Ailleurs : La Guerre et la Paix de Pablo Picasso, le décor remarquable de l'ancienne chapelle romane du château de Vallauris devenue "Temple de la Paix" - Musée national Picasso de Vallauris



Entre 1952 et 1954, Pablo Picasso (1881-1973) transforme la chapelle romane désacralisée du château de Vallauris en "un Temple de la Paix". Son intervention esthétique rend compte d'un engagement politique initié dès 1944 avec son adhésion au Parti communiste. La composition monumentale de 100 m2 réunit trois oeuvres importantes de l'après-guerre "La Guerre" et "La Paix", deux oeuvres peintes en 1952 auxquelles se joint une troisième "Les Quatre parties du Monde" en 1958. Le décor complet est officiellement inauguré le 19 septembre 1959 en absence de l'artiste.  

Les premiers dessins préparatoires datent du 5 octobre 1951, mais le projet prend forme entre le 28 avril et le 14 septembre 1952, laps de temps durant lequel Picasso réalise deux-cents-quatre-vingt croquis. Dans ces carnets et feuillets apparaissent les motifs principaux à venir, la danse des fillettes, le cavalier de la Paix, la femme allaitante, les poissons en cage et les oiseaux dans un bocal. Pablo Picasso réalise deux panneaux composés de trente-deux pièces d'isorel, matériau choisi pour ses propriétés, la flexibilité afin d'épouser la courbe des voûtes et la résistance à l'humidité de la chapelle. Au sein des ateliers du Fournas, un échafaudage est monté pour peindre ces modules qui mesure chacun 4,70 mètres sur 10,20 mètres. Les éléments composés sur une surface plane, une fois assemblés, seront fixés sur la structure en berceau conçue au sein de la chapelle. Malgré l'importance des croquis préparatoires, la maturation des différentes saynètes, Picasso peint sans plan, sans esquisse, dans la fougue de l'élan créatif. "Aucun de mes tableaux n’a été peint par rapport à la surface couverte avec plus de rapidité". La restauration en 1998 a permis de redécouvrir de nombreux repentirs. "La Guerre" et "La Paix" achevées en décembre 1952, voyagent en Italie d'être installées dans la chapelle qu'en 1954. 

En 1953, elles rejoignent la rétrospective Picasso itinérante, à la galerie nationale d’art moderne de Rome, puis à Milan, aux côtés des oeuvres politiques "Guernica" (1937), "Le Charnier" (1945), "Massacre en Corée" (1951). Picasso offre "La Guerre et la Paix" à l'État français en 1956. L'année suivante la chapelle du château de Vallauris devient Musée national Picasso de Vallauris. L'artiste peint un troisième panneau, en 1958, dans un style très différent. L'entrée originelle de la chapelle est condamnée afin d'installer "Les Quatre parties du monde". 







Pablo Picasso adhère au Parti communiste en 1944. Il assiste à quatre Congrès pour la Paix en 1948 à Worclaw, en 1949 à Paris à l'occasion duquel il imagine la colombe de la paix, en 1950 à Sheffield, en 1951 à Rome. Il conçoit l'art comme un instrument d'engagement, de militantisme. Il manifeste l'envie de réaliser une oeuvre politique, sans référence à un événement particulier afin de servir la cause de la Paix.

Au lendemain de la Second Guerre Mondiale, Pablo Picasso s'installe dans le Sud, sur la Côte d'Azur, Antibes, Cannes et Mougins. Attiré par l'industrie potière de la ville, il s'installe avec sa famille à Vallauris en 1948 où il habite jusqu'en 1955. Auprès de Georges et Suzanne Ramié, propriétaires de l'atelier Madouras, il explore le potentiel plastique de la céramique. En parallèle, il pratique la gravure sur linoléum, réinvente la sculpture sur des principes de récupération et détournement, comme pour "La Chèvre", "La Guenon et son petit". 







