Expo Ailleurs : François Boisrond, une rétrospective - Musée Paul Valéry - Sète - Jusqu'au 6 novembre 2022

 


Le nom de François Boisrond a longtemps été attaché à celui de la Figuration libre, mouvement auquel il a contribué dans les années 1980 auprès de Robert Combas, Hervé et Richard Di Rosa, Rémi Blanchard. Ensemble, ils ont revivifié la scène artistique française par un retour expressionniste à la figuration, en réaction au minimalisme de l’art conceptuel. Simplification des traits, aplats de couleurs, emprunts à l’esthétique des médias de masse, de la bande-dessinée, la publicité, la télévision, les joyeux trublions de l’art contemporain ont déconstruit les notions de hiérarchie entre beaux-arts et culture populaire. En quête de renouveau, François Boisrond, l’électron libre, a, par la suite, tracé sa propre voie. Durant ses dernières quarante année de carrière, il n’a cessé de repenser sa pratique dans un processus de perpétuelle expérimentation. Son oeuvre emprunte les chemins d’une chronique biographique élargie à toute la société. De la rue à l’atelier, de la chambre aux musées, lieux où s’expriment sa fascination pour les maîtres anciens, ses instantanés du quotidien croisent l’histoire de l’art pour mieux saisir la complexité du monde. 

Le Musée Paul Valéry consacre une grande rétrospective à François Boisrond, un voyage chronologique au gré de périodes successives marquantes, étapes majeures de sa réinvention. Les cent-quatorze œuvres réunies, florilège révélateur issu des collections du Musée d’art moderne de la ville de Paris, de Rennes, d’Antibes, de Toulouse, de galeries privées françaises et européennes, illustrent sa démarche en six séries marquantes. Elles éclairent l’art et la vie intimement intriqués, un sens aigu de la composition, un regard décalé, un humour volontiers narquois, expression picturale irrévérencieuse d’une certaine intranquillité. Le parcours étonnant rend compte des métamorphoses de l’artiste, de sa radicalité. Au gré des évolutions formelles, il diversifie sa pratique et manifeste un goût pour le renouvellement des perspectives. François Boisrond, artisan au service d’une passion, artiste ancré dans son temps, appuie depuis toujours sa recherche plastique sur les technologies les plus récentes et particulièrement celles liées aux images numériques. 











François Boisrond nait en 1959 dans une famille de cinéma. Fils de Michel Boisrond scénariste et réalisateur incontournable des années 1970-80, et d’Annette Wademant scénariste de Max Ophüls, Henri Verneuil, Philippe Garrel, il est le frère de Cécile Boisrond également scénariste et réalisatrice. Plus tard, il épouse Myriem Roussel, comédienne remarquée chez Jean-Luc Godard. Décomposition des images, juxtapositions poétiques, correspondances initiées en sous-texte, l’oeuvre de François Boisrond emprunte souvent à la forme cinématographique.

L'étape initiale de la rétrospective qui se tient au musée Paul Valéry évoque la période héroïque « 1979-1987 Départ en figure libre ». A dix-neuf ans, François Boisrond entre à l’Ecole des Arts décoratifs dans la section vidéo et film d’animation où il s’éprend presque paradoxalement de la peinture. Il y rencontre Hervé Di Rosa qui lui présente Robert Combas, Rémi Blanchard. « La bande des quatre » de la Figuration libre s’inscrit dès 1981 dans le rejet du discours dominant de l’art contemporain. A rebours des propositions minimalistes de l’art conceptuel des années 1970, ils embrassent les images de la culture populaire, simplifient les formes, s’attachent à la vitalité des couleurs primaires, produisent des œuvres synthétique d’une grande lisibilité. 

Les premiers tableaux de François Boisrond rendent compte de cette stylisation formelle, de la schématisation des figures. Il peint à l’acrylique, avec des pots de couleurs industrielles, sur des toiles mais également beaucoup sur des matériaux de récupération, bâches, cartons, journaux qui ouvrent les niveaux de lecture. Acteur de la Figuration libre, il déconstruit les représentations. La force expressive bouscule les hiérarchies, emprunte à l’art brut, à l’esthétique publicitaire de l’affiche, de la bande-dessinée, du Pop art. François Boisrond cultive sa réflexion en détournant les signes contemporains dans des sortes de rébus. Il souligne les silhouettes de noir. Le dessin se caractérise par un trait noir à la façon de la ligne claire. Le contour isole les cellules colorées dans un graphisme évocateur de celui employé par la publicité. 

Le second volet « 1987-2000 Quotidien d’un Parisien » convoque l’idée d’un artiste au cœur de la ville. Lors de ses trajets à vélo à travers Paris, François Boisrond saisit des instantanés de vie, capte la vibration du quotidien. Il recherche des sujets, susceptibles d’éveiller son désir de peindre. Il observe les passants, les riverains, les travailleurs dans leur cadre. Il se penche vers la contractuelle, le balayeur, note les préparatifs pour le Bicentenaire de la Révolution française, s’intéresse au marché de quartier dominical. François Boisrond descend dans la rue. Dans une démarche naturaliste, il y prélève la matière du réel pour nourrir son art, sa vision du monde. Il prend des photographies au polaroïd en guise d’étapes préparatoires des œuvres à venir. En 1989, le tableau « La FIAC » propose un panorama ludique de l’art contemporain. A travers les allées de la foire, François Boisrond identifie les grands acteurs du secteur par leurs œuvres les plus iconiques. La série des télévisions, celle des panneaux Decaux, détournent les slogans, décalent les symboles de la société de consommation et du capitalisme. En filigrane, l’humour est omniprésent. François Boisrond s’engage dans une nouvelle voie, celle de l’image dans l’image. Par le biais des écrans ou des panneaux publicitaires, il provoque des effets de distanciation. Ces détournements lui permettent d’aborder des thématiques classiques, le paysage, le nu, la nature morte, le portrait.











La troisième étape de la rétrospective « 1992-2007 Tout l’univers des arts » vient faire dialoguer l’intime et l’universel. François Boisrond explore sa relation personnelle à l’histoire de l’art, comment l’héritage des maîtres marque les imaginaires contemporains. Il passe alors beaucoup de temps au Louvre dans un exercice d’admiration inspirant. Les copies des chefs-d’œuvre tels que « Le Déjeuner sur l’herbe » 1995 d’après Manet tiennent de l’hommage et de la facétie. « Pierrot / Gilles » d’après Watteau se transpose en triptyque, « Gilles au Louvre », « Gilles à la Fiac », « Gilles à la télévision » un peu comme les Martine, initiant une réflexion sur la pratique artistique. 

Poursuivant sur cette voie, François Boisrond superpose dans une nouvelle série deux images différentes, l’une empruntée à l’encyclopédie populaire Tout l’univers, empruntée aux planches illustrées arts et lettres, l’autre puisée dans le quotidien de l’artiste, souvent une vue d’atelier. Les effets de transparence troublent la perception, propose une nouvelle analyse de l’image originelle. 

La quatrième escale « 1999-2014 séries Biennales et musées », interroge le statut de la peinture dans le cadre de l’art contemporain. En 1999, François Boisrond devient maître d’atelier aux Beaux-Arts de Paris. Il adopte les outils numériques et révolutionne sa pratique. Armé de sa caméra HD, il décompose les images pour reconstituer celle qui correspond à son souvenir, recomposant la vue à partir de plusieurs plans associés. 











Cinquième volet, « 2003-2019 Passion » s’inspire du travail de Jean-Luc Godard sur son film « Passion » sorti en 1982. Long-métrage dans lequel débute Myriem Roussel, future épouse de François Boisrond. Par cette étude, le réalisateur cherche à transposer la peinture dans une oeuvre cinématographique. Il met en scène des tableaux vivants. François Boisrond renverse le concept, la technologie numérique permet de transformer l’image en mouvement en objet pictural. Il fait poser sa femme en reprenant une scène tournée pour Godard, afin de réaliser « La Petite Baigneuse », toile inspirée du « Bain turc » d’Ingres. En 2011, à l’occasion de la dixième Nuit Blanche, les œuvres de François Boisrond sont exposées au Louvre tandis que sont diffusés des extraits du film.

Dernière halte de la rétrospective, « 2016-2022 Vers les maîtres, Uniformes et Vies des Saints », traduit l’engouement de François Boisrond pour les grands maîtres. L’artiste a fait appel à ses élèves des Beaux-Arts pour incarner ses sujets. Le temps de captations uniques, François Boisrond transforme son atelier en plateau de tournage afin de filmer des tableaux vivants avec une caméra HD. Des jeunes femmes en uniformes, hussards, dragons, coiffées de képi, de casques à pointe, habitent d’extravagantes mises en scène aux côtés d’animaux, d’accessoires improbables. Une fois le film enregistré, François Boisrond fait des arrêts sur image. Ces captures d’écran retravaillées sur ordinateur forment la base de travail. Les images numériques sont utilisées comme études préparatoires qui donnent naissance à des oeuvres post-cinématographiques, des clairs-obscurs pointillistes à l’acrylique comme à la peinture à l’huile, une lumière à la Vermeer, à la Caravage. Par ce biais, il soulève la question de la technique, du rapport du peintre à la réalité. Le répertoire formel des grands maîtres classiques, les compositions traditionnelles sont détournées par l’utilisation des nouvelles technologies qui reproduisent la matière, la densité, les couleurs. 

La série inédite « La vie des saints » puise directement dans l’iconographie de la peinture religieuse. Il revisite les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, s’inspire des classiques qu’il détourne. Son « saint François d’Assise » est inspiré d’une œuvre de Georges de La Tour ainsi que sa « Madeleine pénitente ». Il a peint son beau-père en saint Jérôme lisant un livre de Bourdieu.  

François Boisrond tiendra résidence au Musée Paul Valéry, au mois de juillet et au mois de septembre, dans son atelier transporté au cœur des espaces d’exposition, où il a planté sa tente d’alpiniste. L’occasion pour cet artiste discret d’initier le dialogue avec les visiteurs, leur permettre de suivre les étapes successives de la création et de lever le mystère du peintre pour mieux appréhender la complexité d’une carrière singulière.

François Boisrond, une rétrospective
Jusqu’au 6 novembre 2022

Musée Paul Valéry 
148 rue François Desnoyer - 34200 Sète
Tél : 04 99 04 70 00
Horaires : Du 1er avril au 31 octobre, ouvert tous les jours de 9h30 à 19h - Du 4 novembre au 31 mars, ouvert tous les jours, sauf le lundi de 10h à 18h
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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.