Début août, un trentenaire est de retour dans la grande maison de famille où il a passé tous ses étés d’enfance. Il n’était pas revenu depuis huit ans, préférant les voyages entre amis plutôt que la Bretagne, le Finistère avec les oncles, les tantes, les cousins et les aïeux de cette tribu élargie. Il redécouvre les immuables paysages de sa jeunesse, singulière familiarité. Le décor inchangé de la vieille maison est hanté par le souvenir des générations successives, le portail blanc, la clé sous le pot, la chambre bleue, les armoires qui grincent, le sable au fond des lits. Le programme estival n’a pas changé, l’oisiveté et l’ennui léger à la plage, la pêche aux crabes à marée basse, les parties de foot, les promenades à vélo à travers la campagne, le feu d’artifice du 15 août, les bals populaires au village, la messe le dimanche pour faire plaisir à la grand-mère. Avec l’éloignement, la distance physique et psychologique, les retrouvailles en famille laissent apparaître un sentiment nouveau d’étrangeté. Cela fait longtemps. Malgré les liens du sang, les rituels inchangés, ils sont désormais quasiment des inconnus. Aujourd’hui, les oncles et les tantes ont les cheveux gris. Les cousins accusent leurs premières rides au coin des yeux. La grand-mère nonagénaire, presque centenaire, fragile veuve d’un marin au long cours, mélange les prénoms des arrière-petits-enfants. La tante Yvonne, la veuve de l’oncle Joseph, est la toute dernière paysanne de la famille. Et puis il y a François, l’oncle bricoleur, doux rêveur un peu excentrique et sa femme Catherine, si sérieuse. La belle Anne, la fille des voisins, toujours aussi troublante, est désormais fiancée. Attendri, le narrateur observe les jeux turbulents des enfants de ses cousins, l’apprentissage de la vie. L’affection prend le pas sur la pudeur. Le petit Jean, six ans, lui rappelle le gamin sensible et solitaire qu’il fut. Temps suspendu de la dernière quinzaine d’août bientôt la météo change, la rentrée s’annonce.
Roman contemplatif, exercice de nostalgie tendre et grave, « Que reviennent ceux qui sont loin », s’inscrit dans la musicalité d’une écriture élégante, mélopée sensorielle, descriptions ourlées. Observateur en retrait, le narrateur, double de fiction, laisse affleurer l’émotion du souvenir au fil des paysages du Léon à la beauté saisissante. Pierre Adrian capture la saveur particulière d’une nostalgie heureuse, une mélancolie solaire aux indéniables accents proustiens. Il raconte la maison port d’attache, les racines, le fief de l’enfance, pose des mots inspirés sur les réminiscences d’un paradis perdu, celui de l’insouciance.
Douceur feutrée, vertige d’une fin annoncée, celle de l’innocence, le romancier compose des tableaux d’été, langueur de la saison, sensualité, rites de passage. Les paysages sont les mêmes mais les êtres ont irrémédiablement changé. Le narrateur se voit tout d’un coup vieillir à travers les autres, les générations mêlées, réunies pour ces quelques semaines. Il prend conscience du temps qui passe, de la maturité gagnée. Il est devenu sérieux un peu ennuyeux même. A son tour, il est l’oncle, « le père sans enfant » et lui vient l’idée de la transmission avec cet émouvant neveu.
Processus universel, Pierre Adrian dit définitivement adieu au monde de l’enfance, à celui de la jeunesse. Les émotions affleurent, à peine une douleur, une crispation légère. Il décrit le sentiment d’appartenance au clan et celui de délitement. Contemple ce qui change, impermanence des choses, fragilité de la vie, le bonheur éphémère. La grand-mère va bientôt disparaître. Les fermes sont rachetées par des Parisiens, les maisons paysannes deviennent des résidences secondaires. L’été en pente douce bascule, la parenthèse enchantée prend fin abruptement avec le pressentiment d’un drame car la vie est tragique. Déchirant, merveilleux roman.
Que reviennent ceux qui sont loin - Pierre Adrian - Editions Gallimard
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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