"L'Homme au mouton" témoigne de l'amitié de Pablo Picasso envers la population de Vallauris. Don de l'artiste à la ville en remerciement de son "accueil affectueux", l'oeuvre de bronze est l'un des trois exemplaires, coulé en 1948 dans les ateliers de la fonderie Valsuani d'après un plâtre réalisé en 1943. Offert à la cité provençale en 1949, "L'Homme au mouton" symbolise le pacifisme, l'antifascisme, et le sentiment de deuil éprouvé par Picasso à la suite de la mort de Max Jacob en 1944. Le monument dédié à la paix est tout d'abord conservé au sein de la chapelle du château de Vallauris. La municipalité accepte le don lors du conseil du 21 octobre 1949. Première sculpture de Picasso établie dans l'espace public, "L'Homme au mouton" est également la première oeuvre d'art public installée dans les rues de Vallauris. Le bronze est inauguré officiellement sur la place du Marché, devenue depuis place Paul Isnard, le 6 août 1950. Retour de gratitude, Pablo Picasso est nommé citoyen d'honneur de la ville.
Pablo Picasso s'intéresse à la sculpture depuis 1912, date de ses premiers assemblages. Dans les années 1930, à Boisgeloup, il expérimente l'abstraction. À partir des années 1950, il oriente sa pratique des volumes vers un art de la récupération et du détournement d'objets du quotidien. Entre temps, sous l'Occupation, il connait un bref retour à l'académisme. Dans le même temps, de 1942 à 1943, le régime de Vichy livre les œuvres d'art public en bronze, fruits de ce courant esthétique, à l'Occupant allemand afin qu'elles soient fondues pour devenir canons et munitions. En 1942, Pablo Picasso découvre l'exposition consacrée à Arno Breker (1900-1991), artiste prisé des autorités nazies, qui se tient à l'Orangerie. Frappé de voir l'idéal classique récupéré au profit de la propagande totalitaire, il se replie dans la solitude de son atelier des Grands Augustins. Qualifié d'artiste dégénéré par Vlaminck, Picasso choisit alors de répondre à la violence de l'époque par un classicisme réinvesti.
En juillet 1942, il réalise une cinquantaine de dessins préparatoires pour "L'Homme au mouton". Sur les premières esquisses, le berger, figure qui suscite l'intérêt de Picasso très dès 1895, prend l'aspect d'un personnage barbu d'inspiration grecque ou chrétienne. La source d'inspiration principale, le criophore classique, le « porteur de bélier », commémore le sacrifice solennel d'un bélier. L'épithète associé à Hermès, Hermès criophore protecteur des bergers, est issu d'un mythe reporté par Pausanias le Périégète (vers 110-vers 180). Hermès vient au secours de la ville de Tanagra ravagée par la peste. Le dieu obtient son salut en effectuant le tour des murailles défensives un mouton promis au sacrifice sur les épaules. Le rituel expiatoire délivre la cité de l'épidémie. "L'Homme au mouton" convoque éventuellement le Bon pasteur d'inspiration biblique, une interprétation que Picasso réfute en 1954 « Ce n'est pas du tout religieux. L'homme pourrait porter un porc au lieu d'un mouton ! Il n'y a pas de symbolisme là-dedans. C'est simplement beau », déclare-t-il en 1954. « Dans "L'Homme au mouton", j'ai exprimé un sentiment qui existe aujourd'hui comme il a toujours existé. »
Au début 1943, le personnage, désormais chauve, prend de l'âge. Les détails du visage sévère final évoquent peut-être un autoportrait. Malgré un ancrage plus classique, Picasso se détache de l'académisme rigoureux. Les grandes figures de la modernité, en particulier Auguste Rodin, son "Saint Jean-Baptiste" et son "Balzac", ont marqué son imaginaire et son répertoire de formes. Picasso fait abstraction des proportions anatomiques, de la répartition normale des volumes au profit d'une forme d'expressivité radicale.
Le plâtre original de "L'Homme au mouton" est conçu en une journée de février 1943, dans l'atelier des Grands Augustins. La rapidité d'exécution confère à ce modèle une facture brute, presque d'inachevé. Dans son entreprise, Picasso reçoit l'aide de son ami, le poète Paul Éluard, Marcel le chauffeur et Brassaï venu photographier l'atelier. Au cours du processus, ce dernier brise malencontreusement l'une des pattes du mouton. Le plâtre originel au membre replâtré est conservé au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia de Madrid.
En 1946, Pablo Picasso, au faîte de sa gloire, découvre l’art de la céramique lors de l’exposition annuelle des potiers de Vallauris. Intrigué, il s’essaie au modelage de la terre. Convaincu du potentiel de la pratique, dès l’été 1947, il se rapproche de Suzanne et Georges Ramié. Au sein de l’atelier Madoura, cadre de liberté créatrice, Picasso s’adonne à la céramique, nouveau champ d’exploration plastique, moyen d’expression inédit. Séduit, il décide de s’installer à Vallauris où il réside de 1948 à 1955. Au cours de cette halte de sept ans, il noue des liens artistiques et humains déterminants. Sous l’influence de Picasso, la ville connait un nouvel âge d’or. La présence de l’artiste impulse un mouvement propice à l’émulation artistique. A la suite du maître espagnol, Marc Chagall, Victor Brauner, Edouard Pignon rejoignent Vallauris. Cette effervescence artistique participe du rayonnement de la ville et de sa tradition potière à l’international.
Entre 1948 et 1950, la fonderie Valsuani fondée en 1908, fermée en 2016, coule trois exemplaires de "L'Homme au mouton" d'après un moulage du plâtre originel. Le premier se trouve à Vallauris, le deuxième au Musée national Picasso de Paris et le troisième au Philadelphia Museum of Art. Par la suite, le motif de "L'Homme au mouton" revient régulièrement dans l'oeuvre de Picasso à travers dessins, peintures, sculptures. La dernière version de tôle pliée est réalisée en 1961.
L'Homme au mouton - Pablo Picasso
Place Paul Isnard - 06220 Vallauris
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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