Le réalisateur Constantin von Meck a connu tous les succès à Hollywood. Son extravagance et son talent ont charmé les plus retors. Mais en 1937, revenant d’un tournage au Mexique où il s’est oublié pour prolonger son séjour de deux ans, il se trouve dans une passe difficile. Sur les plans professionnel et personnel. Son épouse, la star internationale Wanda Bessen lasse d’attendre son retour a demandé le divorce. Son film monstre a fait un four. Et des concurrents ont profité de son absence pour remporter les contrats sur lesquels il comptait. Arrivé aux Etats-Unis enfant avec sa mère, Constantin von Meck a conservé une certaine sympathie pour sa patrie d’origine l’Allemagne. Entraîné par une forme de rancune, de colère, il accepte de travailler pour l’UFA, une société de production allemande qui lui propose un pont d’or pour tourner un film en Grèce. Avec désinvolture, il vient de signer avec un organisme d'État du Reich dépendant directement du ministère de l'Éducation du peuple et de la Propagande et de Joseph Goebbels. Couvé dans une bulle de faux semblants, le cinéaste refuse de voir le monde à feu et à sang, enfermé dans une cage dorée. En 1942, à Paris, en pleine Occupation, Constantin von Meck réalise « Les Violons du destin », une bluette idiote, commande du régime. En échange, il pourra tourner son grand oeuvre, une adaptation de « La Chartreuse de Parme » de Stendhal avec Wanda dans le rôle de la Sanseverina.
Françoise Sagan signe un grand roman trépidant porté par le souffle de l’Histoire. Sur le fil d’une intrigue tendue, l’écrivaine déploie un éventail de personnages puissants, découpés avec une rare finesse psychologique. La beauté de la langue, la poésie des images soulignent un certain humour, le goût des bons mots et un sens du dialogue précieux. Sur ton introspectif, doux-amer, ironique, « Un sang d’aquarelle » entraîne le lecteur dans une épopée intime, de cinéma, de guerre et d’amour. Publié en 1987, ce texte d’une grande modernité, notamment par la liberté des mœurs, porte en son cœur une histoire passionnelle entre deux hommes.
La guerre, vue de loin, n’apparaît que selon la perception du personnage principal, Constantin von Meck, un bruit de fond périphérique. Les horreurs de celle-ci ne prennent forme qu’avec l’éveil d’une conscience, d’une culpabilité. Fantaisiste tonitruant, hédoniste revendiqué, Constantin s’affirme comme un jouisseur à la sensibilité exacerbée, un artiste déconnecté, par facilité, de cette réalité. Excessif, il se voit génial ou bon à rien.
Outil de propagande malgré lui, sans conviction personnelle d’aucune sorte, seul l’intéresse le cinéma, son oeuvre. Il possède une forme de naïveté, de crédulité. Il n’a pas fait de choix et désormais, il se retrouve coincé dans une cage dorée, dans des décors de carton-pâte.
Il ne s’interroge pas vraiment sur le fait que sa pratique artistique puisse relever de la collaboration politique. Il ne remet jamais son attitude en question. Constantin von Meck traverse l’époque sans la regarder en face. Pourtant il aide volontiers ceux qui en ont besoin. Il parvient à sauver quelques amis, des connaissances. Mais il campe sur son refus de faire face à une réalité qui pourrait entacher son bonheur. La crise de conscience tardive prend racine dans une culpabilité naissante lorsque les deux techniciens juifs arrêtés alors qu’ils travaillaient sur son plateau sont tués par la Gestapo. Il ne peut plus feindre de ne rien voir, rattrapé par la vérité.
« Un sang d’aquarelle » exprime à travers ces personnages, la dualité des individus, les ambiguïtés de la condition humaine. Françoise Sagan décrit cette forme d’innocence du créateur face au monde, sa trivialité. Elle confronte ses créatures à la perte des certitudes, de l’optimisme, de la nonchalance. Constantin croit enfin au mal. L’heure de la rédemption.
Un sang d’aquarelle - Françoise Sagan - Editions Gallimard - Poche Folio
Enregistrer un commentaire