Lundi Librairie : L'homme qui pleure de rire - Frédéric Beigbeder


Octave Parango, publicitaire dans les années 1990, chasseur de mannequin dans les années 2000, désormais quinqua dépassé par l’époque, s’est réinventé amuseur public. Françoise Bachelot, directrice des programmes de la radio France Publique, lui a offert à l’antenne une carte blanche hebdomadaire. Elle compte sur l’insolence dadaïste, le dandysme impertinent de ce mauvais sujet turbulent pour faire rire tous les jeudis dans la matinale, la case horaire la plus écoutée. Beaucoup trop tôt pour le noctambule. Octave Parango fait face aux journalistes vedettes, Nathan Dechardonne, Laura Salomé, sympathise avec Antonin Tarpenac et se confronte aux nouvelles stars : les fonctionnaires de l’humour qui dénigrent le système mais sont devenus le système, Sabrina Rama, William Morris, Charlotte Vandermeer… Un matin, lendemain d’émeutes des gilets fluo sur les Champs Elysées, Octave débarque en studio, à la suite d’une nuit blanche décadente, sans texte, les mains dans les poches. La séquence de trois minutes improvisée, chronique gueule de bois embarrassante, signe un sabordage en direct. Dans la journée, Octave est remercié. Il retrace les déambulation noctambules qui ont mené à ce moment de radio embarrassant : le Carré d’or envahi par les manifestants, trop de cocktails bus au Fouquet’s, un parfum Tom Ford acheté chez Séphora, une danseuse mariée et fidèle au retrouvée au Crazy Horse, l’alcool, la drogue, les créatures, puis un atterrissage mouvementé dans la nouvelle boîte à la mode le Medellin.

Personnage médiatique, jeune homme dérangé depuis plus de trente ans, Frédéric Beigbeder cultive son image de dandy mélancolique afin d’éclipser sa réputation de noceur. Après avoir écumer les nuits parisiennes, abuser des substances illicites, séduit les femmes, il vit désormais à Guéthary, bon père de famille. Derrière sa nonchalance de façade, l’homme soucieux du monde tel qu’il va, inquiet du temps qui passe, de l’âge qui vient, se révèle dans cette nouvelle autofiction. Le troisième volet de la série Octave Parango au titre provocateur une émoticône, un smiley « L’homme qui pleure de rire », redonne la parole à ce double de fiction, mondain désabusé dépassé par l’époque, frappé de désenchantement plutôt que d’aigreur. Plume acide, lucidité caustique, acuité du regard porté sur la société, il laisse transparaître une certaine nostalgie de la jeunesse. Désormais, le romancier a pris du recul sur cette quête effrénée de la jouissance, et considère ces frasques comme passées, l’époque où il défrayait la chronique révolue. 

Ce nouveau pamphlet sociologique volontiers burlesque, essai autobiographique essai sur les aliénations contemporaines se double d’un art de la satire remarquable, exercice auquel il se plie comme première victime. Futilité assumée, gravité de celui qui se souvient de sa mort prochaine, savoureuse érudition en bandoulière, Frédéric Beigbeder s’engage avec malice dans le récit d’une nuit d’errance, narration décalée propice à l’autodérision. Le personnage d’Octave Parango a réglé pour de bon la misanthropie naissante de l’écrivain lequel considère avec lucidité sa condition d’enfant gâté. Attachant, émouvant, il y pratique l’humour politesse du désespoir, définitivement détaché du politiquement correct. 

Par le biais de l’autofiction, tribulations véritables et authentique scandale radiophonique, Frédéric Beigbeder tend un miroir à une société désabusée marquée par la fin des utopies et l’absence d’idéal. Il observe en périphérie le mouvement des gilets jaunes, s’interroge sur la désobéissance de nos jours, la cancel culture, Me too. Et règle ses comptes avec les humoristes de France Inter, qu’il considère comme des rebelles conformistes. L’ironie du comique radiophonique distrait l’attention des foules des véritables problèmes. Le romancier dénonce la nouvelle tyrannie du rire, la dérision permanente, le vide idéologique qui se dissimule sous la bonne conscience de gauche, le prêt-à-penser, la bien-pensance. Usure des provocations, illusion de la liberté d’expression, société du spectacle à son apogée, le divertissement est devenu un asservissement.

L’homme qui pleure de rire - Frédéric Beigbeder - Editions Grasset - Poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.