Paris : Le Bon Marché, le tout premier grand magasin, l'héritage d'Aristide et Marguerite Boucicaut, avènement de la société de consommation - VIIème

 

Le Bon Marché, le premier grand magasin, fondé au XIXème siècle par un couple visionnaire Aristide Boucicaut (1810-1877) et son épouse Marguerite Guérin (1816-1887), sera le premier grand magasin, pionnier en son genre. Cette "cathédrale du commerce moderne" selon Emile Zola qui s'inspire de son histoire dans le roman "Au bonheur des dames" en 1883, marque l'avènement de la société de consommation tandis que les classes moyennes prennent leur essor. Aujourd'hui propriété du groupe LVMH, le Bon Marché déploie l'ensemble de ses bâtiments entre les rues de Sèvres, de Babylone, du Bac, Velpeau. Plusieurs architectes président aux plans du Bon Marché, Alexandre Laplanche, puis la famille Boileau, successivement Louis-Charles Boileau, Louis-Auguste Boileau et Louis-Hippolyte Boileau, soutenus par le travail novateur des ingénieurs Armand Moisant et de façon plus anecdotique Gustave Eiffel. Le Bon Marché sera le premier édifice à caractère commercial associant la pierre et les structures métalliques. Ces dernières autorisent une monumentalité sans renoncer à la lumière grâce à la légèreté des poutres de fer puddlé. Les verrières diffusent un éclairage zénithal jusque-là réservé aux bâtiments industriels. Les structures métalliques permettent également de concevoir de vastes espaces décloisonnés, exemptes de murs porteurs, dont l'adaptabilité facilite la mise en place des rayons, leur modularité. Aux principes architecturaux précurseurs, largement diffusés au XXème siècle, Aristide Boucicaut associe un décor XIXème foisonnant dont il reste peu d'éléments, quelques ferronneries, notamment les balustrades en fer forgé. Après quelques baisses de régime au milieu du XXème siècle, le Bon Marché, ses annexes, rayonnent à l'international. Histoire d'un commerce précurseur.








Aristide Boucicaut débute comme commis chapelier au sein de la boutique paternelle à Bellême. En 1829, après une année passée sur les routes auprès d'un vendeur ambulant, il s'installe à Paris. Il a dix-neuf ans. Rue du Bac, il trouve une place dans un magasin de nouveautés "Au Petit Saint-Thomas" où il gravit les échelons, de simple commis à chef de rayon, grâce à ses idées innovantes. L'année suivante, il rencontre Marguerite Guérin, originaire de Bourgogne qui tient un bouillon. La famille d'Aristide s'oppose à leur mariage. Le couple ne convole en justes noces qu'en 1838 après avoir vécu en union libre, situation scandaleuse pour l'époque.

La même année les frères Paul et Justin Videau créent une mercerie "Au Bon Marché" dont le fonds de commerce se situe à l'angle des rues de Sèvres et du Bac. Séduits par le caractère inventif d'Aristide Boucicaut, ils l'embauchent comme chef de rayon. En 1852, Aristide et Marguerite Boucicaut réunissent leurs économies et les sommes d'un héritage récent pour s'associer aux frères. La SNC "Videau frères et Aristide Boucicaut" voit le jour en 1853.

Aristide Boucicaut a désormais les coudées franches pour mettre en oeuvre ses idées commerciales. Et tout d'abord l'entrée libre dans le magasin, comme une invitation lancée à tous à rejoindre la société de consommation. Les espaces de vente sont transformés, les rayons multipliés pour un choix pléthorique. La mise en scène des marchandises disposées en libre-service sur des comptoirs répond à l'idée d'un vaste assortiment accessible directement sans avoir à passer par un commis. Des étiquettes indiquent les prix fixes. La marge bénéficiaire se veut faible sur les produits élémentaires plus importante sur les éléments manufacturés. Pour la première fois, il est possible d'échanger les marchandises. Soldes et promotions surviennent tout au long de l'année. 









En 1852, "Au Bon Marché" comporte quatre rayons sur 300m2, animés par une douzaine d'employés. Le chiffre d'affaires se monte à 450 000 francs. Le succès venant, le magasin se trouve rapidement à l'étroit dans ses murs. Les extensions successives absorbent les maisons aux alentours. En 1863 le couple Boucicaut rachète les parts des frères Videau, pour devenir les uniques propriétaires.

Les Boucicaut acquièrent l'ancienne parcelle de l'hospice des Petits Ménages, sur le terrain entre l'actuelle rue Velpeau et une partie du square Boucicaut, asile transféré en 1863 à Issy les Moulineaux devenu Hôpital Corentin Celton, pour construire un grand magasin. La première pierre est posée le 9 septembre 1869. Le chantier mené par l'architecte Alexandre Laplanche (1839-1910) est interrompu lors du siège de Paris en 1870, durant la guerre franco-prussienne. L'édifice inachevé sert à l'occasion de centre de distribution de vivres. Une fois la paix revenue, les travaux reprennent, le nouveau magasin est inauguré le 2 avril 1872. 

