Expo : Difé - Minia Biabiany - Palais de Tokyo - Jusqu'au 8 janvier 2023


L’exposition « Difé » imaginée par Minia Biabiany au Palais de Tokyo, sous le commissariat de Yoann Gourmel, prolonge et complète l’installation présentée dans le cadre de l’évènement collectif « Shéhérazade, la nuit ». Les œuvres de la plasticienne déchiffrent les tensions du territoire caribéen et soulèvent des questionnements identitaires. Dans une volonté de reconsidérer les luttes passées désormais placées sous silence, elles remettent en question l’héritage géopolitique. Minia Biabiany invite à une prise de conscience. La structure de ses installations reprend dans la forme le concept d’opacité du récit officiel afin de dénoncer les modèles normatifs façonnés par la colonialité. Elle nous parle de la mémoire de l’esclavage, du scandale sanitaire du chlordécone, exploitation des corps et de la terre, du déracinement des populations et de la racialisation des rapports sociaux. « Difé », le feu en créole, raconte l’histoire d’un territoire martyr. A l’ombre du volcan, la Soufrière, la Guadeloupe a été modelée par l’activité volcanique, surgissement des îles, sols enrichis et nature généreuse. Les terres autrefois fertiles ont été irrémédiablement polluées par les pesticides. Le chlordécone utilisé en toute conscience de sa dangerosité par les industriels de l’agroalimentaire, avec la complicité de l’Etat français, empoisonne les populations, les condamne à la maladie, aux handicaps sévères. 

Les installations immersives de Minia Biabiany font appel aux sensations, aux émotions, expérience physique d’une narration politique ancrée dans l’histoire de la Caraïbe. Née en Guadeloupe à Basse-Terre en 1988, Minia Biabiany vit et travaille entre le Mexique et Saint-Claude. Dans le prolongement de son travail plastique, en tant que chercheuse elle conçoit des outils pédagogiques d’apprentissage autonome. Ses œuvres interrogent les implications d’une représentation biaisée du monde. Minia Biabiany éclaire sous un angle plastique la violence insidieuse des stratégies d’assimilation qui engendrent uniformisation, acculturation, négation des identités, de l’altérité. Elle affirme, dénonce, s’indigne afin d’initier un processus de guérison. 








Minia Biabiany croise les pratiques, les médiums, installation, vidéo, graphisme, sculpture, modelage, savoir-faire artisanaux traditionnels. Sa démarche phénoménologique met l’accent sur un mode perceptif plutôt que représentatif. Par cette approche sensorielle immersive, elle créé des paysages psychologiques, enchevêtrement des récits. Les trames narratives sensibles déconstruisent les représentations héritées des systèmes de domination passés ou actuels, coloniaux ou patriarcaux. Minia Biabiany propose une expérience de l’art comme moyen de résistance.

La déambulation à travers l’installation « Difé » trace les frontières d’un nouveau territoire insulaire, archipel de l’imaginaire. Les fils tendus, ramifications, lignes de fuite pose la question d’où regarder, où se placer. Minia Biabiany emploie des éléments dont la charge symbolique engendre les conditions nécessaires à la prise de conscience, résonances culturelles, historiques, métaphoriques.







Le visiteur convié à parcourir l’espace doit faire attention aux pièces dont la prolifération, au sol, sur les murs, évoque les cabinets de curiosité et suggère différents niveaux de lecture. Les objets posés, suspendus, accrochés, jouent sur la perception entre la fixité et la mobilité, le frémissement. Minia Bibiany livre une conception vivante de son oeuvre. Elle associe des éléments culturels et naturels, allégories de la réalité, de la mémoire et de la fiction. 

Le caractère brut des matériaux hétéroclites, outils de narration, contribue à dénoncer les héritages culturels dominants, fruits de l'histoire coloniale, et à nourrir un nouveau récit social. Les éléments naturels, fleurs de coton, tiges de bambou, feuilles et bois de bananier côtoient les matériaux transformés, les productions artisanales, tressages, nasses de pêcheur, objets en céramiques, mats en tiges de métal, en bois, verre, tissus. La minutie de la forme précise l’agencement, fait résonner la mémoire des choses. 








Les feuilles de bananier séchées, les troncs, les branches, les fleurs, évoquent la terre empoisonnée par le chlordécone, pollution que les scientifiques estiment de quatre à six siècles. Les traces durables dans l’environnement des violences infligées au territoire et aux populations traduisent un rapport à la nature destructeur. Le chlordécone, pesticide utilisé dès les années 1970 par les acteurs de l’agroalimentaire pour lutter contre le charançon dans les exploitations de bananiers, a dévasté les sols de la Guadeloupe. 

La politique de monoculture, menée afin d’alimenter les exportations de bananes vers la Métropole, a engendré un tel déséquilibre que les producteurs ont eu recours à un produit hautement toxique pour l’être humain, le chlordécone. Dès les années 1980, l’Etat français complice prend connaissance de la dangerosité de ce pesticide. Des dérogations sont accordées aux industriels de l’agroalimentaire afin d’utiliser ce produit. La nocivité est telle qu’aujourd’hui 90% de la population est contaminée, provocant cancer chez les hommes, retards mentaux chez les enfants. 







Au Palais de Tokyo, la circulation imposée de « The lenght of my gaze at night », module de l’exposition collective « Shéhérazade, la nuit », suggère au visiteur de prendre part au récit de l’artiste. Le parcours ralenti par les amalgames de sable volcanique oblige à plus d’attention, éveille les sens. 

Minia Biabiany propose des moyens plastiques, esthétiques de formaliser la pensée décoloniale. Interprétation éthique, politique du réel contemporain, elle décrypte à un niveau philosophique et poétique les rapports aux territoires caribéens, dominés sous assimilation

Difé - Minia Biabiany 
Jusqu’au 8 janvier 2023

Palais de Tokyo 
13 avenue du Président Wilson - Paris 16
Tél : 01 81 97 35 88
Horaires : Du mercredi au lundi de midi à 21h - Fermé le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.