Expo : Paz Errázuriz. Histoires inachevées - Maison de l'Amérique Latine - Jusqu'au 20 décembre 2023

Série La Manzana de Adan (1982-1987)


Le travail de la photographe chilienne Paz Errázuriz fait, pour la première fois à Paris, l'objet d'une exposition monographique à la Maison de l'Amérique Latine. La lauréate du prix Madame Figaro Rencontres d'Arles en 2017 - aujourd'hui quatre-vingt ans - n'a cessé, tout au long de sa carrière, de documenter les destinées à la marge, bousculant volontiers les conventions esthétiques pour nourrir une démarche profondément humaniste. Des heures les plus sombres de la dictature militaire d'Augusto Pinochet (1915-2006) de 1973 à 1990, aux nouveaux combats des populations meurtries par les régimes autoritaires afin d'obtenir réparation, Paz Errázuriz redonne la parole à ceux contraints au silence. Orchestré par la commissaire Béatrice Andrieux, l'exposition "Paz Errázuriz. Histoires inachevées" éclaire quarante années d'engagement politique. Elle réunit cent-vingt photographies issues de quinze séries emblématiques parmi lesquelles trois inédites, "Próceres" (1983), "Sepur Zarco" (2016), "Ñuble" (2019), essentiellement des portraits en noir et blanc. 


Série Sepur Zarco (2016)

Série Sepur Zarco (2016)

Série Sepur Zarco (2016)

Série Los dormidos (1979-80)

Série Los dormidos (1979-80)


Des femmes, des circassiens, des catcheurs, des vagabonds, des mendiants, des aliénés, des prostituées, des êtres en quête de justice, de reconnaissance, Paz Errázuriz montre ceux dont la société a détourné le regard. Elle réalise sa série la plus célèbre, "La Manzana de Adán" (1982-1987) auprès d'une communauté de prostitués travestis, en pleine dictature alors que prostitution et homosexualité sont illégales. Son art de la narration s'inscrit dans le temps du moment privilégié passé avec les personnes dont elle réalise le portrait, les exclus, les proscrits. Les espaces clos, confinés rappellent le caractère dissident de cette pratique artistique dans une société privée de liberté. 

Couvre-feu, arrestations arbitraires, internements, violences physiques et morales, amis emprisonnés, assassinés, exilés pour échapper aux persécutions, les images capturées par la photographe rendent compte de cette réalité sociale déchirante. En secret, Paz Errázuriz et ses modèles entrent en rébellion, transgressent les interdits pour mieux raconter l'histoire du pays à travers la trajectoire des êtres ostracisés par le régime. La photographe donne à voir ceux qui ont été invisibilisés, les vies brisées sans horizon, et pourtant l'espoir toujours. Elle évoque puissamment la condition humaine, la grande fraternité des exclus pour en dire la vitalité malgré l'oppression, les persécutions. Et pour que les histoires se poursuivent ailleurs que sous l'objectif, elle se refuse à clore tout à fait ses séries. 


Série La Manzana de Adan (1982-1987)

Série La Manzana de Adan (1982-1987)

Série La Manzana de Adan (1982-1987)

Série El Circo (1981-1982)

Série Los luchadores del ring (1988-1991)


Paz Errázuriz nait en 1944 à Valparaiso au Chili. Au début des années 1970, elle est institutrice. En autodidacte, elle réalise les portraits de ses élèves et de leurs familles. A la suite du coup d'état en 1973, elle est exclue du corps enseignant du fait de ses idées de gauche tandis que les militaires réquisitionnent son domicile. Dès lors, elle se consacre à la photographie, mode d'expression émancipateur. Elle s'attache à documenter le quotidien et la réalité des Chiliens dans cette période de violence, de peur. La créativité défie la dictature. 

Paz Errázuriz rencontre ceux que le régime de Pinochet rejette, broie. Elle brise le tabou, offre une nouvelle visibilité aux marginaux, aux femmes, aux plus démunis, aux travailleurs du sexe, aux personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques, ceux frappés par la précarité, lutteurs, circassiens, travestis, les parias. Ses images évoquent les vies empêchées par le totalitarisme. Elles dénoncent une normalisation imposée selon des standards arbitraires, l'intolérance dogmatique alimentée par les régimes autoritaires. Par sa pratique photographique, elle propose de renverser les normes imposées, de décaler le regard. Elle raconte le chaos, la violence subis par la population, montre la fracture sociale, la pauvreté endémique. Les mesures néolibérales de la dictature de Pinochet plongent le pays dans la misère. La série "Los dormidos" (1979-80) montre les personnes dépossédées de leur domicile, endormies dans la rue.

Sans subvention, sans aucune aide, Paz Errázuriz entre en résistance. Elle travaille seule, sur le long terme. Elle photographie les survivants de l'ethnie Kawésqar, peuple nomade autochtone de la zone australe du Chili, la Terre de Feu, sillonne le pays en bus aux côtés de lutteurs et boxeurs qui tournent de ville en ville. Ses nombreux voyages la mènent de Valparaiso, à Santiago, à Talca, la Patagonie, la Vallée Centrale. En 1981, Paz Errázuriz co-fonde l'AFI, Association des photographes indépendants. 


Série Los nomadas del Mar (1995)

Série El inferto del alma (1992-94)

Série Boxeadores (1987)

Série Munecas frontera Chile - Peru (2014)

Série La mode américaine


Dans les années 1980, à la recherche de ses amis disparus, Paz Errázuriz visite des institutions psychiatriques où le régime de Pinochet enfermait certains opposants politiques. Elle découvre alors l'horreur de l'internement, univers de violence, de privations, de contraintes mais choisit d'adopter l'angle alternatif du couple pour évoquer les liens entre les patients. 

Sa rencontre en 1982 avec Pilar et Evelyn, deux frères prostitués travestis, et leur mère Mercedes, donne lieu aux premières images de la série "La Manzana de Adán", série qui se prolonge jusqu'en 1987. Introduite dans le cercle auquel appartient Pilar et Evelyn, la photographe est présentée à Chichi, Maribel, Leyla. Dans l'illégalité, ces travailleurs du sexe font l'objet de persécutions de la part des autorités, contraints à la clandestinité et aux dangers de conditions précaires. L'épidémie de sida, au cours des années 1980, fait des ravages dans les rangs de la communauté. Les photographies de Paz Errázuriz témoignent de ces existences brisées dont le souvenir s'est effacé. En 2014, elle réalise une nouvelle série auprès de prostituées, "Muñecas", dans une maison close à la frontière du Pérou. 

En 2016, Paz Errázuriz se rend auprès des femmes de Sepur Zarco, village martyr à l'Est du Guatemala. De 1960 à 1996, la guerre civile guatémaltèque oppose la junte militaire au pouvoir aux groupuscules rebelles de gauche. Deux-cents-mille sont personnes assassinées, 84% appartenant aux populations rurales pauvres, populations autochtones mayas qui soutiennent la rébellion. En 1982, les femmes de Sepur Zarco sont réduites en esclavage sexuel par les militaires à la suite du massacre des hommes. En 2016, soutenues dans leur démarche par des ONG, quinze survivantes portent plainte auprès de la cour suprême du pays. Deux officiers sont condamnés pour crime contre l'humanité. 

Paz Errázuriz. Histoires inachevées 
Jusqu'au 20 décembre 2023

Maison de l’Amérique Latine 
217 boulevard Saint-Germain - Paris 7
Tél : 01 49 54 75 00
Horaires des galeries d’exposition : Du lundi au vendredi de 10h à 20h - Le samedi de 14h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.