Théâtre : Un soir chez Renoir, de Cliff Paillé - Le Lucernaire - Jusqu'au 11 juin 2023

 


Au début de l'année 1877, le peintre Auguste Renoir reçoit ses camarades du cercle d'artistes que la presse a surnommé par dérision les impressionnistes. A l'occasion d'un dîner dans son atelier, Claude Monet, Berthe Morisot, Edgar Degas sont réunis bientôt rejoints au cours de la soirée, par Émile Zola, l'un des rares critiques d'art à appuyer leur démarche. Il est question d'organiser la troisième exposition indépendante du groupe impressionniste, événement qui doit se tenir en avril 1877. Les deux premières en 1873 et 1876 ont été des échecs critiques. Vilipendés par la presse, boudés par le public et les collectionneurs, les peintres n'ont pu que se désoler de l'absence de ventes et de leur réputation malmenée. Malgré le soutien financier du marchand d'art Paul Durant-Ruel et de leur pair Gustave Caillebotte, héritier d'une grande fortune, les peintres impressionnistes connaissent la faim, les dettes et la dure réalité du quotidien. 

Les relations confraternelles sont mises à mal par les situations délicates des uns, les soucis pécuniaires des autres, l'intransigeance de ceux qui mangent à leur faim. La pérennité du groupe est fragilisée par les conditions de survie personnelles plus que difficiles. Auguste Renoir qui tire le diable par la queue envisage de rompre et de rejoindre les rangs officiels. Edgar Degas, le misanthrope, nourrit des positions radicales favorisées par l'argent de sa famille. Berthe Morisot peine à s'imposer dans un univers masculin. A rebours des conservatismes ambiants, Émile Zola les soutient mais affirme que l'artiste doit s'engager sur les plans politique et social.

Cliff Paillé, auteur, metteur en scène et scénographe nous invite dans l'atelier miséreux d'Auguste Renoir, en pleine bohème. Il associe la vérité des faits historiques et son interprétation personnelle, nourrissant une fiction qui redonne chair aux grands artistes de la fin du XIXème siècle. Cliff Paillé imagine une soirée, véritable tournant, au cours de laquelle sont prises les décisions cruciales qui détermineront l'avenir du groupe impressionniste. Il capture le moment clef alors que la cohésion vacille et les tensions s'exacerbent. 

Ce cercle d'artistes composé de Degas, Renoir, Morisot, Monet ainsi que les absents mentionnés Caillebotte, Cézanne, Courbet, Manet, Pissarro revendique une démarche esthétique en réaction contre les académismes. Mais ils sont confrontés à l'impossibilité de vivre de leur art. Violemment rejetés par les caciques, ils ne peuvent exposer au Salon officiel cornaqué par l'Académie des Beaux-Arts. Ainsi certains, gagnés par l'idée d'un compromis pragmatique, envisagent de sacrifier leurs engagements esthétiques, leurs idéaux politiques, et même leur indépendance pour atteindre la reconnaissance et parvenir subvenir à leur besoin. Prises de position, aspirations personnelles et vision collective s'opposent. Pour Renoir rompre avec le groupe signifie être en mesure de se nourrir et de payer un loyer. Faut-il s'entêter ou renoncer, et se plier aux desiderata de l'Académie. 




Cliff Paillé chorégraphie une mise en scène sobre qui fait la part belle à l'interprétation aux dialogues efficaces, échanges animés. La distribution interprète avec fougue convictions et coups de sang, caractères entiers de ces peintres, artistes à fleur de peau. La confrontation des idéaux et de la réalité du quotidien donne matière à controverses et rebondissements. Au gré des échanges d'idées, les esprits s'échauffent et les règlements de compte entre amis fusent. Les inévitables affrontements sont d'une grande virulence.

Romain Arnaud-Kneisky, dans le rôle d'Auguste Renoir fébrile, affamé, subtil, s'oppose à Edgar Degas, incarné par Sylvain Zarli, véritable bloc qui refuse le compromis. Elya Birman, prête ses traits à Claude Monet, un peu illuminé, bienveillance compréhensive malgré des problèmes d'argent. Alexandre Cattez interprète un Emile Zola investi, qui abandonne souvent sa position de recul pour se mêler aux joutes verbales. Alice Serfati est impeccable en Berthe Morisot féministe avant l'heure. En soutien généreux, Jeanne Ros et Marie Hurault complètent cette troupe très investie. 

Alerte, efficace, savoureuses, cette plongée au sein du cercle des peintres impressionnistes est une vraie réussite.

Un soir chez Renoir
Jusqu'au 11 juin 2023
Du mardi au samedi à 19h, dimanche 16h

De Cliff Paillé
Mise en scène et scénographie Cliff Paillé
Direction d’acteurs Marie Broche
Avec Romain Arnaud-Kneisky, Elya Birman, Alexandre Cattez, Marie Hurault, Jeanne Ros, Alice Serfati, Sylvain Zarli
Lumière Yannick Prevost
Costume Maxence Rapetti
Production Compagnie Vice Versa
Coproduction Cie He Psst
Soutien Mairie de Billère
Partenaire Musée de Montmartre Jardin Renoir
Remerciements Lisa Garcia, Morgane Touzalin-Macabiau, Pauline Phélix, Arthur Guézennec, pour leur participation à la création de ce projet (texte, jeu, mise en scène)

Lucernaire 
53 rue Notre-Dame-des-Champs - Paris 6
Tél : 01 45 44 57 34
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.