Expo Ailleurs : Les pionniers du livre imprimé, trésors germaniques du Cabinet des Livres - Musée Condé - Château de Chantilly - Jusqu'au 2 octobre 2022

 

L’exposition « Les pionniers du livre imprimé, trésors germaniques du Cabinet des Livres » rend compte de la richesse des collections cantiliennes initiées par le legs d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), à l’Institut de France. Bibliophile averti, le fils de Louis-Philippe se prend de passion pour les débuts de la typographie, et tout particulièrement les incunables, les livres imprimés avant 1501. La réputation des pièces françaises et italiennes souvent exposées avait pu éclipser l’importance des imprimés germaniques Renaissance, plus fragiles et moins montrés. L’opulente sélection présentée au Musée Condé replace ce pan exceptionnel de l’histoire de l’imprimerie au cœur de la réflexion scientifique menée à Chantilly, relecture d’une période riche en innovation technique et esthétique. En collectionneur érudit, le duc d’Aumale développe un goût particulier pour la rareté, la condition exceptionnelle, la qualité de l’exécution, la beauté des gravures. L’achat ponctuel d’exemplaires isolés complète ses collections mais l’essentiel du fonds se compose d’ouvrage provenant de la bibliothèque de Frank Hall Standish (1799-1840). Ce grand collectionneur britannique, lègue ses collections de livres et d'art à Louis-Philippe (1773-1850) alors roi des Français. Une partie est alors exposée au Louvre. Au lendemain de la Révolution de 1848, Louis-Philippe revendique la restitution de ces œuvres à titre de propriété privée. L’ensemble est vendu aux enchères en 1851 lors du règlement de succession du monarque déchu. Son fils le duc d’Aumale parvient à acquérir la presque totalité de la bibliothèque Standish, soit trois-mille-cinq-cent-quatre volumes. Les pièces remarquables rendent compte de la révolution de l’imprimerie au milieu du XVème siècle. Evocation émouvante, les livres aussi rares que précieux exposés au Cabinet des livres de Chantilly illustrent avec force l’essor foudroyant de l’imprimerie - à peine une vingtaine d’années - à travers toute l’Europe depuis le Saint Empire romain germanique.







Les ateliers typographiques des grandes villes germaniques, foyers de la diffusion d’une technique de reproduction à grande échelle, ont dans une certaine mesure permis de démocratiser l’accès au savoir favorisant l’évolution de la pensée en Occident. Jusqu’en 1440, la reproduction des livres se limite grossièrement à la copie manuscrite. Au XIIIème et au XIVème siècles, les monastères ont organisé des ateliers de copistes d’une efficacité remarquable grâce à la répartition des tâches. Pourtant ces ouvrages demeurent peu accessibles à la société laïque. 

L’intérêt croissant pour les livres, des exemplaires reproduits à l’identique est le fruit de plusieurs phénomènes. La multiplication du nombre d’abbayes bénédictines et le développement des universités rendent la production des ateliers de copiste insuffisante. La demande concernant les bibles universitaires, les textes scolastiques, les manuels de pastorale, les traités juridiques à utilisation professionnelle quotidienne explose. L’éclosion d’une société urbaine érudite conduit à la constitution de bibliothèques privées. Les premières acquisitions sont souvent des livres de dévotion personnelle, les livres d’heure. Puis viennent les ouvrages de divertissement tels que les romans de chevalerie destinés à une clientèle laïque, cultivée et fortunée. 






L’ouverture de ce nouveau marché auquel répondent les innovations rend possible l’invention de l’imprimerie. Les premiers livrets xylographiques exploitent une technique dérivée de l’impression sur textile. Les blocs taillés dans le bois, dessins en relief, encrés, permettent de reproduire des images pieuses, quelques lignes de texte. Mais les limites sont rapidement atteintes. Fragilité des matériaux, complexité de la taille, la gravure sur bois mène à une impasse et ne permet pas la reproduction précise de texte. Afin d’imprimer des livres à des centaines d’exemplaires, la convergence des technologies sera nécessaire. 

