Expo Ailleurs : Fernand Deligny, légendes du radeau - CRAC Occitanie - Sète - Jusqu'au 29 mai 2023

 

"Fernand Deligny, légendes du radeau", rend hommage à un éducateur singulier, spécialiste des troubles mentaux, artiste, poète, qui a consacré toute son existence aux personnes en difficultés, aux adolescents, délinquants, psychotiques et autistes. Opposé au fonctionnement de l'asile psychiatrique, aux principes d'enfermement et de sanctions, Fernand Deligny (1913-1996) oeuvre au sein d'institutions publiques avant d'expérimenter de nouveaux concepts dans le cadre de centres d'accueil autogérés destiné aux enfants autistes mutiques. Durant trente années, il mène un projet indépendant à Monoblet dans les Cévennes. Fernand Deligny y remet en question les concepts de rééducation, de réhabilitation ou même de guérison. Il propose une approche alternative, réinvente des cadres de vie, en fonction des enfants afin de créer un territoire commun. Les environnements spécifiques élaborés fournissent des circonstances favorables et nourrissent le sens de la collectivité. 

Proche des figures de la Nouvelle Vague, le cinéaste François Truffaut (1932-1984), le critique André Bazin (1918-1958), réalisateur, écrivain, producteur, Chris Marker (1921-2012) membre actif de l'association d'éducation populaire "Travail et Culture", Fernand Deligny fait appel à leur soutien afin de diffuser les résultats de ses recherches. S'il rejette les étiquettes et manifeste une certaine répugnance à se définir comme un éducateur, ou un écrivain, il produit néanmoins un important corpus, dessins, textes variés, dans lesquels il alimente une critique de l'assignation, de l'identité. Il signe une vingtaine d'ouvrages de référence dans lesquels aborde de nombreux sujets sociétaux tels que le travail, le productivisme, l'humanisme, la psychologie et la philosophie. Introuvables jusqu'à récemment, ils ont été intégralement réédités par la maison indépendante L'Arachnéen dirigée par Sandra Alvarez de Toledo, Anaïs Masson. Les deux éditrices, commissaires d'exposition au Crac Occitanie à Sète, dans le cadre de "Fernand Deligny, légendes du radeau", retracent la vie et l'oeuvre de cet homme investit d'une mission, avec la collaboration de Martin Monlina Gola, doctorant à l'Université Paris 8 et l’aide de Gisèle Durand-Ruiz, Jacques Lin et Marina Vidal-Naquet. 

Premier pan d'une double exposition, "Fernand Deligny, légendes du radeau" réunit dessins, peintures, objets, photographies d'archives, propose extraits vidéo et projections de films complets, autant de souvenirs tangibles de l'expérience menée à Monoblet. Déconstruction radicale des règles sociales de l'éducation, Fernand Deligny propose une perspective alternative. Il renverse les principes de prise en charge des enfants marginaux, délinquants, autistes. Plutôt que de chercher à modifier le comportement des enfants pour l'adapter à la société, il adapte l'environnement à leurs "modes d'être", leur permet de vivre selon leurs besoins en respectant leur façon de fonctionner. 

Pédagogue formé en philosophie et en psychologie, Fernand Deligny découvre l'asile d'Armentières en 1934 lors de ses études. Un temps instituteur à Paris, il devient éducateur à l'Institut médico-pédagogique de l'asile d'Armentières durant la Seconde Guerre Mondiale. Il envisage très tôt la disparition de la notion de rééducation. Il développe une vision critique de l'institution et met fin au régime des sanctions. A travers ces expériences, Fernand Deligny se refuse à tenter de réformer les adolescents qui lui sont confiés mais propose plutôt de travailler avec eux sur des projets qu'ils ont eux-mêmes formulé. Dans ce cadre nouveau, il organise des activités entre les patients et les gardiens.  

En 1943, à Lille, Fernand Deligny mène une première expérience dans des foyers de prévention de la délinquance. A la fin de la guerre, il prend la direction du COT de Lille, le Centre d'observation et de triage, les jeunes délinquants, lieu ouvert animé par des ouvriers et des résistants. En 1947/48, il fonde l'association La Grande Cordée avec le médecin psychologue Henri Wallon et Louis Le Guillant médecin des hôpitaux psychiatrique, la psychologue Hélène Gratiot-Alphandéry, Huguette Dumoulin impliquée dans le réseau d'auberge de jeunesse, et Christiane Malé responsable de Francas mouvement d'éducation populaire. Ensemble, ils établissent le principe de la "cure libre" destinée aux adolescents délinquants et psychotiques. Cette initiative fait l'objet d'un film, "Le Moindre geste" présenté à Cannes en 1971 par l'entremise de Chris Marker. 

