Cinéma : Nous, un documentaire d'Alice Diop

 

Au lendemain des marches républicaines du 10 et 11 janvier en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, le quotidien Libération titre « Nous sommes un peuple ». Cette Une interpelle la réalisatrice Alice Diop. De quel peuple s’agit-il ? Afin de mener l’enquête, elle s’inspire tout d’abord du livre, « Les Passagers du Roissy Express » de François Maspero paru en 1990, une manière d’investiguer les espaces urbains au plus près des habitants et de leur quotidien. Elle part à la rencontre des anonymes sur le tracé de la ligne B du RER, un axe nord sud à travers la banlieue parisienne, de Roissy à Saint-Rémy-Lès-Chevreuse en passant par Aubervilliers. Avec exigence sans faire l’impasse sur l’émotion, Alice Diop dresse un portrait de la banlieue parisienne détaché des clichés misérabilistes, un documentaire qui dépasse également les stéréotypes d'angélisme de la vie associative.







Née en France, Alice Diop a grandi à la Cité des 3000 d’Aulnay-sous-Bois dans une famille sénégalaise devenue française par ses enfants. Elle pioche dans les archives personnelles pour rendre hommage à ses parents, à leur histoire d’exil et d’enracinement. Elle suit sa sœur, infirmière libérale en Seine-Saint-Denis, dans sa tournée auprès de ses patients, souvent des personnes âgées isolées. Sur un parking du Bourget, elle discute avec un ferrailleur malien qui n’a pas vu sa mère restée à Bamako depuis vingt ans. Sur le trajet du RER, elle convoque le souvenir des déportés au Mémorial de la Shoah à Drancy, camp d’internement. Au mois de janvier dans la basilique de Saint-Denis, elle rencontre des royalistes qui célèbre la mémoire de Louis XVI. Au cœur de l’été, durant les vacances scolaires, elle croise des jeunes réunis au pied d’une tour du Blanc-Mesnil. Plus loin, l’écrivain Pierre Bergounioux, né à Brive-la-Gaillarde, qui vit désormais à Gif-sur-Yvette rédige depuis trente ans un journal du quotidien de cette existence de banlieue, « Carnets de note » édité aux éditions Verdier. Dans le bois de Saint-Rémy, un grand-père initie son petit-fils à la chasse-à-courre, tradition contestée dans la vallée de Chevreuse. 

Le documentaire « Nous » primé dans la section Encounters à la Berlinale 2021, explore l’intime pour toucher à l’universel. La réalisatrice prend le temps d’aller à la rencontre des personnes vivant sur dans les villes où s’arrête le RER B. A hauteur d’homme, elle donne la parole à tous, jeunes, vieux, pauvres, riches dans un souci de réparation, afin de les sortir de l’oubli de l’anonymat. Au-delà du périphérique, la réalisatrice traverse les territoires à la rencontre de populations hétéroclites reflets d’une France composite, plurielle. La caméra un tableau politique et sociologique en captant des fragments d’existences singulières. Fruit d’une histoire complexe, le pays qu’elle donne à voir est riche de ses multiples communautés, de ses catégories socioculturelles contrastées. « Nous » éclaire la diversité des héritages, monde ouvrier, immigration, banlieue pavillonnaire. Alice Diop pose un regard bienveillant sur ses contemporains dont elle évoque les trajectoires avec intelligence et sensibilité. Elle préserve la mémoire des anonymes, à commencer par celle des siens. 



Alice Diop nous invite à reconsidérer les lieux, à aborder la géographie sensible en dépassant le cadre de l’étude sociologique. Le documentaire, addition d’individualités, d’histoires personnelles, suggère la façon de relier les mondes, d’abolir les frontières physiques et sociales. Ce kaléidoscope vibrant, quotidien dans toute sa banalité et sa singularité, ne fait pas l’impasse sur la précarité et le silence de ceux qui ont l’impression ne pas être entendus. Sur le terreau intime des expériences individuelles, la réalisatrice trace les lignes d’une possible réconciliation. 

Nous, un documentaire d’Alice Diop
Sortie le 16 février 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.