Expo Ailleurs : Molinier rose saumon - Frac Nouvelle Aquitaine MECA- Bordeaux - Jusqu'au 17 septembre 2023

Pierre Molinier - Je rampe vers Gehamman (vers 1970-76) Collection Frac Nouvelle Aquitaine MECA
Crédit Frédéric Delpech Adgap 2023


Le Frac Nouvelle Aquitaine MECA consacre une rétrospective à Pierre Molinier (1900-1976), peintre et photographe, figure de la contre-culture bordelaise, personnage flamboyant, transgressif. Conservatrice de la plus importante collection publique de l'artiste, l'institution bordelaise qui fête ses quarante ans, lui rend hommage à travers un exposition anniversaire réservée aux plus de dix-huit ans. De la peinture figurative des débuts à la tentation de l'abstraction, Pierre Molinier renouvelle radicalement sa pratique lorsqu'il atteint la cinquantaine. Il explore alors les potentiels plastiques de la photographie à laquelle il adjoint photomontages et collages d'inspiration surréalistes. Esthétique sexuelle et fétichiste, mystère, goût de la subversion, de l'apprêtement, des transformations physiques, il développe une démarche queer avant l'heure, précurseur sans inhibition sur les questions d'identité sexuelle, d'androgynie, de genre, de corps transformé. L'exposition "Molinier rose saumon" souligne la force des oeuvres, pour dépasser l'image du "grand-père pervers" exempte de tabous. Les commissaires d'exposition Marie Canet, critique d'art et commissaire indépendante, Emmanuelle Debur, journaliste, et Claire Jacquet, directrice du Frac Nouvelle Aquitaine MECA, éclairent la complexité et les ambiguïtés du personnage, la pertinence du propos, la singularité de son travail. 









brouille la frontière entre la réalité et la fiction pour provoquer le bourgeois. A rebours des bien-pensances, il trace sa légende et réinvente la vie à l'aune de son fantasme fétichiste. Les anecdotes scabreuses, les déclarations de masturbation nécrophile, d'inceste, la posture d'érotomanie, l'autofellation, l'utilisation de sécrétions corporelles comme matériaux de ses oeuvres font catalogue d'excès en tout genre. A cet inventaire haut en couleurs, l'exposition "Molinier rose saumon" préfère le décryptage des sources d'inspiration, surréalisme, fétichisme, tantrisme. Elle réunit archives, témoignages afin d'éclairer méthodes de travail et importance de son héritage. Pierre Molinier influence toute une génération investie dans les arts corporels, la scène drag, disciples activistes qui revendiquent une filiation. Au Frac MECA, la juxtaposition des oeuvres souligne les liens et autres affinités plastiques avec des artistes comme Cindy Sherman, Camille Vivier, Hans Bellmer, Clovis Trouille, Claude Lahun, Arnaud Labelle Rojoux et les contemporains Jean-Charles de Quillacq et Cécile Bouffard.

Pierre Molinier nait à Agen en 1900 dans une famille modeste. Le père est peintre en bâtiment et décorateur spécialiste du faux bois et du faux marbre, sa mère couturière. Il suit une scolarité élémentaire dans une institution religieuse. Il entre en apprentissage auprès de son père en 1913, tout en suivant, le soir, des cours de dessins et de peinture dispensés au sein de l'Ecole municipale d'Agen. En 1919, Pierre Molinier s'établit comme artisan indépendant à Bordeaux. Il y exerce son activité de peintre en bâtiment jusqu'en 1960 et poursuite en parallèle sa pratique artistique. Habitant du Vieux Bordeaux, il s'installe dans l'appartement du 7 rue des Faussets avec sa nouvelle épouse Andrea Lafaye en 1931. Deux enfants naissent de cette union une fille Françoise, un fils Jacques.  




Pierre Molinier - La Poupée (détail) (vers 1960 – 1976) 
Collection Frac Nouvelle-Aquitaine MECA Crédit Adagp Frédéric Delpech  





Personnage difficile, à la marge du monde des arts, Pierre Molinier va à l'encontre des conventions, des conformismes, pourfendeur de la bienséance, de la bienpensance. L'exposition "Molinier rose saumon" rend compte des ambivalences de ce provocateur prolifique qui choque ses contemporains. Il participe à l'émergence de la Société des artistes indépendants bordelais qu'il rejoint en 1928 mais cumule les sorties scandaleuses, les propos sulfureux. Caustique, il exaspère et fascine. En 1949, sa femme quitte le domicile conjugal. Désormais, Françoise, sa fille, gère le ménage. L'année suivante, il conçoit sa propre « Tombe prématurée » portant l'inscription : « Ci-gît Pierre MOLINIER, né le 13 avril 1900, mort vers 1950, ce fut un homme sans moralité, il s'en fit gloire et honneur, Inutile de P.P.L. ». Il se photographie en suicidé puis sur son lit de mort.

En 1951, survient un ultime esclandre à l'occasion du Salon des indépendants. Le tableau de Molinier "Le Grand Combat" offusquent les artistes exposés à ses côtés. Ils décrochent leurs propres oeuvres et refusent d'être associés à ce contenu pornographique. Ils exigent que la toile de Molinier soit enlevée. Furieux, celui-ci couvre le trop explicite "Grand Combat" d'un voile noir et y adjoint un manifeste, brûlot contre l'hypocrisie et la médiocrité de ses pairs. Désormais paria, il se marginalise, fuit les institutions. Otracisé par les cercles artistiques, il s'enferme dans son appartement boudoir studio.

Pierre Molinier trouve son style sur le tard. Touché par l'arthrose, il est handicapé dans sa pratique picturale et délaisse peu à peu les pinceaux au profit de l'appareil photographique. Il réalise des autoportraits sexués, des images de mannequins de confection en plastique harnachés de tenues affriolantes. Il joue sur la confusion entre l'oeuvre et l'artiste, impose la position de voyeur au public. Son alter ego féminin se prête à des positions suggestives. Pierre Molinier ne se photographie lui-même que tardivement. Il utilise les images de son corps de septuagénaire corseté, ganté, jambes gainées de bas, sur lequel il colle son visage prélevé sur d'anciennes photographie de sa jeunesse. Il associe son image à celles de ses amants, ses maîtresses, ses modèles variés. Cadavre exquis, il recompose des corps, des créatures fantasmagoriques, croise les clichés de pin-ups et d'hommes travestis. Les jambes décuplées, dénudées forment des mille-pattes humains, kaléidoscope de membres érotisés, 


Pierre Molinier - Rêve (détail) (vers 1970/1976)
Collection Frac Nouvelle-Aquitaine MECA Crédit Adagp Frédéric Delpech  






Pierre Molinier s'inspire des innovations des Surréalistes. Il a recours au photomontage, au collage, leur emprunte les techniques de découpage, de superpositions de ses propres tirages. Il suscite alors l'intérêt d'André Breton et lui envoie, reproductions de tableaux, collages, poèmes. En 1956, Molinier participe à une exposition de groupe au sein de la galerie parisienne de Breton, A l'étoile scellée, ainsi qu'à la Mostra internationale del surrealismo de Milan en 1961.

En 1955, à l'âge de trente-cinq ans, Françoise prend son envol et quitte son père. En 1957, il achète le Texas-Bar, un bar interlope qu'il destine à Monique, sa prétendue "fille naturelle", prostituée notoire qui a pris le relais. En 1960, à la suite d'un accès de violence envers sa femme, il tire des coups de pistolet au-dessus de la tête de son cousin. Il passe un mois en prison. Le divorce est prononcé en 1961. La même année, il finalise un manuscrit d'une trentaine de pages, texte fondateur de la "Secte des voluptueux", groupe de libertins contestataires adeptes des pratiques sado-maso, fétichistes. En 1964, Pierre Molinier entame une correspondance enflammée avec Emmanuelle Arsan, autrice du roman érotique "Emmanuelle".