En 1949, il offre un bronze à la municipalité de Vallauris, "L'Homme au mouton". Pablo Picasso se confie, en septembre 1950, au journaliste communiste, Georges Sadoul : « La municipalité de Vallauris, dit-il, avait placé mon "Homme au mouton" dans une belle chapelle du XIVe siècle (sic). On a mis depuis la statue sur la place publique. La chapelle vide, je veux en faire le Temple de la Paix. Dans la chapelle proprement dite, qui est en belles pierres anciennes, pas de peintures, mais sur la grande pierre à huile ancienne, qui est à la place de l’autel, une colombe. La pièce d’entrée est claire et vaste. Sur ses murs je vais peindre en honneur de la paix. J’avais d’abord voulu sur deux murailles opposer à la paix, la guerre et ses horreurs. Mais j’ai changé d’idée. Dans un Temple de la Paix il faut seulement du bonheur. Je pense maintenant me borner aux plaisirs, à la danse, au festin. Le travail sera là tout de même, puisque si l’on voit un plat sur la table, c’est qu’un potier l’a fait, et si l’on mange un poulet, il a bien fallu l’élever... Un Temple de la Paix, qui osera, même les pires ennemis de la paix, tenter quelque chose contre lui. Tous les braves gens y viendront et je voudrais qu’il y en ait beaucoup, comme cette vieille femme qui vint voir mon Homme au mouton dans cette chapelle, et me demanda l’eau bénite en sortant, parce qu’elle avait l’habitude de se signer. Des murs sont déjà prêts pour mes peintures, je veux commencer à travailler tout de suite, dès le mois d’octobre, car je voudrais que mon Temple de la Paix soit prêt le premier. Si après l’on en ouvre partout, ce sera magnifique... Si je suis le premier, on pourra bien en construire des temples de soixante-dix étages, ils ne seront jamais qu’une succursale de Vallauris ».







Dans les années 1940, au sein de l'église Notre Dame de Toute Grâce du Plateau d'Assy, les plus grands artistes de la moitié du XXème - Georges Rouault, Pierre Bonnard, Fernand Léger, Jean Lurçat, Germaine Richier, Jean Bazaine, Henri Matisse, Georges Braque, Jacques Lipchitz, Marc Chagall etc collaborent pour réaliser peintures, sculptures, tapisserie, vitraux, céramiques, mosaïques, pièces d'ameublement et objets de culte. À la même époque, Henri Matisse travaille au décor de la chapelle du Rosaire à Vence. Pablo Picasso, à son tour, souhaite intervenir dans le cadre d'une église mais sans la dimension religieuse. En 1951, le banquet d'anniversaire organisé à l'occasion des soixante-dix ans de Picasso dans la chapelle du château de Vallauris relance l'idée de créer une oeuvre destinée au lieu, un décor célébrant la Paix.

Picasso entreprend "La Guerre" en premier : « J’ai commencé par la droite et c’est autour de cette image que tout le reste s’est construit... Il y avait des mois, des années que j’étais comme tout le monde, obsédé par la menace de la guerre, habité par cette angoisse et cette haine, et cette envie de se battre contre l’angoisse, et contre la haine. Massacre en Corée était déjà né de cela ». Il envisage tout d'abord « la course dégingandée et cahotante d’un de ces corbillards de Province » pour aboutir en troisième version sur un attelage de chevaux caparaçonnés conduit par un inquiétant personnage cornu semant microbes, virus, évocation de la moderne guerre bactériologique.

Picasso s'inquiète au sujet de la représentation de "La Paix" : « Je me demande ce que peuvent faire les gens en temps de paix, aller au bureau de neuf heures à cinq heures, faire l’amour le samedi soir et partir en pique-nique le dimanche ? C’est vraiment trivial... ». La suggestion de Françoise Gilot : « En temps de paix tout est possible. Un enfant pourrait labourer la mer » débloque le processus créatif. En hommage, sur le bouclier du cavalier de la Paix, derrière la colombe, en transparence, apparaît le visage allégorique de la Paix qui empruntent les traits de François Gilot. "Les Quatre Parties du monde" complètent l'ensemble en 1958.

La Guerre, La Paix (1952) et Les Quatre parties du monde (1958)
Musée national Pablo Picasso de Vallauris / Musée Magnelli
Place de la Libération - 06220 Vallauris
Tél : 04 93 64 71 83
Horaires : Été du mercredi au lundi 10h-12h30 et 14h-18h – Fermé le mardi / À partir du 16 septembre du mercredi au lundi 10h-12h15, 14h-17h - Fermé le mardi




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.