Dès le XIIIème siècle en Italie puis le XIVème dans le reste de l’Europe, le papier, obtenu à partir de la fermentation de chiffons, remplace progressivement les très onéreux parchemins en peau de mouton ou de veau. Cette nouvelle matière en provenance d’Orient permet de franchir une première étape dans la réduction des coûts. Dans un deuxième temps, les imprimeurs réinventent une machine mécanique à bras, dont le modèle s’inspire des presses utilisées par les vignerons de Rhénanie depuis l’époque romaine. 

L’utilisation de caractères mobiles métalliques afin de reproduire des textes est attesté dès le XIVème siècle en Corée, le XVème en Chine. Tandis que les connaissances se diffusent, les pionniers européens de la fin du XVème siècle empruntent au savoir-faire des orfèvres pour créer à leur tour des caractères typographiques mobiles. Fondus en alliage métallique, ils rendent possible les compositions les plus longues, les plus complexes. L’élaboration d’une encre grasse et fluide complète les étapes nécessaires à la conjonction des technologies et à la création de l’imprimerie. 







L’essor de l’imprimerie depuis le Saint Empire romain germanique suit le parcours des ouvriers spécialisés qui traversent l’Europe : Mayence vers 1453, Bamberg en 1458, Strasbourg vers 1460, Cologne en 1466, Augsbourg en 1468, Nuremberg en 1470 puis l’Italie. En France, le Collège de la Sorbonne à Paris et sa puissance faculté de théologie développe son propre atelier dirigé par Ulrich Gering, Martin Crantz, Michael Fribruger. Le premier livre, Les lettres de Gasparin de Bergame, est imprimé en 1470.

Le Cabinet des livres expose les lettres d’indulgence issues des presses de Gutenberg et datées de 1453, produites avec les tout premiers caractères mobiles du célèbre inventeur. Ces documents exceptionnels côtoient les essais d’impression en trois couleurs, datant de 1459, par Schöffer ancien apprenti de Gutenberg, une Bible à quarante-deux lignes de 1462.

Le duc d’Aumale détenait dans sa collection, quatre livres xylographiques parmi lesquels le Liber Regum, entièrement gravé sur bois vers 1460, acquis à Londres en 1857. Dans les vitrines du Musée Condé, La Chronique de Nuremberg, de 1493, écrite en latin par Hartmann Schedel, a été imprimée à Nuremberg par Anton Koberger en collaboration avec les peintres Michael Wolgemut - maître d’Albrecht Dürer - et Wilhelm Pleydenwurff, pour le compte de Sebald Schreyer (1446-1503) et son beau-frère Sebastian Kammermeister (1446-1520), deux marchands fortunés. 

Le remarquable Missel des Fugger a été édité à Augsbourg en 1510 par Erhard Ratdolt, pionnier bavarois. Précurseur, il est le premier à ajouter des gravures, des illustrations produits grâce à des planches gravées et non plus des enluminures réalisées à la main. Le Missale Augustense est aux armes des Fugger, une famille de banquiers qui a investi dès les prémisses dans l’industrie de l’édition. Cet ouvrage est considéré comme le plus bel imprimé germanique enluminé conservé en France.






La richesse des collections cantiliennes permet de juxtaposer les manuscrits et les incunables. L’exposition éclaire les prises de risques, les audaces esthétiques, formelles et techniques qu’explorent les ateliers d’imprimerie allemands. Parmi les pièces les plus marquantes se trouvent les premiers exemples de pages de titres, de colophon, de pagination, de typographie complexe. Les cartes et vues topographiques fournissent des exemples frappants d’innovation dans le domaine de l’illustration.

La production de masse des textes imprimés, permet le développement de genres alternatifs, l’édition de livres inédits. La notion de ligne éditoriale prend son essor tandis qu’apparaissent de nouvelles figures de la pensée tels que les imprimeurs humanistes à l’instar d’Amerbach ou les intellectuels engagés comme Sebastian Brant. Le nom des auteurs, des artistes, des graveurs deviennent des arguments de vente, de désirabilité. L’imprimerie moderne est née.

Les pionniers du livre imprimé, trésors germaniques du Cabinet des Livres
Jusqu'au 2 octobre 2022

Cabinet des Livres du Musée Condé - Château de Chantilly
Domaine de Chantilly
7 rue Connétable Château - 60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.