Expo Ailleurs : Toni Grand. Morceaux d'une chose possible - Musée Fabre Montpellier - Jusqu'au 5 mai 2024

 


"Toni Grand. Morceaux d'une chose possible", exposition monographique au Musée Fabre de Montpellier, rend hommage à l'une des figures majeures de la sculpture contemporaine. Proche du groupe Supports/Surfaces sans jamais l'intégrer, Toni Grand (1935-2005) s'attache à déconstruire le principe même de la sculpture traditionnelle. Il ne se plie à aucun dogme, refuse les concepts. Son oeuvre, dont l'événement montpelliérain vient donner les clefs essentielles, s'inscrit dans le mouvement naturel d'une production artisanale. Au fil de son inspiration, il embrasse le geste humble de l'artisan ancré dans un savoir-faire ouvrier. Humour, efficacité, économie de moyens et matériaux pauvres, la main de l'artiste façonne la simplicité de la forme, célèbre la force du geste. Toni Grand explore les possibilités des matériaux. Ses expérimentations formelles portées par un souffle libertaire témoignent d'un processus entre intervention minimaliste et puissance de la composition. Il assemble des segments variés, configure le bois taillé, l'acier, la pierre, la résine dans laquelle il fige des éléments organiques pétrifiés. Os, poissons s'enveloppent de strate de polyester. Par ce processus mémoriel décalé, utilisation de matériaux inédits, et invention de formes alternatives, il renouvelle le vocabulaire plastique, bouscule les codes artistiques. 

Les quatre salles de l'exposition "Toni Grand. Morceaux d'une chose possible" reviennent à travers un parcours chronologique sur les périodes fondatrices, les grandes étapes de sa création depuis les premières étapes du "bricolage sans importance", puis les séries d'éléments organiques fossilisés dans la résine, jusqu'à ses recherches sur un art dénaturé par la géométrie et l'intégration de machines industrielles. La rétrospective orchestrée par Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine et directeur du Musée Fabre, commissaire général, ainsi qu'Olivier Kaeppelin, écrivain et critique d’art et Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice du patrimoine, responsable des collections modernes et contemporaines du Musée Fabre, réunit soixante-dix œuvres.








Fils d'agriculteur, Toni Grand passe son enfance dans le Gard, la Camargue. Après de brèves études de philosophie à Montpellier, suivies d'une année aux Beaux-Arts, il débute la sculpture en 1955. En 1958, durant Guerre d'Algérie (1954-1962), il est intégré à un commando qui pratique la torture. Transféré par la suite dans une ferme isolée de l'Atlas, il pratique la sculpture pour surmonter le trauma, refuge psychologique salutaire. Sa pratique se rapproche alors de l'art brut, l'art naïf. De retour en France, il passe un diplôme de maître de berger et vit au mas du Mouton à Mouriès. En 1961, il épouse Amélie Vasseur rencontrée lors de son passage aux Beaux-Arts de Montpellier. Son travail est exposé pour la première fois lors de la Biennale de Paris de 1967. Parmi les oeuvres de la série "Prélèvements", l'une des pièces "Morceau d’une chose possible" qui donne son titre à l'exposition qui se tient au Musée Fabre.

De 1967 à 1975, Toni Grand expérimente le dépouillement de la forme géométrique dont la rigueur est perturbée par la spontanéité de lignes imparfaites. Il choisit les matériaux pauvres, le bois ramassé autour du mas sur lequel il exerce des modifications minimales, vides et pleins soulignés. Importance de l'affect, de la sensibilité, de la fantaisie, il traduit une pulsion de vie dans une approche voisine de celle de l'ouvrier menuisier, à rebours de l'aridité conceptuelle de ses contemporains. Il n'appartient à aucune chapelle. De ses expérimentations surgissent des écorces détachées de leurs troncs, des palissades forestières.








Sensible aux expositions françaises des artistes minimalistes américains présentés en 1968 au Grand Palais et en 1969 à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, sa pratique évolue. Bientôt le plomb, l'acier et l'aluminium prennent forme, pièces en acier découpé, éléments de plomb. Le bois modifié évolue association avec de l'argile, de la résine, complété par des compositions d'acier, avec de l'argile, de la résine. Les colonnes tranchées évoquent la possibilité des ruines antiques

Toni Grand découvre le mouvement Supports/Surfaces en 1968 à l'occasion de l'exposition de l'ARC au musée d'Art moderne de Paris. Il expose dans le Sud avec le groupe sans pour autant l'intégrer tout à fait. Il enseigne à l'École des Beaux-arts de Paris jusqu'en 1976, puis à Marseille. En 1982, Toni Grand représente la France lors de la Biennale de Venise, avec Simon Hantaï. Le rayonnement de son travail à l'international se traduit par des expositions personnelles d'envergure en France au Centre Pompidou en 1986, au Musée d’art contemporain de Lyon en 1989, au Musée Rodin en 1990, aux Galeries nationales du Jeu de Paume en 1994 ainsi qu’à l’étranger Vienne, Londres ou encore Chicago. Il enseigne à l'École des Beaux-arts de Nîmes à partir de 1986. 









En 1987, Toni Grand restaure une sculpture de bois brisée. Il s'inspire de la technique traditionnelle de la "colle à poisson" et imagine une réparation incongrue. Il embaume une anguille dans le formol et la recouvre de résine de polyester, sorte d'ambre artificiel. Avec cet élément, il réassemble les deux morceaux de la sculpture originelle. Il s'agit de la première pièce d'une série d'une soixantaine d'œuvres qui intègrent des poissons, anguilles, congres, carpes. 

Toni Grand fossilise le vivant dans un processus suggestif, l'ajout de matériaux organiques inattendus figé dans la résine, "un moment de décomposition qui dure". Il prolonge ses essais sur des carcasses et têtes de vachettes. Dans le cadre de l'oeuvre "Cheval majeur", titre emprunté à une sculpture de Raymond Duchamp-Villon, forme stylisée croisement entre le cheval au galop et le train en marche, il initie un rite funéraire d'embaumement. Il enveloppe la dépouille de son propre cheval, mort quelques temps auparavant dans un cocon de résine rougie.








Par la suite, Toni Grand annonce l'effondrement de la société du spectacle. Il détourne la nature de l'art par le biais d'une géométrisation des formes, multiplication de cubes ouverts dont les montants sont conçus en poissons et bois. Il dénonce le productivisme capitaliste en employant des machines-outils à l'instar de l'oeuvre "Genie Superlift Advantage" (1999) où un élévateur industriel devient tuteur et socle d'une sculpture en bois peint. 

Toni Grand. Morceaux d'une chose possible 
Jusqu'au 5 mai 2024

39 boulevard Bonne Nouvelle - 34000 Montpellier 
Tél : +33 (0)4 67 14 83 00
Horaires : Du mardi au dimanche de 10h à 18h - Fermé le lundi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.