Alexandre Laplanche a imaginé un bâtiment traditionnel, long de 45 mètres sur la rue de Sèvres, 35 mètres sur la rue Velpeau. Trois larges baies vitrées encadrées de colonnes scandent une façade en roche de Lerouville. Le sous-sol est conçu en meulière. Une marquise surmonte l'entrée monumentale rue de Sèvres. Les espaces de vente se concentrent au rez-de-chaussée, au premier et une partie du deuxième étage qui accueille également les services administratifs. Le troisième réunit cuisine et réfectoire du personnel, ainsi que quelques chambres pour les employées auxquelles s'ajoutent celles de l'étage mansardé. Parmi les nouveautés se trouvent un "cabinet de lumière" dédié à l'achat des étoffes de soie, sorte de cabinet vip, et à disposition des hommes venus accompagnés les dames, une salle de billard, ainsi qu'une bibliothèque salle de lecture.








Rapidement, dès la fin de l'année 1872, Aristide Boucicaut envisage de nouveaux agrandissements le long de la rue Velpeau. Le chantier est placé sous la direction de Louis-Charles Boileau (1837-1914) qui s'adjoint, de 1870 à 1887, les services de l'ingénieur Armand Moisant (1838-1906) pour concevoir la structure métallique. L'atelier de Gustave Eiffel n'intervient que tardivement en 1879 sur des éléments minimes. Les travaux changent radicalement les niveaux en sous-sol, le premier est désormais destiné uniquement à la réception des marchandises et à leur livraison dans Paris. Le second sous-sol abrite machinerie, calorifères, dépôts de charbon, réserves, générateurs. Nouveau service imprévu dans le cadre d'un comme tel qu'"Au Bon Marché", une galerie d'art ouvre dans les rayons en 1875.

Marguerite Boucicaut porte l'accent sur les préoccupations sociales et philanthropiques. La gestion de l'entreprise s'inspire des idées de Lamennais et son socialisme chrétien. Pour fidéliser les salariés formés aux méthodes Boucicaut, le couple imagine la création d'une caisse de prévoyance, d'une caisse de retraite, ainsi qu'un intéressement sur les bénéfices et un système de promotion interne très efficace. Les employés bénéficient d'un jour de congé hebdomadaire, de consultations médicales gratuites, de cours du soir. Ils ont a disposition un réfectoire gratuit. Aux jeunes femmes célibataires de la maison sont proposés des logements dans les étages.

Cette période marque l'avènement de la classe moyenne, clientèle privilégiée des grands magasins. Afin d'attirer la clientèle féminine, les Boucicaut multiplient les initiatives, premières toilettes pour dames, animations pour les enfants. Ils inventent la réclame moderne et diffusent l'image de la "Parisienne moderne et élégante". La publicité prend la forme d'affiches, d'objets promotionnels calendriers, agendas marqués des événements du magasin comme le mois du blanc. La vente par correspondance prend son essor. Aristide Boucicaut imagine d'envoyer par la poste six millions de catalogues avec des échantillons de tissu. Le service de livraison à domicile, jadis privilège des grandes maisons, se développe.







En 1877, le magasin emploie 1788 personnes. La surface atteint 50 000m2 et le chiffre d'affaire 12 millions de francs. Au décès de son époux en 1877, Marguerite Boucicaut poursuit son action. En 1888, les bâtiments du Bon Marché occupent tout l'ilot, ensemble hétéroclite unifié par les différents aménagements intérieurs. 1905 marque la fin officielle des travaux du premier bâtiment qui lui confère son aspect actuel. Dès 1899, une annexe est initiée rue de Babylone. La construction d'un deuxième bâtiment à l'angle des rues de Sèvres et du Bac débute entre 1911 et 1913. L'Atelier Moisant Lauren Savey, successeur d'Armand Moisant, conçoit les structures métalliques. Durant la Première Guerre Mondiale, l'édifice devient hôpital militaire. Dévasté par un incendie le 22 novembre 1915, il est reconstruit sur les plans de l'architecte Louis-Hippolyte Boileau (1878-1948). Il abrite alors les espaces dédiés à l'univers de la maison et deviendra bientôt la Grande Épicerie.

La Société des magasins du Bon Marché dirigée par une succession de banquiers connaît un déclin dès les années 1950 et entre dans une phase de liquidation judiciaire doublée d'une vague de licenciements. La survie du groupe passe par le renoncement aux annexes et autres franchises à travers le monde. Sur le plan architectural, en 1978, la grande verrière du deuxième magasin disparaît pour faire place à des bureaux du deuxième au sixième étage. En 1984, le groupe Boussac vend la Société des magasins du Bon Marché à la financière Agache dirigée par Bernard Arnault. Désormais, elle est intégrée au groupe LVMH. En 1989 Au Bon Marché devient Le Bon Marché. À cette occasion, les bâtiments font l'objet d'une modernisation qui débute par l'intervention de l'architecte d'intérieur Andrée Putman qui crée l'iconique escalator central.

Bon Marché
24 Rue de Sèvres, 75007 Paris
Tél : +33 (0) 1 44 39 80 00
Metro : Sèvres Babylone lignes 10 et 12 
Horaires : Toute l'année de 10h à 19h45. Fermetures exceptionnelles 1er janvier, 1er mai et 25 décembre. Le dimanche de 11h à 19h45.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur du 7è arrondissement - Françoise Colin-Bertin - Parigramme
Saint-Germain des Prés et son faubourg, évolution d’un paysage urbain - Dominique Leborgne - Parigramme
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages