Théâtre : Vernon Subutex 1, d’après le roman de Virginie Despentes - Mise en scène Thomas Ostermeier - Odéon - Théâtre de l'Europe - Du 18 au 26 juin 2022

 

Dans les années 1980, Vernon Subutex était une figure incontournable de la scène punk-rock. Disquaire de la contre-culture, il prêchait la bonne parole au sein de sa célèbre boutique Revolver. La dématérialisation de la musique, la révolution numérique ont sonné le glas de son activité. En plein crise du disque, Vernon n’a trouvé de réinsertion possible. Depuis il survit, petites combines, revente de sa collection personnelle de vinyle et d’affiches et débrouille. Il mène une existence à la marge depuis qu’il a perdu son métier. Toutes ces années, il a pu compter sur Alex Bleach, un ami d’enfance, rock star planétaire, qui réglait son loyer pour l’aider. Lorsque le musicien meurt d’une overdose, il laisse à Vernon une vidéo testament que l’ancien disquaire dévasté se refuse à regarder. Expulsé de son appartement, sans domicile, il reprend contact avec d’anciens amis, ceux qui ont tourné la page de leur jeunesse rebelle. La vie n’a épargné personne. Ils ont abandonné leurs idéaux anarchistes et ne sont plus que ressentiment, aigreur, médiocrité. Vernon squatte les canapés des uns des autres. Leur patience s’amenuise tandis que la situation se pérennise. Il dérange leur confort petit bourgeois et finit dans la rue. 





Avec cette adaptation théâtrale du premier tome de la trilogie « Vernon Subutex », roman de Virginie Despentes publié en 2015, le metteur en scène allemand Thomas Ostemeier, co-directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, renoue avec son appétence particulière pour la littérature contemporaine française. Après « Retour à Reims » de Didier Eribon en 2017, « Histoire de la violence » d’Edouard Louis en 2020, il s’attaque au texte affûté, rageur de Despentes, portait au vitriol de la société contemporaine. La pièce interroge l’identité, le genre, les formes de domination, la brutalité de l’époque. Cette fresque naturaliste, âpre et crue, déjà adaptée en série pour Canal + avec Romain en 2019, en bande-dessinée par Luz en 2020, prend une envergure alternative sur la scène de l’Odéon - Théâtre de l’Europe dans une version en allemand surtitré en français, (en anglais le 25 juin), interprétée par la troupe de la Schaubühne. 

Thomas Ostemeier renoue avec un ancrage politique engagé dans un récit choral désenchanté, porteur d’une esthétique radicale. Fidèle au texte originel, cette critique du libéralisme questionne la notion de classe sociale par le biais d’un spectre sociologique étendu, une galerie de personnages somme toute assez peu sympathiques, incarnation du renoncement, du formatage des individus. Prolos et bourges, quadra et quinqua dépassés, rentrés dans le rang après une jeunesse rebelle dans les milieux de la contre-culture, des vingtenaires en quête d’identité fourvoyés, illustrent la fin d’une ère, la déconstruction des liens, les clivages sociaux, les inégalités, les mécanismes de la violence exercée sur les classes populaires.




Sur scène, onze comédiens se donnent la réplique tandis qu’un douzième intervient en vidéo. Quatre musiciens les accompagnent. Sur un plateau tournant Henri Maximilian Jakobs, Ruth Rosenfeld, Taylor Savvy, Thomas Witte jouent en live. Leurs morceaux, véritable identité musicale, rythment le spectacle et soulignent le propos sur la disparation de la contre-culture rock. Désormais, les groupes ne se produisent plus dans les salles mais ils sont présents via des vidéos sur les réseaux sociaux. 

Vernon personnage fragile, mélancolique, peu de talent pour la survie, perd ses illusions, sa passion, la musique. Peu à peu, il se replie sur lui-même marqué par les deuils, la perte de ses illusions, la mort des amis, les rêves de jeunesse détruits. Avec humanité, empathie, la pièce dit la dérive d’un homme, la précarité, la détresse. Message nostalgique et corrosif. 

Vernon Subutex 1, d’après le roman Vernon Subutex Tome 1 de Virginie Despentes
Du 18 au 26 juin 2022

En allemand, surtitré en français
Durée 4h15 - 2h10 / entracte / 1h50

Mise en scène Thomas Ostermeier
Avec Thomas Bading, Holger Bülow, Stephanie Eidt, Henri Maximilian Jakobs, Joachim Meyerhoff, Bastian Reiber, Ruth Rosenfeld, Julia Schubert, Hêvîn Tekin, Mano Thiravong, Axel Wandtke, et Blade AliMBaye (en vidéo) 
Les musiciens Henri Maximilian Jakobs, Ruth Rosenfeld, Taylor Savvy, Thomas Witte

L’Odéon - Théâtre de l’Europe
2 rue Corneille - Paris 6
Tél : 01 44 85 40 40



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.