Expo Ailleurs : Marc Desgrandchamps. Silhouettes - Musée des Beaux-Arts de Dijon - Jusqu'au 28 août 2023

 

Oeuvres hantées de figures fantomatiques, de personnages sans visage, les tableaux de Marc Desgrandchamps s'ancrent dans une réalité paradoxale, à la fois familière et étranges. Les scènes fragmentées impriment des espaces indéfinis, champs incertains semés d'objets au graphisme marqué. Par des effets de transparence, de surimpression, de décalage subtil, Marc Desgranchamps entretient les sensations de flottement, d'incertitude. Il établit des jeux aux règles précises mais dont l'issu demeure imprévisible. Rien n'est fixé ou jamais acquis. L'artiste cite volontiers Althusser, "un processus sans sujet ni fin". Flux du souvenir matérialisé, les bribes picturales de mémoire alimentent des compositions sophistiquées, situations indéterminées au sein de non-lieux. L'omniprésence de l'eau affirme un tropisme particulier pour l'élément liquide. La matière même d'une grande fluidité donne l'impression que le sujet se délite dans des coulures volontaires, traces du pinceau, évanescence.

Le Musée des Beaux-Arts de Dijon consacre une exposition monographique à l'oeuvre de Marc Desgrandchamps, regard affûté l'évolution de sa pratique au cours de la dernière décennie. Les commissaires Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef et directrice des Musées de Dijon et Pauline Nobécourt, historienne de l'art, ont réuni un ensemble significatif, de quarante-sept grands formats, toiles et polyptiques, auquel s'ajoutent un certain nombre de dessins. La scénographie déployée en sept sections thématiques rend compte des cycles et multiples facettes d'un art vivant en dialogue avec l'ancien et la modernité, ainsi que des changements survenus, sujets, formes, motifs. En regard des collections permanentes du Musée des Beaux-Arts de Dijon, l'évènement se tient dans les nouveaux espaces d'exposition temporaires au troisième étage. Il emprunte son titre à un diptyque "Silhouettes", acquis en 2022 par le Musée des Beaux-Arts de Dijon dont la simplicité trompeuse dissimule une composition reconstituée d'après "La Flagellation du Christ" (circa 1460) de Piero della Francesca. L'achat a été complétée par un don de l'artiste au musée, "The young Mod's forgotten story" (2012).









Né en 1969 à Sallanches, Marc Desgranchamps fréquente l'Ecole des Beaux-Arts de Paris de 1978 à 1981. Désormais, il vit et travaille à Lyon. Sujet d'une vaste rétrospective au Musée d'art moderne de la ville de Paris en 2011, son oeuvre représentée au sein de prestigieuses collections internationales, privées et publiques a fait l'objet d'expositions majeures au Centre Pompidou, dans les grands musées de Strasbourg, Lyon, Grenoble, Canton, Bucarest... 

L'exposition "Marc Desgrandchamps. Silhouettes" s'ouvre sur le diptyque le plus ancien, "Les effigies" qui date de 1995. Dans paysage champêtres, deux têtes d'animaux sont posées sur des poteaux, un cheval, une vache, références au totem à tête de cochon sauvage qui apparaît au cours du roman "Sa majesté des mouches" (1954) de William Golding. La scène inquiétante, dérangeante éprouve les limites d'une simplicité trompeuse, pour évoquer en filigrane l'horreur de la guerre dans les Balkans. 

L'univers pictural de Marc Desgranchamps embrasse l'abondance de motifs récurrents, architecture, antiquité gréco-romaine, animaux notamment les chevaux, figures féminines magnifiées et baigneuses. Le ciel bleu envahit des espaces liquides, paysages lacustres, bords de mer, vallées verdoyantes où chantent des rivières, sites touristiques archéologiques que viennent animer des figures. L'euphorie d'une belle matinée rend compte de la fugacité du temps qui passe dans un sentiment double d'exaltation et de tranquillité. Marc Desgrandchamp travaille sur des motifs identifiables issus de sources photographiques qui soulèvent la question du réalisme. Dans des cadres d'apparences ordinaires, il imagine des compositions fantasmagoriques d'inspiration surréaliste. Expérience visuelle et effets plastiques stimulent les réminiscences, images, sensations, présences fantomatiques. 








Les scènes semées d'objets éléments du quotidien, symboles de l'époque tels que les téléphones portables, se caractérisent par l'intrusion d'anomalies troublantes. Les corps morcelés, les objets incertains contrastent avec le graphisme familier d'un parasol, de vêtements, de serviettes de plage, juxtaposition d'éléments figuratifs. La toile se détermine comme lieu de rencontre, d'affirmation et de disparition. Les effets de voiles, de flou, les jeux d'opacité et de transparence entretiennent le doute des surimpressions. L'ambivalence des images en apparence anodine qui en dissimulent d'autres, se prolonge dans l'équivoque de l'impermanence des choses produite des effets de superposition des réalités.

Traversée des imaginaires collectif et individuel, synthèse des influences, Marc Desgranchamps brasse les références, histoire de l'art, grands maîtres, se nourrit de culture populaire, photographie, cinéma, littérature, musique. Aux images prélevées autour de lui, il associe des photographies personnelles, des souvenirs de voyage, des clichés de presse. 

Les polyptiques, grands panneaux assemblés a posteriori, découpent la narration en étapes successives, vison panoramiques. Le récit recompose le mouvement même, par la multiplication des figures figées dans l'instant. Motifs suspendus et simultanéité des temporalités évoquent les techniques cinématographiques originelles dans une esthétique du montage, des faux raccords, fondus enchaînés et autres travellings. Les séquences découpées en diptyque, triptyque, représentent des femmes qui marchent dans la rue, figure féminine monumentale initiatrice du mouvement. Marc Desgranchamps explore les limites de la figuration, en renouvelle le vocabulaire plastique. Il s'approprie les codes classiques de la représentation pour mieux les détourner et explorer la frontière entre rêve et réalité. Le morcellement du temps suspendu capturer en images l'impermanence des choses.







Les couleurs vives fluides, camaïeu de verts et de bleus, symphonie aquatique, teintent les motifs suspendus, moments figés, de nuances liquides. Les effets de lumière, de profondeur, font surgir des formes presque indistinctes. Effet de transparence et de surimpression, les figures humaines se fondent dans le décor, ambiguës. Dans un état d'entre-deux, les compositions flottent entre les strates de la mémoire et retardent la perception globale par une mise à distance de l'évidence. Parfois un halo autour d'une silhouette emprunte la forme du repentir, pour mieux entretenir le sentiment d'un monde évanescent, au bord de la disparition. L'imprécision des scènes fantasmatiques lui permet de se détacher du concept de représentation exact pour aborder le champ de l'évocation et des transformations, perception troublée par l'intrusion d'éléments inattendus, de situations soulevant l'ambiguïté du visible. L'art énigmatique de Marc Desgranchamps résiste aux interprétations.

Silhouettes Marc Desgrandchamps 
Jusqu'au 28 août 2023

Palais des ducs et des États de Bourgogne 
1 rue Rameau - 21033 Dijon 
Tél : 03 80 74 52 09
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi - Du 1er octobre au 31 mai, de 9h30 à 18h -
Du 1er juin au 30 septembre, de 10h à 18h30 - Fermé les mardis, ainsi que les 1er janvier, 1er mai et 8 mai, 14 juillet, 1er et 11 novembre, 25 décembre



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.