Lundi Librairie : Que Tal - Daniel Arsand


Confronté à la disparition brutale de son ami chat Que Tal, mort d'une embolie sur la table de consultation de la vétérinaire après un vaccin, Daniel Arsand, le narrateur, se souvient. Un an plus tard, sur le conseil d'une amie, il prend la plume pour mettre des mots sur la douleur de la perte et la terrible absence. Adieu muet. En rendant hommage à ce compagnon "indéchiffrable", cette "présence ondoyante" qui comblait sa vie solitaire, le distrayait de ses angoisses, il espère enfin faire son deuil. L'écriture, baume salutaire, lui montre le chemin de la guérison. Ces pages écrites à l'automne 2006 n'était pas destinées à la publication. Elles ne le seront qu'en 2013. Daniel Arsand raconte la relation fusionnelle avec Que Tal et le désarroi immense de l'intimité perdue, le déchirement. Il n'est plus qu'un "bloc de chagrin". Retiré dans sa solitude silencieuse, le monde murmure au loin au-delà des murs de son appartement. Il dit la culpabilité, se reproche de ne pas avoir vu les signes d'un mal invisible. Au fil du récit, il convoque ses chers disparus, sa mère, son père, ses amis.

Romancier, éditeur, ancien libraire, Daniel Arsand livre un récit intimiste, court texte écrit dans l'urgence. Cette histoire d'amitié entre un homme et un chat "connaisseur de la nuit" nous évoque les nombreux couples écrivains-chats, liens séculaires, inaltérables. "Que Tal", tendre chronique des douze années partagées met en scène le long apprivoisement mutuel, l'apprentissage du langage animal, le respect des limites, l'affection viscérale, l'amour bouleversant. Daniel Arsand conte l'expérience unique de vivre avec un chat, créature rétive aux familiarités. Que Tal n'acceptait la caresse que selon son bon vouloir, entretenant le paradoxe de la proximité et la distance. Le romancier décrit avec finesse le sentiment particulier de l'attachement à un animal, le quotidien aux côtés de cette omniprésence rassurante, leurs rituels, ses exigences, décrypte sa fascination pour la beauté sauvage du petit fauve intransigeant, maître de son royaume. Que Tal, capricieux, demeurera jusqu'au bout et malgré son statut d'animal domestique une créature farouche, ombrageuse, indomptée. 

Le texte exempt de tout pathos malgré la charge émotionnelle, pose des mots sur la souffrance, la mélancolie poignante. Puissance d'évocation, musicalité, la beauté de la langue répond à une rythmique particulière, élan animal, esprit de la liberté. Le poème en prose navigue avec souplesse entre les registres, fluidité féline, explore la part d'animalité en soi. 
 
Daniel Arsand se met à nu tandis qu'il parle de ses disparus, lance des ponts entre les vivants et les morts, sa mère, son père à la disparition duquel il oppose le déni, le refus. Et puis ses amis croisés, parfois aimés, morts du sida. Il aime les hommes mais ne parle dans ses livres de son orientation sexuelle que depuis le décès de ses parents à qui il n'a jamais rien révélé. Il a tu sa vie amoureuse, cette part intime de l'homme. Impossible de leur vivant. Désormais, il expérimente une forme d'émancipation, apprend à s'accepter soi-même. Il se détache des liens familiaux, de son éternel statut de fils, lui qui sait qu'il n'aura pas d'enfant.  

Le deuil, les doutes, les manques, Daniel Arsand dépose dans ses pages écrites pour pleurer son ami chat, le mystère et la grâce, la douceur et la sensualité aussi. Ode émouvante parcourue de fulgurances. 

Que Tal - Daniel Arsand - Éditions Phébus - Poche Libretto