Paris : Théâtre des Champs Élysées, geste architectural moderne à la double paternité, Auguste Perret et Henry Van de Velde - VIIIème

 

Le Théâtre des Champs Élysées, institution culturelle de l’avenue Montaigne, s’inscrit dans l’histoire moderne de l’architecture comme un geste fondateur. Structure de béton habillée de marbre blanc, sa silhouette caractéristique en impose par son unité monumentale, son épure radicale. L’architecte Henry Van de Velde (1863-1957) et les frères Perret, maîtres du béton, Auguste Perret (1874-1954) et Gustave Perret (1876-1952) revendiquent la paternité de ce bâtiment sans que la question ait été définitivement tranchée. En revanche, l’identité commanditaire est clairement établie. Construit à l’initiative de Gabriel Astruc (1864-1938), journaliste, directeur de théâtre, éditeur, organisateur de concerts, agent artistique, dramaturge, le Théâtre des Champs-Élysées se compose à l’origine de deux salles. Une troisième plus réduite s’y adjoint dix ans après l’inauguration. Le Grand théâtre à l’italienne de 1905 places est consacré à l’opéra, la danse et la musique. La Comédie des Champs Élysées, salle de 601 places, se place sous le signe des arts dramatiques. Il en va de même pour le troisième espace de 230 places, à l’origine galerie de peinture, devenue en 1923 le Studio des Champs Élysées. 

La représentation inaugurale se tient le 30 mars 1913. « Benvenuto Cellini » d’Hector Berlioz sous la direction de Felix Weingartner (1863-1942) ouvre le bal des festivités. Le 2 avril 1913, un concert d’exception réunit les grands compositeurs de l’époque, Vincent d’Indy (1851-1931), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Gabriel Fauré (1845-1924), Claude Debussy (1862-1918). Le nom de Jacques Hébertot (1886-1970), qui loue de 1920 à 1925, l'ensemble du Grand théâtre et de la Comédie, reste associé au succès du Théâtre des Champs-Élysées. La renommée du site croit avec le prestige des artistes, la danseuse Loïs Fuller, les Ballets russes de Serge Diaghilev, la Revue nègre avec Joséphine Baker, le mime Marceau. 








Aujourd’hui, le Théâtre des Champs Élysées est incontournable. Pourtant sa naissance fut difficile tant dans la validation du projet que dans sa conception. Au début des années 1910, Gabriel Astruc cherche un terrain constructible sur l’avenue des Champs Élysées. Il envisage un temps l’emplacement occupé dans les jardins par le Cirque d’été. Devant l’opposition des riverains, il se replie vers l’avenue Montaigne, sur une parcelle précédemment occupée par l’Hôtel de Villers. Gabriel Astruc envisage tout d’abord un bâtiment articulé autour d’une structure métallique sur des plans d’Henri Fivaz. Puis il fait appel aux architectes représentatifs de la modernité, Roger Bouvard (1875-1961) suivi d’Henry Van de Velde. Ce dernier opte pour le béton, matériau nouveau hautement désirable et moins onéreux que l’acier. Antoine Bourdelle (1861-1929) et Maurice Denis (1870-1943) se chargent du programme décoratif. 

Sur un terrain de moins de 40 mètres de largeur, une centaine de mètres de profondeur, Henry Van de Helde imagine des volumes conséquents, véritable performance technique qui explique l’exiguïté des accès sur rue. Il met notamment en scène sur la façade de l’avenue Montaigne, un effet de recul du corps central où se trouve la grande salle. Inspiré par les exemples en ciment armé de la salle Gaveau conçue en 1905-06 par Jacques Hermant associé à l’entreprise Edouard Coignet, et le théâtre Récamier en 1908 par Charles Blondel et l’entreprise François Hennebique, Henry Van de Helde fait appel, sur les conseils de Théo Van Rysselberghe, à l'entreprise Perret, spécialiste de ce nouveau matériau, pour réaliser l'ossature.

Auguste Perret (1874-1954) et Gustave Perret (1876-1952), rejoignent le projet originel en tant qu’entrepreneurs en construction. En 1911, Van de Velde œuvre en parallèle sur un chantier en Allemagne. Au cours de ces absences, les frères Perret apportent d’importants changements aux plans originaux. Auguste Perret modifie radicalement la façade de Van de Velde. Ce dernier démissionnaire, demeure architecte conseil jusqu’en juillet 1911. De là nait la polémique autour de la paternité de l’édifice. 







Idéal classique du dépouillement, épure de la structure de béton apparente, Auguste Perret applique ses préceptes esthétiques, « la vérité constructive ». Il cherche à souligner la relation entre la façade et la structure. Il considère l’ossature de la bâtisse comme l’élément central du projet, dont la façade doit traduire l’aboutissement. La géométrie du bâtiment est rythmée par les poteaux, colonnes indépendantes et poutres. La structure porteuse répond de l’organisation spatiale. Pavée de marbre, la façade principale avenue Montaigne se distingue par son ordre solennel. Cette face rattachée au bas-côté par le cylindre qui marque l’entrée des deux petites salles contraste avec la façade latérale sur le passage. Celle-ci embrasse l’idée d’une ossature de béton valorisée par le remplissage de briques. 

Les grandes travées de fenêtres sur l’avenue font alterner moulures plates verticales et horizontales. Symbiose entre architecture et sculpture, Antoine Bourdelle réalise pour l’attique une frise en bas-reliefs « Méditation d’Apollon » représentant le dieu des arts et les muses. Les panneaux latéraux, reliefs placés au-dessus des portes, illustrent les thèmes de la Musique, la Danse, la Tragédie, la Comédie.

A l’intérieur, le décor homogène souligne la visibilité des éléments porteurs. Pour la fresque du péristyle, le hall à colonnes, Bourdelle peint dix scènes mythologiques. L’entreprise Perret livre dans son atelier du XVème arrondissement des panneaux de béton que l’artiste exécute dans ses propres murs. 







Le Théâtre des Champs Élysées se déploie à l’origine sur deux salles. Le Grand théâtre à l’italienne de près de 2000 places, salle lyrique cylindrique, possède quelques caractéristiques innovantes. Des doubles colonnes en quatre travées rythment les balcons étagés qui remplacent les traditionnelles loges. Au-dessus de la scène, les reliefs de Bourdelle encadrent l’orgue. Le décor de la grande coupole marquée d’une verrière circulaire est peint par Maurice Denis sur des thématiques musicales. René Lalique (1860-1945) dessine les luminaires dessinés. D’autres artistes interviennent sur les décors peints, salon des dames, Henri Lebasque (1865-1937) dans le salon des Dames, Jacqueline Marval (1866-1932) pour le foyer de la danse, Edouard Vuillard (1868-1940) et Ker-Xavier Roussel (1867-1944) le foyer et la salle de la Comédie.

La Caisse des dépôts et consignations, propriétaire depuis 1970 des murs du 15 avenue Montaigne, préside aux destinées du Théâtre des Champs Élysées, mécène principal des programmations. La première restauration d’envergure en 1985-87, couronne, non sans controverse, l’édifice d’un restaurant panoramique. Une seconde restauration est menée en 2003. Aujourd’hui, il existe au sein du théâtre, deux établissements aux vocations plutôt festives, Gigi qui a remplacé la Maison Blanche, et le restaurant-cabaret Le Manko.

Théâtre des Champs Élysées 
15 avenue Montaigne – Paris 8
Tél : +33 1 49 52 50 50




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du promeneur 8è arrondissement - Philippe Sorel - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages