Expo Ailleurs : Les années fauves - Fondation Pierre Gianadda - Martigny - Suisse - Jusqu'au 21 janvier 2024

Emile Othon Friesz - Automne à Honfleur (1906)

 
"Les années fauves", exposition d'envergure qui se tient à la Fondation Pierre Gianadda de Martigny jusqu'au 21 janvier 2024, s'attache à traduire l'effervescence créatrice au tournant du XXème siècle par le biais d'un mouvement, aussi important que bref. Au cours de cette période charnière, l'émulation culturelle unique, musique, littérature, architecture, produit le ferment nécessaire, le terreau, pour un renouveau de la création plastique. L'histoire de l'art a retenu les dates approximatives de 1905 à 1908, pourtant le Fauvisme prend son essor bien avant avec les expérimentations chromatiques d'Henri Matisse et Albert Marquet rapidement rejoints dans leur démarche par André Derain et Maurice de Vlaminck. À la Fondation Gianadda, l'accrochage éclaire le processus sur plus d'une décennie, depuis 1898, genèse du mouvement, date du décès de Gustave Moreau, jusqu'à 1908. L'exposition étend la capsule temporelle jusqu'aux années 1910-14, éclairage sensible sur l'évolution de certains artistes. En 1929, Albert Marquet confie à Georges Duthuit, rédacteur d'un article sur le fauvisme publié dans "Les Cahiers d'Art n°6" : « Nous travaillions déjà, Matisse et moi, avant l'Exposition, dès 1898, dans ce qu'on appela plus tard, la manière “fauve”. Les premiers Indépendants où nous étions, je crois, les deux seuls peintres à nous exprimer par tons purs, remontent à 1901. Je n'ai peint dans ce genre qu'à Arcueil et au Luxembourg. » 



Henri Matisse - Nature morte (vers 1898-99)
Raoul Dufy - Paysage de Provence (1905)
André Derain - Trois personnages dans l'herbe (1906)

Louis Valtat - Paysage méditerranéen (vers 1902)


Henri Manguin - La femme à la grappe - Villa dernière (1905)

Louis Valtat - Paysage de Cagnes (vers 1898)


Initiateurs d'une révolution esthétique, les artistes fauves embrassent le mythe de la couleur, celui de la puissance, de la spontanéité. Ils explorent la simplification de la forme, l'avènement des couleurs pures, l'abolition des perspectives, la disparition de la profondeur de champ et la suppression des ombres. Leurs compositions ardentes choquent le public et la critique qui peinent à comprendre la construction par la couleur pure, les aplats vibrants, les audaces détachées de la réalité au profit de l'expressivité.

Le Salon d'automne de 1905 et le scandale retentissant qui s'en suit, "épreuve du feu" selon l'expression de Derain, marque la naissance officielle du Fauvisme. La salle n°VII expose dix œuvres d'Henri Matisse, chef de file, neuf d'André Derain, cinq signée Maurice de Vlaminck, cinq Albert Marquet, cinq Charles Camoin, cinq Henri Manguin, cinq Marc Chagall. Raoul Dufy, Kees van Dongen, Othon Friesz, Jean Puy, Jules Flandrin, Jacqueline Marval, Auguste Chabaud, Georges Rouault ou encore Georges Braque, présents sur les cimaises du Salon au fil d'autres espaces, ne sont pas encore rattachés au mouvement. Les oeuvres de la salle VII sont vilipendées par la critique, notamment Louis Vauxcelles qui dénonce ce qu'il considère comme des outrances, des excès et donne son nom au groupe d'artistes. : "Au centre de la salle, un torse d'enfant et un petit buste en marbre d'Albert Marque, qui modèle avec une science délicate. La candeur de ces bustes surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello chez les fauves... »



Maurice de Vlaminck - Berges de la Seine à Chatou (1906)

Albert Marquet - Nu à l'étagère (1898)
Georges Rouault - Nu de dos (1906)

Jean Puy - La faunesse endormie (1906)
Albert Marquet - Matisse dans l'atelier de Manguin (1905)
Albert Marquet - Nu à contre-jour (vers 1909-11)

Jean Puy - La faunesse endormie (1906)


Montée dans un temps record au lendemain de la pandémie, l'exposition "Les années fauves" à la Fondation Pierre Gianadda a dû s'adapter au développement parallèle d'autres manifestations autour du fauvisme, à Bâle en Suisse ou aux États-Unis. Ces évènements ont réduit l'accès aux prestigieuses collections américaines. Fabrice Hergott, commissaire général de l’exposition, directeur du MAMVP, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, Jacqueline Munck, commissariat de l’exposition, conservatrice en chef du patrimoine au Musée d’Art moderne de Paris, avec Marianne Sarkari qui orchestrent l'évènement, ont développé leur propos dans le cadre de cette contrainte. Parmi les cent-vingt oeuvres exposées, une centaine est issue des collections du Musée d'art moderne de Paris et du Centre Pompidou, d'où la présence de nombreux tableaux de Rouault et Dufy, alors même que Matisse manifestait des réticences vis à vis de ce dernier, quant à son rattachement au mouvement fauve. 

Tableaux, sculptures, dessins, célèbrent les paysages de la région parisienne, Chatou, Argenteuil, le Pecq, la Normandie aussi et le Sud de la France et Collioure. Les peintres fauves se penchent sur les scènes pittoresques des nuits interlopes parisiennes, les cabarets, le cirque, les saltimbanques, les Vénus mercenaires et les danseuses. La Fondation Pierre Gianadda met en avant les expérimentations fauves dans le domaine de la céramique et la naissance de l'école d'Asnières.



Henri Manguin - La liseuse au bonnet vert (1909)
Pablo Picasso - Fernande (1906)
Kees van Dongen - Deux femmes (vers 1913)
Kees van Dongen - Saint-Georges de Bouhélier (vers 1908)

Kees van Dongen - Deux femmes (vers 1913)
Kees van Dongen - Saint-Georges de Bouhélier (vers 1908)

Louis Valtat - Le Bateau-mouche (1905)

Paul Signac - Venise, les îles de la lagune (1905)
André Derain - La rivière (hiver 1904-05)
Louis Valtat - Le Bateau-mouche (1905)

Paul Signac - Venise, les îles de la lagune (1905)


École éphémère, le Fauvisme rassemble une génération d'artistes qui revendique de travailler sans règle, exploration radicale de la couleur pure portée à son paroxysme, lyrisme de la formule plastique. Malgré sa rapide dissolution, ce chaînon essentiel de l'histoire de l'art, première avant-garde du XXème siècle, marque une étape importante vers la modernité du cubisme, de l'abstraction.

L'exposition "Les années fauves" présente les principaux protagonistes du mouvement, un groupe d'amis, aux convictions communes. Le glissement d'un artiste à l'autre, d'une collection à l'autre, éclaire les connivences, les "disharmonies intentionnelles" selon André Derain. La scénographie élargie aux années de formation du mouvement depuis 1898 jusqu'à 1910, analyse la façon dont les artistes se détachent des carcans de l'académisme. Cette émancipation s'étend également aux préceptes esthétiques diffusés par les impressionnistes. La manifestation souligne la filiation avec les artistes postimpressionnistes, la leçon de Cézanne, la couleur de Vincent Van Gogh qui dans un courrier d'août 1888 évoque la musicalité de la couleur, une promesse à laquelle s'attachent les Fauves.


Raoul Dufy - Le 14 juillet à Falaise (1906)
Raoul Dufy - Les régates (1907-08)
Raoul Dufy - L'apéritif (1908)

Raoul Dufy - Les régates (1907-08)

Emile Othon Friesz - Le port d'Honfleur (1905)
Emile Othon Friesz - Automne à Honfleur (1906)
Robert Delaunay - Paysage aux vaches (1906)

Auguste Herbin - Bruges (1907)

Albert Marquet - La Seine à Poissy (1908)
Albert Marquet - Paysage au chaland (1911)

Albert Marquet - Paysage au chaland (1911)


Les Fauves s'intéressent aux paysages peints sur le motif mais également à la figure humaine à travers le portrait et le nu, les scènes de baignade et de danse. Ils portent une attention particulière à la matière de la surface. La liberté de trait embrasse la souplesse de la ligne, l'arabesque et fait la part belle à l'expressivité. Henri Matisse établit les codes de cette nouvelle peinture, une façon de peindre par la couleur pure, toute d'intensité. "Il faudrait en venir à mettre le soleil derrière la toile." confie-t-il. Épreuve des moyens, enthousiasme pour la couleur et la matière, sous leurs pinceaux la couche picturale se fait messagère de l'expression. Audace de la touche, des sujets, la couleur supplante le dessin, construit l'espace. La forme et le sens ne font plus qu'un. Les peintres fauves désirent s'adresser au plus grand nombre. Les tableaux et leur signification se veulent accessibles immédiatement. Ils considèrent la beauté de la composition plus importante que le sens des scènes. L'art et la vie se réconcilient. Les solutions plastiques proposées par les Fauves s'inscrivent dans une démarche de simplification, une sincérité et une énergie vitale teintée d'une paradoxale mélancolie commune. 

Les thèmes se mélangent, les formes contrastent. Le corpus réuni à la Fondation Pierre Gianadda illustre une même passion de la couleur. La recherche autour de la palette chromatique procède pourtant de moyens très différents. La monstration met en lumière les correspondances, au-delà des singularités propres à chaque artiste, une forme de respiration fauve. L'élan de l'oeuvre en train de se faire semble encore perceptible. La construction se différencie radicalement du réel, lui substitue un langage plastique qui fait la part belle aux sensations. 


Georges Rouault - A Tabarin (1905)

Jean Metzinger - Paysage coloré aux oiseaux aquatiques (1907-08)
Emile Othon Friesz - Paysage (vers 1905-07)
Raoul Dufy - Jeux d'enfants (1908)

André Derain - Baigneuses (vers 1908)

Auguste Herbin - Paysage près du Cateau-Cambrésis (1908)
Maurice de Vlaminck - Forêt (vers 1910)
Raoul Dufy - Paysage de Vence (paysage de Hyères) (1908-13)

Henri Manguin - Nu à l'aloès, Jeanne (1907)
Emile Othon Friesz - Le Printemps (1908)


L'exposition reprend le fil du Fauvisme sur une dizaine d'années, au cours desquelles les vingt-et-un artistes présentés ont évolué et grandi ensemble. Leurs relations d'amitié ont perduré tout au long de leur vie. La monstration décrypte ce qui les réunit et les différencie, éclaire la patte signature de chacun, leur univers esthétique propre. Abreuvés aux mêmes sources d'inspiration, à une même sensibilité, l'évènement présente également des contemporains extérieurs au mouvement, Pablo Picasso en pleine période rose et Egon Schiele aux nus coloriés, dont la démarche bouscule tout autant les conventions esthétiques. La palette plastique marque dans son évolution un attachement aux arts extra-européens, influence des arts africains et océaniens, formes de la statuaire africaine, affirmation progressive du trait, préceptes de Paul Cézanne qui préfigurent le cubisme de Picasso, Braque, l'orphisme, le futurisme, l'abstraction de 1913. La modernité en marche.

Les années fauves 
Jusqu'au 21 janvier 2024

59 rue du Forum - 1920 Martigny - Suisse
Tél : +41 27 722 39 78
Horaires : Ouvert tous les jours - De juin à novembre de 9 h à 19 h - De novembre à juin de 10 h à 18 h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.