème dramatique posthume et inachevé d'Edmond Rostand. La modernité précise de la mise en scène en souligne toute l'ironie mordante, la férocité iconoclaste, l'irrévérence. La scénographie de Lucien Valle, vaste fresque en fond de plateau, curieux rochers dispersés, évoque un palais vénitien, jouant avec malice sur les anachronismes.

Sorte d'épilogue au Festin de pierre, "La dernière nuit de Don Juan", variation classique autour de la figure du séducteur impénitent déconstruit le mythe. La vanité perd Don Juan. Dans sa fuite en avant, il ne peut reculer devant les sursauts de la conscience. Le temps de l'expiation est venu. Au seuil de sa vie, il est contraint par ses interlocuteurs de faire face à la vacuité d'une existence dépourvue de sens. S'il se défend de sa morgue légendaire, peu à peu les rapports de force basculent pour mieux renverser les archétypes et les clichés. Les hauts faits d'arme amoureux, les victoires remportées sur la vertu des femmes ne sont que des illusions. Elles se sont jouées de lui. Il n'a été qu'un pion berné par ses conquêtes. 

Le quatuor d'interprètes inspirés donne vie à ce drame des certitudes bousculées, de l'hubris frappé par la réalité. Baptiste Chabauty est délicieux en Don Juan imbu de lui-même, manipulateur épris du personnage qu'il s'est forgé. Tour à tour élégant, séduisant, puis déstabilisé, il fascine en homme fragilisé, en cliché masculin ébranlé par sa perte de repères. Tout d'orgueil et de désinvolture, il refuse encore de se repentir. Fatale arrogance, illusion de puissance, ultime défi lancé à la vie, à Dieu, au Diable, il négocie. Espoir d'échapper une nouvelle fois à son sort chevillé au corps. Ces interlocuteurs vont lui prouver qu'il n'est rien, un jouet du destin. Au bout de la nuit, superbe mise à mal, ne l'attend que le verdict final, la terrible punition. Bakary Sangaré, dans le rôle de Sganarelle, lucide mais fidèle,  

Précis, réjouissant, Jordan Rezgui prête ses traits à un Diable philosophe, sombre, aussi malicieux qu'impitoyable. Edith Proust, nouvelle pensionnaire du Français, brille dans le rôle de l'Ombre blanche, sorte d'éternel féminin, ni moralisatrice ni mauvaise conscience taraudante, porte-parole des amours défuntes. Elle questionne, fait vaciller les certitudes dans une interprétation incarnée, sensible. 

La dernière nuit de Don Juan, d'après Edmond Rostand
Jusqu'au 7 juillet 2024
Du mercredi au dimanche à 18h30

Adaptation et mise en scène : Maryse Estier
Avec Bakary Sangaré, Baptiste Chabauty, Jordan Rezgui, Edith Proust
Voix des Mille et trois ombres : Françoise Gillard, Anna Cervinka, Danièle Lebrun et Lena Tournier Bernard de l’académie de la Comédie-Française
Scénographie et lumières : Lucien Valle
Costumes : Anaëlle Misman
Musique originale et son : John Kaced
Marionnettes : Adèle Collé

Studio-Théâtre de la Comédie Française 
Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée
99 rue de Rivoli – Paris 1
Location : 01 44 58 15 15 du mercredi au dimanche 14h-17h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.