Expo Ailleurs : Martial Raysse. Oeuvres récentes - Musée Paul Valéry - Sète - Jusqu'au 5 novembre 2023

Martial Raysse - Le pêcheur sétois (2023) / Le lever du jour (2020)
 

Exigeant, érudit, Martial Raysse traduit les émotions en image, insuffle des accents politiques, moraux, philosophiques à ces œuvres, critique éclairée de la société. En quête d’une formule plastique susceptible de concrétiser son ressenti, le chantre de la peinture figurative contemporain pose un regard lucide sur l’actualité, la montée des extrêmes, les dérives autoritaires, les menaces de conflit, le capitalisme dévastateur. Rigueur des compositions, inquiétude latente, trouble fascinant, la peinture traduit une soif d’absolu, aussi bien plastique qu’intellectuelle. 

Icône du Pop art, héraut des assemblages hétéroclites dans la veine du Nouveau Réalisme, Martial Raysse se détourne de ces avant-gardes, dès les années 1970, pour embrasser une voie alternative dans « la logique de la grande peinture occidentale ». Il revendique une vision plus traditionnelle de la pratique artistique. De retour à la peinture et au dessin, il développe une iconographie personnelle empreinte de mythologie et d’histoire de l’art. En autodidacte, il puise l’inspiration auprès des grands maîtres italiens, fréquente assidument les musées, s’imprègne de la peinture d’histoire, revendique une filiation avec Jean Fouquet, Nicolas Poussin, Jacques-Louis David. Homme des records, un peu contre son gré, en 2011, il devient l’artiste français vivant le plus cher au monde avec « L’année dernière à Capri » (1962), portrait vendu 4,85 millions d’euros chez Christie’s. 

Depuis les deux rétrospectives d’envergure au Centre Pompidou en 2014, au Palazzo Grassi en 2015, Martial Raysse ne souhaitait plus exposer dans les musées. Néanmoins, désireux de présenter quatre toiles récentes aux dimensions hors normes, il reprend contact avec les institutions. Il se laisse séduire par le projet de Stéphane Théroux, directeur du Musée Paul Valéry, lieu de monstration adéquat pour ses grands formats inédits, dans la lignée des vastes compositions du « théâtre du monde ». Attachés à l’île singulière chère au poète, chaque année, Martial Raysse et son épouse, l’artiste Brigitte Aubignac, célèbrent à Sète l’anniversaire de leur mariage. L’entreprise prend forme en moins de deux ans. Ainsi le Musée Paul Valéry accueille jusqu’au 5 novembre 2023 une monographie événement des œuvres récentes signées Martial Raysse. Le parcours chronologique, de 1988 à 2023, réunit poèmes, peintures, dessins, modelages, sculptures et vidéos courts et longs métrages. 


Martia Raysse - Dieu merci (2004)

Martial Raysse - Giotto renversé par un porc (1995)

Martial Raysse - La Mort m'aime (2003) / Le Manteau (1991)

Martial Raysse - truc / L'oeuf des roses (2002)

Martial Raysse - Le chien noir n'en fait qu'à sa tête (2004)

Né en 1936 à Vallauris Golfe Juan, Martial Raysse n’a cessé de réinventer sa pratique artistique depuis ses débuts en 1948. Remarqué très tôt, ses œuvres retiennent l’attention des collectionneurs et atteignent une côte importante dès 1958. Figure majeure du Pop art, à l’instar d’Andy Warhol, Martial Raysse participe de l’effervescence créatives des années 1960. Ses préoccupations sociétales le rapprochent de l’école niçoise du Nouveau Réalisme, Yves Klein, Arman, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, César, Niki de Saint Phalle, Mimmo Rotella, Gérard Deschamps, Raymond Hains. Le groupe s’illustre par le détournement des images de la culture de masse, la récupération d’objets utilitaires, recyclés dans un processus créatif de prélèvement du réel à un niveau élémentaire. 

Martial Raysse tente alors de présenter le monde plutôt que de le représenter. Il développe le concept d’« hygiène de la vision ». Passionné par l’histoire de l’art, déjà il emprunte aux grands maîtres, notamment avec « Made in Japan - La grande Odalisque » (1964), déclinaison pop de « La Grande Odalisque » (1814) d’Ingres, l’un des chefs-d’œuvre des collections du Centre Pompidou. Martial Raysse associe pop art, avant-garde, tradition française. Son travail fait l’objet d’une première exposition rétrospective en 1965 à Amsterdam. En 1968, il représente la France à la Biennale de Venise. Mais le scandale, quatre ans plus tôt, du sacre de Rauschenberg le prive du Grand prix. Il est néanmoins distingué par le prix David Bright, qui récompense les artistes de moins de quarante-cinq ans.  


Martial Raysse - Poisson d'avril (2007)

Martial Raysse - La fin des haricots (2006) / Séraphine (2007) / Après la pluie (2007)

Martial Raysse - Août mais oui (2008) / La Féria (2005) / Toi, je t'ai à l'oeil (2008)

Martial Raysse - Souvienne vous de moy souvent (2008)

Martial Raysse - Le bout du monde (2009) / Temps couvert à Tanger (2014)


L’époque est à la contestation. Martial Raysse participe aux évènements parisiens de mai 1968. Il se brouille avec son galeriste new-yorkais. La rupture consommée avec les circuits traditionnels, il s’émancipe des diktats du marché de l’art, renonçant à la renommée acquise précédemment. Icône du Pop art, il fait disparaître son nom dans le cadre d’expériences collaboratives, de travaux collectifs et s’efface derrière le groupe. Les années « chamaniques » tendent vers un dépouillement et une forme de renoncement. 

En 1973, Martial Raysse s’installe dans le Val d’Oise. Il s’engage sur une piste nouvelle. Désormais, il renonce au détournement d’images et d’objets, se détourne de l’esthétique pop. Au passage, il abandonne ses médiums de prédilection, ses assemblages et installations de plastique, plexiglas, miroirs, néons. En autodidacte, Martial Raysse délaisse la bombe pour le pinceau. Il prône un retour à une pratique artistique plus traditionnelle, la peinture comme sacerdoce, le dessin un engagement. Ce changement de direction, cette radicalité, sont vécus comme une renaissance. En retrait des courants dominants, Martial Raysse renoue avec une figuration de conception plus traditionnelle, une figuration allégorique et la peinture d’histoire au sommet des hiérarchies classiques. 


Martial Raysse - Vue d'ensemble

Martial Raysse - Ferveur obscure (2012)

Martial Raysse - Sentinelle au bout du ciel (2013)

Marial Raysse - Comment ça va Irma ? (2013) / Songeuse Roxane (2013)
D'après Outamaro 1, Made in Japan (2014)

Martial Raysse - Le soir tombe sur nos amours (2013) / Ciel bleu Mili blue (2014)
Propos sur Ici Plage (2014) / Vraiment ? (2014)


Les silhouettes humaines, particulièrement féminines, peuplent des œuvres chargées de symboles, ponctuées de détails drolatiques, porteuses d’émotion autant que de réflexion. Martial Raysse rejette l’idée d’un réalisme pur pour mieux embrasser une liberté de création retrouvée. Il refuse la banalité, la trivialité du quotidien. Par cette peinture figurative détachée des préoccupations du marché de l’art, il préfigure dès le début des années 1970, la Figuration libre et la démarche des artistes de la génération des années 1980, auprès desquels il jouera le rôle de mentor, Robert Combas et François Boisrond.

Martial Raysse explore les thématiques traditionnelles de l’histoire de l’art, épisodes mythologiques, paysages, portraits, nus, scènes auxquelles il associe les iconographies marquantes de la contemporanéité, les images ancrées dans la réalité moderne. Peinture savante, il croise les éléments de la culture antique gréco-romaine, aux contes populaires, à sa cosmogonie personnelle, aux grand maîtres Raphaël, Giotto, Velasquez. En 1995, il décline des saynètes autour de la thématique classique de L’enfance de Giotto. Plus tard en 2014, il rêve d’odalisques orientalistes à la manière des peintres du XIXème siècle, Ingres, Delacroix, « Temps couvert à Tanger ». 


Martial Raysse - Vue d'ensemble

Martial Raysse - Salut les potes ! (2014)

Martial raysse - Tous les mêmes (2012) / Sperluga (2012)

Martial Raysse - Copinons (2018) / Maria Angelica oui oui oui (2018)
La Reine du Monde (2018) / Ah ! D'accord l'Extrême (2016)

Martial Raysse - Etude pour Audrey fly away (2017) / Ah ! D'accord l'Extrême (2016)


En parallèle de cette peinture savante, complexe, ponctuée de signes, il pratique la sculpture dans un matériau pauvre, le papier mâché des chars du carnaval de Nice. Avec « Sur l’air du Roi Renaud portant ses tripes dans ses mains » (2013), il emprunte une figure du folklore populaire, prolonge ainsi une méditation sur l’art, le monde, sa violence. Martial Raysse cherche à révéler le mystère derrière la beauté apparente, la lumière et l’ombre, la vie et la mort intimement intriquées. Sens rares des compositions, il livre des situations flottantes, des scènes où se glisse le doute. Femmes belles d’abandon ou agressées ? Mascarade des groupes à la parade ou danse macabre ? 

Martial Raysse affronte la noirceur du monde tel qu’il va. « Bataclan Horreur Ignoble ! » peint en 2016, réaction tripale vis-à-vis de l’actualité, dialogue avec « La Peur » (2023), évocation du conflit en Ukraine. Les figures masquées, grimées, travesties, sourient et grimacent. Elles expriment l’effroi, la joie. Le second degré met le monde à distance. Le propos n’en demeure pas moins transparent. « Pauvre de nous » (2008) donne à voir la détresse humaine, tandis que l’autoportrait « Courage Martial » (2013) confronte l’artiste à sa propre souffrance et à la maladie.  



Martial Raysse - La Peur (2023) / Le Grand Jury (2021)

Martial Raysse - Actéonne (2019)

Martial Raysse - La Pais (2023)

Martial Raysse - Courage Martial (2019)

Martial Raysse - La Peur (2023)



Les quatre tableaux monumentaux qui clôturent le parcours, hésitent à peine entre peinture d’histoire et peinture allégorique. Martial Raysse revendique le triomphe de la beauté, panacée aux maux du monde, remède universel. La radicalité de la démarche, ironie critique, humour tranchant, traduit une tendresse, une empathie presque douloureuse pour ses semblables en proie à l’horreur. Demeurent aussi ces photographies frappantes de Martial Raysse à l’œuvre encore et toujours, énergique gamin de quatre-vingt-sept ans perché sur une échelle à deux mètres du sol, pinceau à la main. Éternel. 

Martial Raysse. Oeuvres récentes 
Jusqu’au 5 novembre 2023

148 rue François Desnoyer - 34200 Sète
Tél : 04 99 04 70 00
Horaires : Du 1er avril au 31 octobre, ouvert tous les jours de 9h30 à 19h - Du 4 novembre au 31 mars, ouvert tous les jours, sauf le lundi de 10h à 18h
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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 




Martial Raysse - Monus (2019)
Martial Raysse - Il m'arrive de me sentir si seul (2020)

Martial Raysse - Ric de Hop la Houppe / Liberté chérie (1991)