La Maison Dorée au 20 boulevard des Italiens, attire le regard par sa façade de style Louis-Philippe, foisonnement de motifs, minutie du détail, beauté des ferronneries. Une frise sculptée, scène de chasse extravagante, ceinture tout le bâtiment. Oeuvre de l'architecte entrepreneur Victor Lemaire sur les plans des frères Kaufman, la bâtisse est édifiée vers 1839 sur la rue tandis qu'à l'arrière se déploie dans le même temps la Cité des Italiens. Les sculpteurs Jean-Baptiste Klagmann (1810-1867), Auguste Jean Baptiste Lechesne (1815-1888), Gabriel-Joseph Garraud (1807-1880) et Pierre-Louis Rouillard (1820-1881) réalisent le programme décoratif. Sous la Monarchie de Juillet, la Maison Dorée, célèbre établissement gastronomique ouvert vers 1841, lieu de bonne chère et de plaisirs, réunit dans ses salons privés, mondains, artistes, politiciens, aristocrates, et courtisanes. Honoré de Balzac, les frères Goncourt, Alexandre Dumas, Victor Hugo appartiennent au cercle des habitués ainsi que le prince de Galles, futur Edouard VII, le baron de Saint Cricq, le marquis britannique Richard Seymour-Conway, Khalil Bey, diplomate turc commanditaire du tableau "L’Origine du monde" (1866) de Gustave Courbet.
Aujourd'hui, malgré les apparences, la Maison Dorée a fait l'objet d'une transformation radicale. Exemple troublant de "façadisme", seule la façade néo-renaissance d'origine a été préservée. Les intérieurs entièrement démolis ont été reconstruits en intégralité lors de l'acquisition par la BNP en 1974. L'ensemble de cours intérieures de la Cité des Italiens attenante a disparu dans l'opération immobilière.
À l'emplacement de l'ancien hôtel Choiseul-Stanville, un temps résidence de Madame Tallien (1773-1835), salonnière et femme d'influence, la plus célèbre des "Merveilleuses", se tient sous l'Empire, le Café Hardy, ouvert vers 1799. Ce restaurant réputé, l'un des plus onéreux de Paris, attire une clientèle huppée. Il est vendu en 1836 aux frères Hamel, propriétaires du Grand Véfour depuis 1827. Pourtant, chronologie fluctuante selon les sources, un chantier d'envergure programme une reconstruction complète menée à partir de 1839 par l'architecte entrepreneur Victor Lemaire. Le bâtiment sur rue, la future Maison Dorée, déploie quatre travées sur le boulevard et sept sur la rue d'Artois, actuelle rue Laffitte. À l'arrière, la Cité des Italiens, dont l'entrée se situe au 1-3 rue d'Artois, présente une succession de cours aux décors soignés.
Louis Verdier (1823-1891) investit le rez-de-chaussée et l'entresol du bâtiment sur le boulevard où il établit "Le Restaurant de la Cité" inauguré en 1841 ou 1844 selon les sources. Du fait de ses décors somptuaires, des ferronneries en façades dorées à la feuille, le restaurant est rapidement désigné par la clientèle et le public en général sous le nom de Maison d'Or ou Maison Dorée. Louis Verdier transmet l'institution gastronomique et festive des Grands Boulevards à ses fils Ernest et Charles Verdier. Ce dernier en assure la prospérité et la réputation.
Banquiers et autres agents de change, travaillant à la Bourse fréquentent l'établissement au déjeuner. Pour le dîner ou le souper d'après spectacle, c'est une autre ambiance. L'heure de s'encanailler. Personnalités, aristocrates, politiciens, artistes, journalistes, écrivains, cocottes se pressent à la Maison Dorée. Aux grandes salles vivantes ouvertes à tous, les habitués préfèrent l'intimité des salons feutrés, lambris, chandelles, miroirs. L'entrée discrète rue Laffitte donne accès aux cabinets privés, très prisés pour les rencontres galantes. Le numéro 6, particulièrement réputé, nécessite une réservation huit jours à l'avance. La cave pléthorique de quatre-vingt-mille bouteilles fait honneur à la cuisine du chef Casimir Moisson. Il invente notamment le tournedos Rossini en hommage au compositeur, coutumier des lieux.
