Au début des années 1950, l’Armée populaire de libération, envahit le Tibet. Désormais la Chine dispose d’un accès direct au versant nord de l’Everest, montagne sacrée, l’un des plus hauts sommets du monde. Mao Zedong nourrit avec passion le projet de conquérir les cimes du Qomolangma en tibétain afin d’affirmer la supériorité des prolétaires chinois sur les alpinistes occidentaux, seuls vainqueurs à cette heure, des cimes de l’Himalaya. Etudiants, paysans, ouvriers, les « volontaires désignés » par le Parti communiste chinois n’ont jamais pratiqué l’alpinisme. Parfois même, ils n’ont jamais vu la montagne. Parmi les membres de l’expédition se trouve Liu Lianman originaire de Mandchourie, dont l’autobiographie, traduite sera diffusée hors des frontières de la Chine. Xu Djin, appartient à la première équipe qui rejoint l’URSS en 1955 pour un stage express auprès des alpinistes soviétiques. Shi Zhanchun, Wang Fuzhou, Qu Yinhua s’improvisent alpinistes aux côtés du sherpa tibétain Qonpo. Leur mission sur le toit du monde, « marche glorieuse du peuple », s’avère plus politique que sportive. Ils doivent atteindre le sommet, y planter un drapeau chinois, et déposer un buste du Grand Timonier. En sous-texte, cette ascension symbolise l’annexion définitive du Tibet. Le récit officiel affirme que le 25 mai 1960, les alpinistes chinois atteignent le sommet. Pourtant, il n’existe aucune preuve tangible du succès de l’expédition, les protagonistes qui se taisent n’ont pas pris de photographie. Ni le drapeau ni le buste de Mao Zedong n’ont été retrouvés par les successeurs qui ont réitéré l’exploit quinze années plus tard.
Ecrivain voyageur, prix Albert Londres en 2020 pour son récit « Alpinistes de Staline », Cédric Gras reprend le fil d’un récit parallèle à cette publication précédente pour écrire une seconde histoire d’alpinistes et de dictateur. De l’expédition chinoise, peu d’archives sont parvenues au grand public. Lors des recherches pour ce premier opus, Cédric Gras a eu accès à une série de documents inédits qui lui ont permis de lancer des pistes pour l’écriture des « Alpinistes de Mao » et de décrypter le roman national diffusé par le Parti. Littérature du réel, il rend compte de l’aventure de ces pionniers chinoise méconnus en Occident, leurs exploits et les tragédies.
Lors de l’accession au pouvoir des Communistes en Chine, les sommets mythiques de l’Himalaya ont tous été conquis par des alpinistes représentant des puissances coloniales. Les Anglais ont mené dès les années 1920, une succession d’expéditions sur le versant Nord de l’Everest depuis le Tibet dans des conditions météorologiques extrêmes dont les premières victimes furent George Mallory et Andrew Irvine, en 1924. Le 1er octobre 1949, la République populaire de Chine est proclamée à Pékin. En 1950, le Népal autorise l’accès à l’Everest, sur le versant Sud dépendant de son territoire, aux expéditions étrangères. Cette décision ouvre les possibilités d’ascension par l’arête Sud-Est. En 1953, les anglais Edmund Hillary et Tensing Norgay deviennent les premiers hommes à atteindre le sommet de l'Everest sur le versant népalais. En 1954, les Italiens conquièrent le K2. La Chine communiste se doit de réagir en envoyant ses champions du régime pour marquer l’histoire avec la conquête du versant Nord.
Quand Cédric Gras se penche sur le sujet, il trouve peu d’éléments, témoignages rares, archives succinctes. Seul le récit approuvé par les autorités chinoises semble être disponible. Et les indices laissent à penser que l’expédition de 1960 a été un échec, malgré le refus du Parti d’admettre ce revers. Les historiens de l’alpinisme remettent en question cette version officielle et attribuent la première ascension du versant Nord de l’Everest à une nouvelle expédition chinoise qui reprend la piste et parvient au sommet, quinze ans plus tard.
Cette conquête de l’Everest, ce récit associé à l’idée de prestige national, a été pensé dès l’origine comme un outil de propagande. Il ne s’agit pas d’amour de la montagne mais d’endoctrinement et d’implications géopolitiques. Les alpinistes ont d’ailleurs été expédiés, passée leur heure de gloire, dans les camps de rééducation. En 2008, à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin, Qonpo, le sherpa tibétain qui a fait son chemin au sein du Parti depuis les années 1960, porte la flamme sur une portion du parcours.
L’histoire de l’expédition a été adaptée au cinéma en 2020 dans un film à gros budget réalisé en Chine, jamais sorti à l’international, avec Jacky Chan en tête d’affiche. La propagande maoïste y cède le pas à un nationalisme chinois plus contemporain.
Alpinistes de Mao - Cédric Gras - Editions Stock
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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