Lundi Librairie : Crénom, Baudelaire ! - Jean Teulé



Enfant précoce, surdoué, le jeune Charles Baudelaire voue un amour exclusif démesuré à sa mère. Son remariage deux ans seulement après veuvage avec le commandant Aupick, futur général et sénateur d’Empire, lui brise le cœur. A partir de ce jour, il considérera toutes les femmes comme des salopes ! Plus tard, jeune homme provocateur, Charles indispose son entourage à tel point que son beau-père lui organise un voyage au long court durant deux ans. Le poète boudeur embarque plus de force que de gré sur un navire marchand direction les Indes via l’île Bourbon. Il s’ennuie, se plaint, méprise passagers et équipage, monte contre lui l’ensemble de ceux qu’il croise. A tel point qu’il parvient à convaincre le capitaine qui veillait sur lui à le renvoyer en France. 

A sa majorité, Charles perçoit l’héritage de son père, cent-mille francs or. Une fortune. Il dépense sans compter, jette l’argent par les fenêtres, multiplie les extravagances. Il fait la connaissance de sa muse à cette époque. Jeanne Duval, prostituée au passé mystérieux, peut-être originaire de Saint Domingue ou de la Réunion, vénus mercenaire d’1m84, lui refile la syphilis. Il lui fait subir les pires outrages, ils se battent, elle lui met des raclées. Alchimie destructrice et féconde. Ensemble, ils se promènent dans Paris et déchaînent les commentaires dans une société raciste marquée par l’esclavage. Le petit bonhomme d’1m65 et la grande femme noire fréquentent les restaurants les plus huppés.

Charles se drogue abondamment. Le matin, il ajoute une pleine cuiller de confiture de haschich, l’équivalent d’une barrette de shit, poursuit avec des gouttes de laudanum, pas plus de dix lui avait dit son pharmacien - à la fin de sa vie il en consomme mille-six-cent - poursuit avec de l’opium. Ces excès lui permettent d’accéder à des visions, se connecter avec ses propres démons. A ce train, au bout de deux ans, la moitié de l’héritage est dilapidé. Il est placé sous tutelle par ses parents. Il ne pourra plus disposer librement de cet argent. Le début d’une vie d’impécuniosité à fuir les huissiers, vêtu comme un prince.

Conteur truculent, Jean Teulé déboulonne les statues et redonne chair au mythe Charles Baudelaire (1821-1867). Le passeur d’histoire, vulgarisateur inspiré, donne pour titre à son récit, le juron « crénom », dernier mot prononcé en boucle par Baudelaire, victime d’une attaque cérébrale en mars 1866 et devenu hémiplégique. Le poète meurt à quarante-six ans, physiquement détruit par les excès, les psychotropes, l’alcool et la syphilis 

Avec gouaille, Jean Teulé désacralise la figure du génie, déboule dans l’intimité du poète présenté sous les traits d’un personnage narcissique, provocateur, misogyne. Il prend des libertés avec la chronologie et la biographie officielle, pour tracer le portrait d’un homme assez peu sympathique qui nourrit ses aigreurs, ses mesquineries et ne cesse de s’auto apitoyer sur son propre sort. Véritable orchidoclaste, ingrat envers ses proches, Baudelaire rançonne sans cesse sa mère, persécute par ses imprimeurs, insulte les passants, trahit son éditeur mécène, Auguste Poulet-Malassis surnommé Coco Mal Perché. Portrait sans complaisance d’un hypersensible cyclothymique, un drogué violent, un sadomasochiste à la sexualité débridée, Jean Teulé dit les outrances, la dépravation et un état mental sans cesse questionné.

Les poèmes extraits des « Fleurs du mal » ponctuent ce récit rabelaisien dont ils illustrent le propos, faire jaillir des perles de la fange. Petit musée des horreurs, l’hagiographie force le trait sur les éléments les plus étranges, cocasses. Baudelaire cultive sa part d’ombre, inapte au bonheur, obsessionnel, drogué au dernier degré. Le poète vérolé, premier punk de l’histoire, se teint les cheveux et promène un mouton rose en laisse. Si le dandy adore provoquer la réprobation de ses contemporains - il jouit de leur détestation - il n’en fréquente pas moins tous les cercles intellectuels des arts et des lettres, le salon d’Apollonie Sabatier, Théophile Gautier, Gustave Flaubert, Alfred de Musset, Eugène Delacroix, Gustave Courbet, Edouard Manet.

Cru, énergique, burlesque dans les grands désespoirs, l’irrévérencieux « Crénom, Baudelaire ! » raconte la volupté et le mal, la paillardise et le grotesque, la révolte perpétuelle, et la naissance d’une oeuvre vénéneuse essentielle.

Crénom, Baudelaire ! - Jean Teulé - Editions Mialet Barrault - Poche J’ai Lu



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.