Fernand Deligny envisage d'agir directement sur le dispositif de vie, l'environnement social. A partir de 1955, il s'implique dans la création de plusieurs lieux. Le manque de moyens financiers engendre des déménagements successifs. Au début des années 1960, Fernand Deligny travaille plus particulièrement auprès d'enfants de trois à neuf ans atteints de troubles du spectre autistiques. Avec "les présences proches", accompagnants non spécialisés, issus d'horizons variés ouvriers, travailleurs sociaux, parmi lequels Jacques Lin, électricien dans une autre vie, Gisèle Durand-Ruiz artiste peintre, Any Durand, Guy et Marie-Rose Aubert, Fernand Deligny met en place un réseau d'accueil informel et expérimental, Ces sept lieux différents porteur d'une organisation, d'un vocabulaire, de pratiques inédites mais également territoires éclatés sont définis par les aires de séjour et désignés sous le terme de "radeau"

En 1963, à Graniès, hameau du village de Monoblet dans les Cévennes, un centre communautaire voit le jour. Campement rustique, habitat modeste constitué d'éléments disparates récupérés, conçus par les occupants, l'expérience prend peu à peu de l'ampleur malgré la grande précarité. Certains enfants vivent en permanence au centre. D'autres viennent y passer les vacances d'été. La rencontre en 1967 avec Janmarie enfant autiste mutique marque une étape dans le développement des théories de Fernand Deligny qui poursuit des réflexions sur le langage et son absence et s'intéresse à la communication non-verbale. En 1970, Gisèle Durand-Ruiz et Jacques Lin créent le Séré aire de séjour soeur de Graniès. 

Fernand Deligny et les "présences proches" documentent avec minutie le quotidien ritualisé. Les adultes se placent en retrait dans une position d'observateurs. Ils entretiennent le concept de "faire cause commune avec eux", avec les enfants. Le mutisme est considéré comme un élément constitutif de leur personnalité qu'il s'agit de ne pas interpréter. Ensemble, ils établissent les bases d'une forme de non-thérapie, laissant les enfants circuler librement à travers le campement sans tenter de les canaliser. Tandis que les adultes oeuvrent aux tâches quotidiennes "trajets d'usage", les trajets répétitifs des enfants autistes à travers leurs espaces de vie, circulations qui forment des "lignes d'erre", sont soigneusement retranscrits dans des cartographies. "Les présences proches" notent, retracent les stéréotypies, trajets, détours, grands gestes, balancements, donnant une importance aux gestes les plus anodins 

La fonction mnémonique de ces dessins s'inscrit dans un projet plus vaste cherchant à saisir le "mode d'être", le fonctionnement de l'autisme, notamment le besoin de repères spatio-temporels, la réitération des gestes, le rapport symbiotique aux choses. Fernand Deligny et ses collaborateurs rendent compte de cette expérience par le dessin, l'écriture, la vidéo. En 1976, le film "Ce gamin-là" réalisé par Renaud Victor et produit par François Truffaut évoque la vie communautaire avec Janmari. 

La Maison de Graniès accueille les ateliers de peinture et de fabrication d'objets en bois de Gisèle Durand-Ruiz et Jacques Lin. Et à l'étage le bureau de Fernand Deligny qui ne cesse d'écrire au sujet du centre et de ses travaux. Jusqu'à la fin de sa vie, il ne cesse de revenir sur une autobiographie "L'enfant de la Citadelle" laissée inachevée avec près de six-mille pages.

Conception de l’exposition : Sandra Alvarez de Toledo, Anaïs Masson et Martín Molina Gola, avec l’aide de Gisèle Durand-Ruiz, Jacques Lin et Marina Vidal-Naquet

Fernand Deligny, légendes du radeau

Jusqu'au 29 mai 2023

Crac Occitanie

26 quai Aspirant Herber - 34200 Sète 

Tél. : +33 (0)4 67 74 94 37

Horaires : Lundi, mercredi à vendredi de 12h30 à 19h - Samedi et dimanche de 14h à 19h - Fermé le mardi

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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.