Pierre Molinier rencontre, en 1965, les peintres surréalistes Gérard Lattier et Clovis Trouille. Sur les conseils de ce dernier, Molinier retravaille ses tirages photographiques au crayon khôl, intervention qui leur confère un aspect flouté, velouté. Il s'essaie à la vidéo avec un film rudimentaire "Mes jambes". L'absence de limites se matérialise dans son tableau blasphématoire "Oh !... Marie, mère de Dieu" qu'il destine à "L'Enfer" section de la bibliothèque du Vatican où sont conservées les oeuvres interdites au public par l'Église. A la suite de cette provocation, Breton marque ses divergences au sujet de la frontière entre érotisme et pornographie. Il prend ses distances et renonce à présenter les productions de Molinier à l'Exposition Internationale du Surréalisme.








A la suite de sa relation épistolaire avec l'historien d'art Peter Gorsen, Pierre Molinier 1967 fait la connaissance, en 1967, d'Hanel Koeck, fétichiste, adepte du sadomasochisme. Elle pose comme modèle pour des toiles et photomontages. Pierre Molinier participe au tournage du court-métrage de Jean-Pierre Bouyxou "Satan bouche un coin". 

Unième provocation, en 1969, il affirme avoir exhumé le corps de son père pour conserver ses ossements à son domicile dans une caisse en bois en forme de petit cercueil. La maison d'édition de Jean-Jacques Pauvert publie un album dédié à son oeuvre picturale et photographique. Molinier connaît à partir de 1970 des soucis de santé. En septembre 1975, son fils Jacques meurt dans un accident. Le 3 mars 1976, atteint d'un cancer de la prostate, Pierre Molinier se tire une balle dans la bouche. "Je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rigoler".

L'exposition "Molinier rose saumon" rend compte d'un parcours relégué à la marge et apporte un éclairage particulier sur la reconnaissance tardive de sa singularité. Très présent dans les collections privées, les amateurs mécènes, Pierre Molinier est désormais pleinement légitimé. Il a trouvé sa place dans les collections du musée d'Orsay, du Centre Pompidou, du MET et du Guggenheim de New York. Le rayonnement de son oeuvre dépasse aujourd’hui largement le cadre des initiés. 

ARTISTES EXPOSÉS
Pierre Molinier, Fabienne Audéoud, Hans Bellmer, Gilles Berquet, Raymond Borde, Cécile Bouffard, Xavier Boussiron, Jean-Pierre Bouyxou, Claude Cahun et Marcel Moore, Lisetta Carmi, Luciano Castelli, Marc Camille Chaimowicz, Larry Clark, Jean Alain Corre, Alfred Courmes, Liz Craft, Hélène Delprat, Jean Dupuy, Anne Garde, Michel Gouery, Estelle Hanania, Maïa Izzo-Foulquier, Pierre Imans et Clovis Trouille, Ellande Jaureguiberry, Michel Journiac, Chris Korda, Arnaud Labelle-Rojoux, Félix Labisse, Jean-Jacques Lebel, Natacha Lesueur, Mehryl Levisse, Marie Losier, Mirka Lugosi, Made In Eric, Mélanie Matranga, Philippe Mayaux, Reba Maybury, Joachim Mogarra, Ria Pacquée, Bruno Pélassy, Marilou Poncin, Jean-Charles de Quillacq, H•Alix Sanyas (mourrier) aka H., Hamid Shams, Cindy Sherman, Philipp Timischl, Elmar Trenkwalder, Betony Vernon, Dorli Vienne-Pollak, Camille Vivier, Wolf Vostell. Avec la participation d’Alain Oudin. 

Molinier rose saumon
Jusqu'au 17 septembre 2023

Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA
5 Parvis Corto Maltese - 33800 Bordeaux
Tél : 05 47 30 34 67
Horaires : Du mercredi au dimanche de 13h à 18h (dernière entrée à 17h30) - Nocturne 3ème jeudi du mois jusqu’à 21h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.