Paris : Maison F. Pinet chaussures, anciens siège et ateliers aux 42-44 rue de Paradis, mémoire industrielle de la ville - Xème

 


Aux numéros 42/44 rue de Paradis, subsistent en façade, au-dessus de deux restaurants, les vestiges du siège de la Maison F. Pinet, spécialiste des souliers de luxe, « Chaussures fines cousues pour dames, filles, fillettes et enfants » selon la réclame. Cette entreprise fondée en 1855, installée dans le quartier en 1865 témoigne de son industrialisation au cours du XIXème siècle. Les deux immeubles ont été conçus pour accueillir le siège social, la fabrique du département souliers de luxe et les bureaux de la Maison F. Pinet en 1885-86. Deux cariatides, allégories du Commerce et du Travail, oeuvres du sculpteur Léon Auguste Perrey (1841-1900), surmontent la porte du numéro 44 rue de Paradis. Il s'agissait de l'entrée de la grande boutique-atelier Pinet. Une mosaïque mentionne le nom "F. Pinet" et le terme "chaussures" répété deux fois. Autrefois un fronton curviligne coiffait les étages au-dessus de la corniche. Ce décor a disparu lors de l'ajout de quatre niveaux résidentiels en 1912. Du temps, de la Maison Pinet, le porche de droite, au numéro 42, donnait accès aux ateliers. Une grosse horloge de cette époque a été conservé au fond de la cour. Cette partie réhabilitée dans les années 1980 a vu disparaître les traces de l'activité industrielle. 






Patron humaniste, François Pinet (1817-1897) participe de la seconde révolution industrielle du XIXème siècle et impulse un essor au secteur du soulier de luxe. Il invente un mode de production alternatif et industrialise la cordonnerie, dépassant les limites de la fabrication artisanale des chaussures. Organisation du travail, gestion des coûts, adaptation au marché, application de brevets d'invention, nouvelles technologies, ce visionnaire embrasse un modèle économique pondéré par des réformes sociales importantes, un souci du bien-être de ses employés. Il s'attache à améliorer les conditions de travail des ouvriers, assurer leur sécurité. Il met en place des mesures progressistes telle que la réduction du temps de travail à 10 heures par jour, la création d'une assurance chômage, maternité, maladie, et d'un fonds de retraite. L'homme marque son temps et son industrie.

Fils d'un cordonnier de Touraine, François Pinet naît en 1817 à Château-la-Vallière. Orphelin à l'âge de treize ans, il se forme au métier hérité de son père auprès d'un cordonnier voisin. En 1833, il rejoint les Compagnons du Devoir à Tours. Il est reçu compagnon à Nantes en 1836 et prend pour nom, Tourangeau la Rose d'Amour. Il achève officiellement son Tour de France traditionnel en 1841. Bottier chevronné, il exerce ses talents au sein de la maison Dreyfus et Cie, où officie Lucien Dreyfus. En 1845, il entame une nouvelle carrière de commis-voyageur où il aiguise son sens du commerce et de la tendance.  

A l'occasion d'un voyage à Lyon, en 1854, il découvre la gutta percha, gomme issue du latex naturel obtenu à partir de la sève d'arbres de l'espèce Palaquium gutta qui pousse à Sumatra. Il imagine les applications de cette matière nouvelle dans la fabrication des chaussures et dépose un brevet de talon moulé, une pièce de cuir emboutie remplie de gutta. Cette conception réduit le coût de production, améliore la solidité et la légèreté du talon. François Pinet invente le talon Bobine, plus léger, plus stable que le talon Louis XV qui fera sa réputation et sa fortune.

En 1855, il fonde la Société des chaussures F. Pinet. Dès les premières collections, il mise sur la distribution dans toute la France et à l'étranger. Ses bottines brodées remportent un franc-succès. Il fait appel à des sous-traitants afin de tenir les commandes. François Pinet se porte acquéreur, en 1863, d'une parcelle au 44 rue de Paradis-Poissonnière à Paris afin d'y édifier son siège social composé d'ateliers, de bureaux et d'une grande boutique. Ainsi que son domicile personnel. Les ateliers sont conçus sur le modèle des pavillons Baltard, structure de métal et verre. L'ensemble est éclairé au gaz et chauffé par des poêles.

La réputation des chaussures F. Pinet prend de l'ampleur. L'entreprise devient la première maison de souliers de luxe. Les créations innovantes, formes inédites, ornements inattendus, séduisent le public et la haute couture. François Pinet devance la tendance et dépose de nouveaux brevets. En 1867, il imagine une amélioration du processus de fabrication des talons emboutis. Il cherche à concevoir un talon convexe, dit Louis XV. L'ingénieur Le Blanc l'aide dans la mise au point de la machine. 

En 1876, la Maison Pinet, en pleine expansion, rachète l'immeuble du 42 rue de Paradis ainsi que le 3 et 5 rue des Messageries. De nouveaux ateliers voient le jour. En 1885-86, François Pinet fait entièrement reconstruire les bâtiments du 42 et 44 rue de Paradis afin de les adapter à leur affectation. La façade est signée par l'architecte R. Gravereaux, signature suivie de la mention 1886. En 1889, la Maison F. Pinet emploie 1200 salariés. 








Président d’honneur de la Chambre, Syndicale, président de la société de secours mutuels jusqu’en mi-1893, membre de nombreuses sociétés de bienfaisance, membre de la société des anciens compagnons du Devoir, François Pinet, retiré des affaires, devient une figure tutélaire de l'industrie. Il décède en 1897 mais la Maison F. Pinet perdure sous la direction de ses fils.

En 1901 ouvre la boutique de la Madeleine, à l'angle de la rue Cambon et du boulevard de la Madeleine suivi en 1905, d'un flagshipstore à Londres sur New Bond Street. L'expansion à l'international se poursuit à partir de 1925 avec de nouvelles boutiques à New York, Vienne, Le Caire. Des années 1920 à 1930, la Maison F. Pinet est la propriété du groupe de Nathan Ehrlich spécialiste de la chaussure de luxe, financé par le sulfureux banquier Albert Oustric. Lors du scandale autour des spéculations frauduleuses éclate autour des affaires de ce dernier, la maison connait une période de creux. Tendance renforcée par le crack boursier de 1929 au cours duquel l'économie de toute la planète vacille.

Pourtant, la Maison F. Pinet survit. En 1938 à l'occasion d'un voyage officiel de la famille royale d'Angleterre en France, Roger Vivier dessine une collection aux couleurs du drapeau anglais, notamment deux modèles particuliers, Elizabeth et Margareth, en hommage aux princesses. Il remet le talon Bobine au goût du jour. En 1950 Salvatore Ferragamo signe une collection capsule. En 1980, Stuart Weitzmann est invité en tant que designer de la saison. La Maison F. Pinet devient la SAS François Pinet en 1985. Elle est rachetée en 1990 par la holding EPI. 

En 2018, Frédéric Foubet Marzorati, passé chez Stéphane Kélian, Christian Louboutin, Sartore, nommé directeur artistique de la maison, l’un des plus anciens chausseurs pour femme français. Depuis la pandémie, l'avenir de la Maison F. Pinet semble incertain.

Maison François Pinet Chaussures 
42-44 rue de Paradis - Paris 10
Métro Poissonnière ligne 7



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du promeneur 10è arrondissement - Ariane Duclert - Parigramme