La Maison Dorée inspire les artistes. Elle est citée par Honoré de Balzac dans le roman "Illusions perdues" (1837-43), par Jacques Offenbach dans l'opérette "Le voyage dans la lune" (1875), par Marcel Proust dans le premier tome de la Recherche, "Du côté de chez Swann" (1913). Dans les étages et Cité des Italiens, de nombreux journaux établissent leurs sièges. "L'évènement" en 1848 pour lequel Victor Hugo écrit, "Le Journal Paris", "Le Mousquetaire" d'Alexandre Dumas en 1853. Du 15 mai au 15 juin 1846, c'est là que se tient la huitième et dernière exposition des impressionnistes.
La Maison Dorée ferme définitivement en 1902. Les espaces intérieurs sont morcelés afin d'y développer divers commerces. En 1909, un bureau de poste est ouvert.
En 1970, Le Groupe des assurances nationales, propriétaire de la Maison Dorée et de la Cité des Italiens envisagent de raser l'ensemble afin afin de construire un hôtel. Le permis de démolir rapidement obtenu promet à la destruction l'ilot compris entre le boulevard des Italiens, les rues Taitbout et Laffitte.
L'intervention d'un comité de défense du quartier suspend l'opération. En 1971 la commission des monuments historiques envisage une inscription à l'inventaire qui n'aboutit pas. Le ministre des affaires culturelles, Jacques Duhamel ne signe pas l'arrêté. Il est question de renoncer à la protection de l'ensemble du fait du mauvais état des intérieurs, difficilement aménageables. Pour éviter l'effondrement, il serait même nécessaire d'étayer les murs. Néanmoins, la façade sur le boulevard semble avoir peu souffert des outrages du temps et parait bien conservée.
En 1974, la BNP fait l'acquisition de la Cité des Italiens et de la Maison Dorée en avant sur le boulevard. L'objectif affiché, établir sa division internationale dans un bâtiment flambant neuf, immeuble de sept étages, complétés par cinq niveaux en sous-sol, va être contrarié par une nouvelle mobilisation des amoureux du patrimoine qui alertent Maurice Druon alors ministre des affaires culturelles, plus sensible à l'affaire que son prédécesseur.
En charge du projet de 1974 à 1976, l'architecte Pierre Dufau, imagine, afin de satisfaire toutes les parties, une solution alternative. Il produit l'un des premiers exemples de façadisme, pratique urbanistique consistant à ne conserver d'un bâtiment ancien que la façade sur rue lors de sa transformation. Cette conservation partielle, manoeuvre reprise par des promoteurs immobiliers en réponse aux défenseurs du patrimoine, fait aujourd'hui débat. La recherche de fonctionnalité, de rapidité d'exécution aux dépens de la préservation et de la restauration de l'ancien lui est largement reprochée.
L'architecte fusionne le 20 boulevard des Italiens et le numéro 22 voisin où se trouvait le célèbre glacier Tortoni, prolonge la façade de la Maison Dorée, trois travées sur la rue Taitbout faisant lien avec un immeuble à façade de verre. Les intérieurs démolis et intégralement reconstruits intègrent bureaux, auditorium, salle de marché. La Cité des Italiens disparaît. Seuls demeurent les deux portails monumentaux d'entrée sur la rue Laffitte. La Maison Dorée abrite de nos jours les activités de marché du groupe BNP Paribas.
Maison Dorée
20 boulevard des Italiens - Paris 9
Métro Richelieu-Drouot lignes 8, 9
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos
Le guide du promeneur 9è arrondissement - Maryse Goldemberg - Parigramme
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