Lundi Librairie : Billy Wilder et moi - Jonathan Coe



Calista, compositrice de musique de films, aujourd'hui quinquagénaire, vit à Londres avec son époux et leurs deux jumelles. Alors que les filles prennent leur indépendance et partent découvrir le monde, Calista se souvient de ses propres vingt ans. En 1975, elle quitte son Athènes natale le temps d'un long voyage qui la conduit à Los Angeles. Hasard des circonstances, Calista qui ne connait rien au septième art est invitée au restaurant à la table du cinéaste Billy Wilder et de son co-scénariste I.A.L. Diamond. Les deux hommes, en plein écriture du film "Fedora", film testament, avant-dernier du réalisateur, s'intéressent aux goûts de la jeunesse et se demandent si les films de Spielberg et Coppola sont vraiment les seuls qu'ils ont envie de voir. Calista séduit Billy Wilder par sa fraîcheur, sa naïveté. La jeune Grecque est embauchée en tant qu'interprète et assistante sur le tournage de "Fedora qui débute sur l'île de Corfou. Elle suit l'équipe à Munich, en Allemagne puis à Paris.

Roman initiatique nostalgique, "Billy Wilder et moi" évoque avec sensibilité la fin de l'âge d'or hollywoodien, l'obsolescence de l'ancien cinéma. Il traduit toute l'admiration de Jonathan Coe pour le réalisateur d'"Assurance sur la mort" (1944), "Sabrina" (1954), "Sept ans de réflexion" (1959), "Certains l'aiment chaud" (1959), "La garçonnière" (1960), "Irma la douce" (1963). Critique cinéma pour la presse britannique, biographe d'Humphrey Bogart, Coe rend un hommage vibrant, incarné traversé par l'inquiétude d'un artiste au destin tragique. Ce portrait du Billy Wilder (1906-2002), au crépuscule de sa carrière, emprunte aux oeuvres du cinéaste sa causticité piquante, sa drôlerie, son acidité humaniste. Le réalisateur empruntait la voie de l'humour pour mieux aborder les maux de la société, les thèmes polémiques sous couvert de comédie. L'écrivain reprend ce pas de côté avec inventivité et lucidité pour dire la poésie et le désespoir, ceux de films romantiques, décalés, subtils. 

Romancier cinéphile, Jonathan Coe trouve la distanciation nécessaire pour se détacher de la pure biographie. Il aborde l'histoire par le biais d'une sympathique narratrice, tout d'abord jeune fille béate d'admiration devant un Billy Wilder en plein doute, boudé par les grands studios américains, devenue plus tard compositrice pour le cinéma. Jonathan Coe a réuni une abondante documentation, témoignages et archives, mené des entretiens avec les membres de l'équipe de tournage. Les dialogues bien menés, enrichissants, nourris pas des personnages attachants, valorisent ce travail en amont. Le film "Fedora" (1978) avec Marthe Keller et William Holden se trouve au coeur du dispositif narratif. Tourné en Europe et monté avec des capitaux allemands, salué par la critique mais boudé par le public, il est depuis devenu depuis culte. L'impossible retour d'une star hollywoodienne déchue qui vit recluse, loin des regards, pour entretenir le mythe de la jeunesse éternelle devient récit allégorique de la fin d'une ère.

Pour évoquer le drame de la Shoah dans un retour poignant aux origines, Jonathan Coe imagine un dispositif romanesque, un scénario fictif au sujet du destin tragique de la famille de Billy Wilder. Né au début du XXème siècle, à Sucha, actuel territoire de la Pologne, alors territoire de l'Empire austro-hongrois, dans une famille d'origine juive, Billy Wilder, s'installe à Berlin des années 1930. Il rédige alors des histoires pour les journaux, quelques articles, des romans feuilletons et commence d'écrire pour des scénaristes du cinéma muet. Contraint à l'exil par la montée au pouvoir d'Adolf Hitler, Billy Wilder réside tout d'abord à Paris puis quitte l'Europe pour les États-Unis, où il retrouve son frère, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Il est embauché par les studios hollywoodiens. Sans aucune nouvelle de sa famille, sa mère, son beau-père et sa grand-mère, il fait face au trauma et à l'incertitude dans l'espoir d'une forme de résilience. À l'occasion du documentaire "Death Mills" (1945), Billy Wilder visionne des milliers d'heures tournées par les Alliés à la libération des camps de la mort nazis. Il y découvre la preuve du génocide, la trace des morts, les survivants, l'horreur. Parmi les ombres, il recherche en vain les silhouettes de ses proches. 

Par le biais de cette perspective romanesque, Jonathan Coe convoque la douleur du temps qui passe, les liens familiaux indéfectibles, les blessures inguérissables. Il livre un roman émouvant intelligent plein de tendresse et de nostalgie.

Billy Wilder et moi - Jonathan Coe - traduction Marguerite Capelle - Éditions Gallimard du Monde Entier - Poche Folio



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.