Cinéma : Detroiters, un documentaire de Andrei Schtakleff

 

Dans les années 1970, Detroit revendique le titre de capitale mondiale de l’industrie automobile. Théâtre de la contestation ouvrière, haut lieu des manifestations et émeutes, la ville est marquée par l’histoire des luttes sociales. La mondialisation de l’économie à la fin du XXème siècle mène à la désindustrialisation des pays occidentaux et la délocalisation des usines. A Detroit, elles ferment progressivement sans que l’économie trouve à se renouveler engendrant chômage et pauvreté endémique. A partir de 2008, la crise des subprimes porte un nouveau coup à la ville qui sinistrée perd plus de la moitié de ses habitants. Andrei Schtakleff est allé à la rencontre de ceux qui ont fait le choix de rester. Témoignage important vibrant des héritiers de ces générations qui ont milité pour les droits sociaux et civiques. Souvenir de la figure de Malcolm X et mémoire de l’esclavage mais également développement d’une culture alternative. Detroit est le berceau de la maison de disque Motown mais également celui de la musique techno. Face à la caméra, les Détroitiens, « Detroiters » en version originale, racontent le passé engagé, le marasme présent, l’espoir d’un avenir à réinventer. Leur mobilisation permet de recréer du lien, de revivifier les communautés. Sans aides publiques, ils mènent la rénovation des logements et tentent de relancer l’économie locale différemment. Ils redonnent vie à leur quartier. 







Andrei Schtakleff signe un documentaire édifiant, filmant les quartiers délabrés et la combativité des habitants qui refusent de baisser les bras, descendants de ceux qui ont oeuvré à la prospérité de la ville industrielle. Ruines industrielles, quartiers entiers à l’abandon, ces paysages mélancoliques forment la toile de fond d’une chronique des laissés-pour-compte, les déclassés mais pas défaits qui poursuivent la lutte. Le réalisateur capte des instantanés de vie, l’envers du rêve américain, dans une histoire de résilience, d’espoir et d’engagement. Il saisit en images cette frappante renaissance après l’effondrement d’un système.

La présence historique de la communauté africaine-américaine qui représente désormais 80% de la population de Detroit s’explique par des choix économiques et politiques. Dans les années 1950 et jusqu’aux années 1960, les syndicats de l’industrie américaine refusaient l’adhésion des Africains-Américains. La ville très industrialisée était l’épicentre de la contestation sociale ouvrière. Afin de passer outre les revendications sociales, les patrons d’usines en quête d’une main-d'œuvre bon marché non-syndiquées ont organisé la migration des populations noires depuis les états du Sud tels que l’Alabama et le Missouri.



En pleine ère post-industrielle, Detroit présente le visage du capitalisme à l’oeuvre, celui des ruines de l’industrie occidentale. Le documentaire donne les clés de l’effondrement d’une métropole gangrénée par les inégalités. Andrei Schtakleff cherche à expliquer par le témoignage des habitants lésés les mutations socio-politiques, la ghettoïsation de la ville. Désormais la gentrification, au centre de Detroit, tend à repousser les classes populaires à la périphérie de la métropole. Entretien de la fracture sociale entre les Blancs et les Noirs, constat implacable du racisme institutionnalisé aux Etats-Unis. La politique d’urbanisme libéralisée et la non-intervention de l’état ont laissé les coudées franches aux promoteurs immobiliers. Les pires pratiques de la spéculation leur ont permis de faire des affaires sur la grande vague d’expulsions liée à la crise des subprimes. 

Le documentaire, forme classique, images fascinantes, capture le désenchantement de cette ville fantomatique et la force de l’espoir porté par les habitants.

Detroiters, documentaire de Andrei Schtakleff
Sortie le 4 mai 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.