Expo : À la cour du Prince Genji, mille ans d'imaginaire japonais - Musée Guimet - Jusqu'au 25 mars 2024



"Le Dit du Genji", oeuvre majeure de la littérature japonaise classique, écrite au XIème siècle, se compose de deux-mille pages, cinquante-quatre chapitres ponctués de huit-cents poèmes wakas. Ce roman emblématique de l'époque Heian, a été écrit par une femme, Murasaki Shikibu, pseudonyme d'une noble dame de la cour impériale, peut-être Fujiwara no Kaoriko, considérée comme l'un des trente-six grands poètes de cette période. "Le Dit du Genji" évoque le destin du prince Hikaru Genji, fils d'empereur ne pouvant prétendre au trône. Il se distingue par la précision des descriptions des us et coutumes de la cour impériale, les protocoles, l'étiquette mais aussi des arts, les concerts de musique, les vêtements. L'érudition de l'autrice, sa connaissance des cultures chinoise et japonaise confère une dimension particulière à ce roman, au moment même où s'établit une identité japonaise, détachée de l'influence chinoise. Première oeuvre japonaise à porter l'accent sur l'analyse psychologique, Murasaki Shikibu s'attache à traduire les sentiments humains universels, au gré d'intrigues amoureuses, de luttes de pouvoir, d'histoires de séduction, d'ambition, de convoitise, de rivalité. Elle créé plus de deux-cents personnages dont certains deviennent des archétypes, le séducteur, la femme bafouée, le mari jaloux, la courtisane intrigante. En sous-texte, la poétesse rédige une critique subtile des moeurs de la cour.

Le Musée Guimet consacre une exposition à ce récit fondateur. "À la cour du Prince Genji, mille ans d'imaginaire japonais" retrace l'influence ininterrompue du "Dit du Genji" sur les arts au Japon et dans le monde entier. La seconde partie de l'événement est consacrée aux quatre rouleaux exceptionnels réalisés par le maître tisserand Itarô Yamaguchi (1901-2007), présentés pour la première fois ensemble et déroulés.








Apogée de la cour impériale japonaise, l'époque Heian (794-1185) ouvre l'âge d'or de la culture japonaise. Si le chinois demeure la langue officielle de la cour impériale, les élites cherchent à affirmer "l'esprit du Japon", le Yamato-damashii. La poésie, la littérature et la peinture dans le style, yamato-e se démarquent des pratiques chinoises et trouvent un nouveau souffle.

La période est marquée par les bouleversements politiques. L'empereur Kanmu (737-806), cinquantième empereur du Japon, cherche à se détacher de l'influence des monastères de Nara. Afin de renforcer l'autorité impériale, il déplace la capitale de Nara vers Heian-kyō, "capitale de la paix", aujourd'hui Kyoto. Après la dernière mission impériale en Chine en 838, l'influence de la dynastie Tang décline au Japon tandis que la classe des bushis, les guerriers, monte en puissance. Ils finiront par conquérir le pouvoir en mettant fin à l'époque Heian. Si l'empereur règne, à partir de 866, les régents Fujiwara exercent le pouvoir. 








Écartées de la vie politique du fait de leur sexe, les femmes trouvent durant cette période une relative liberté. Dans l'ombre, en position d'observatrices des moeurs de la cour et de ses intrigues, elles prennent des noms de plume et écrivent. Si la poésie kanshi, "poésie Han", écrite en chinois, demeure le pré carré des hommes et des aristocrates, une littérature féminine émerge. Ces écrivaines s'illustrent à travers les poèmes de genre waka, écrits avec le syllabaire kana, système d'écriture cursive dérivé des sinogrammes simplifiés et adaptés à la langue japonaise. Cette forme native, apparue au VIIIème siècle au sein de l'aristocratie de la cour impériale, privilégie l'oralité et s'affranchit de l'écrit traditionnel chinois. Les oeuvres waka, ou en prose, les journaux intimes et les romans entretiennent un art de la métaphore, de l'allusion. Ces productions traduisent une quête d'idéal à la fois esthétique et moral en plein essor du bouddhisme au Japon.

Dès sa première diffusion, "Le Dit du Genji" inspire une riche iconographie. Les scènes les plus emblématiques ornent des supports variés, estampes, peintures, artefacts, textiles. Thématiques centrales de la peinture japonaise, elles inspirent les artistes du mouvement du yamato-e de l'époque Heian, la peinture sur panneaux de l'école Tosa, les estampes ukiyo-e. Le thème devient classique à l'époque de Muromachi aux XIVème et XVème siècle, trouve de nouveaux supports au XVIIème siècle avec la gravure sur bois et la xylographie. La fascination pour la période Heian et "Le Dit du Genji" gagne l'Europe. Au XVIIIème siècle, Marie-Antoinette collectionne les boîtes en laque illustrées d'épisodes extraits du récit. 








Dans la culture contemporaine, "Le Dit du Genji" trouve sa place au cinéma, au théâtre, dans les jeux vidéo et les anime. Le manga culte des années 1980, "Asaki yume mishi" de Waki Yamato, ou la récente édition de 2021, de Sean Michael Wilson, auteur écossais de bande-dessinées, dont les illustrations sont signées Inko Ai Takita touchent un public renouvelé. Les billets de 2000 yens représentent une scène du "Dit du Genji" et un portrait de Murasaki Shibiku. 

L'art du tissage s'empare également du "Dit du Genji". En visite à Lyon en 1872, une délégation de tisserands du quartier tokyoïte de Nishijin découvre le métier à tisser mécanique, inventé par le Français Joseph-Marie Jacquart (1752-1834). Ils adoptent le premier métier Jacquard en bois en 1876. 








Le maître tisserand Itarô Yamaguchi (1901-2007) réalise sur le thème du "Dit du Genji", un chef-d’œuvre qui associe haute technicité, qualités esthétiques remarquables. Démonstration magistrale du raffinement et de la créativité du tissage manuel, les dessins des oeuvres tissées sont tracés d'après les rouleaux peints au XIIème siècle, plus ancienne version illustrée du "Dit du Genji" conservée au musée Tokugawa de Nagoya et au musée Goto de Tokyo. En 1995, Itarô Yamaguchi, Trésor vivant, lègue les deux premiers rouleaux au Musée Guimet en signe d'amitié pour la France. Le maître décède en 2007 à l'âge de 109 ans. Un disciple achève le quatrième rouleau. L'ensemble est présenté pour la première fois, entièrement déroulé, au public. 

Le parcours de l'exposition s'achève par une expérience olfactive inspirée de la pratique du Kôdô, ou voie de l'encens, l'art d'apprécier les parfums de bois aromatiques. Le Kôdô témoigne du raffinement de la culture japonaise à l'instar de l’Ikebana, la voie des fleurs, et du Chado, la cérémonie du thé.

À la cour du Prince Genji, mille ans d'imaginaire japonais 
Jusqu'au 25 mars 2024

6 place d’Iéna - Paris 16
Tél : 01 56 52 54 33
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.