Lundi Librairie : L'enfant chat - Béatrix Beck

 

Olga Bredaine, veuve sans enfant, enseignante à la retraite, mène une vie paisible et solitaire. Sa voisine, la Mère Herbe, une vieille femme un peu sorcière, excentrique quasiment retournée à l’état sauvage, lui confie sans lui demander son avis un minuscule chaton pas encore sevré. Séduite par la si jolie créature prénommée Soizic, Olga accepte de prendre soin de la petite chatte trop jeune pour survivre seule. Elle l’entoure de soins maternels, la considère comme sa fille. La chatte grandit et bientôt prononce ses premiers mots. Interloquée, la vieille dame se demande si elle ne perd pas la raison. Mais le minuscule félin se met à parler pour de bon. La chatte manifeste un caractère bien trempé et l’envie d’être traitée comme une enfant humaine. Elle veut des vêtements pour s’habiller, une assiette plutôt qu’un bol. La rumeur se répand. Le voisinage manifeste sa désapprobation. Les enfants se pressent pour découvrir le chat qui parle. Seule Wendy, gamine intelligente, parvient à apprivoiser Soizic et obtient le privilège de converser avec elle. La chatonne exige alors d’aller à l’école avec sa nouvelle amie. 

Court récit plein de tendresse et de poésie, « L’enfant chat » joue sur l’intrusion du fantastique dans le quotidien. Ce conte insolite prend racine dans une rassurante familiarité, à peine troublée par les incongruités de la métamorphose du chaton parlant. Les écrits animaliers se détachent volontiers du réalisme. Le pas de côté entraîne le lecteur vers le domaine de la fable. 

Histoire merveilleuse d’une chatte qui rêve d’être une petite fille, histoire d’une vieille dame sans enfant qui rêve d’avoir une petite fille, le transfert s’inscrit en double-sens. Béatrix Beck distille le doute. Elle se penche sur ses personnages attachants avec tendresse et compassion. L’humour des dialogues, la sensibilité des observations, la plume élégante confèrent au texte une puissance poétique remarquable. 

Le surgissement du surnaturel dans la vie de tous les jours s’incarne dans un chat doué de parole qui revendique le statut d’enfant. Les évènements merveilleux bouleversent le rapport au monde. La créature fragile, mal-aimée, abandonnée est secourue tout d’abord par la Mère Herbe, puis par Olga et Wendy, l’enfant-fée, elles-mêmes des êtres en décalage avec la société des Hommes. 

Soizic, chatte malicieuse multiplie les caprices auxquels se plient ses sauveuses. Le félin change pour échapper à sa condition initiale d’animal mais ne parvient pas à surmonter sa nature. Lorsque la chatonne revêt les oripeaux humains s’opère une véritable dissonance qui transforme la créature gracieuse en enfançon maladroit et insatisfait. Hybridation incomplète. 

Le chat qui parle et va à l’école ne soulève pourtant pas tellement d’interrogations. Béatrix Beck brouille volontairement la frontière des mondes, entre animalité et humanité. Elle autorise les aller-retours entre les espèces, les identités flottantes, sans pourtant marquer d’intentions anthropomorphiques. La chatte garde un instinct d’animal qui se manifeste dans son comportement, sa logique existentielle, son rapport aux autres. Elle conserve une vitalité presque inquiétante de prédateur, une insouciance. Cette inconséquence confine à l’égoïsme primordial de l’animal qui accède immédiatement à ses désirs. Fantaisie, tendresse, un roman aussi émouvant que drôle.

L’enfant chat - Béatrix Beck - Editions Grasset Collection Les Cahiers Rouges



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.