Dans l’Entre-deux-guerres, à la périphérie de Lyon, le jeune Calaferte grandit dans « la zone », lotissement miséreux, presque bidonville, où survivent les indigents en marge de la société. Les êtres, repris de justice, ivrognes, prostituées occasionnelles, faiseuses d’ange, famille trop nombreuse, enfants sans père, sont réduits à leurs instincts les plus bas. Cette humanité en berne dont les moyens de subsistance sont réduits à peau de chagrin, fait face à la faim, la violence, la délinquance. L’ignorance crasse, la dépravation, alcoolisme et sexualité débridée précoce, ont mené à une véritable déchéance physique et morale, symptôme d’une terrible détresse. Sur les terrains vagues, dans ces baraques de fortune, les gamins crasseux poussent comme la mauvaise herbe. Livrés à eux-mêmes, ils reproduisent les comportements déviants, inventent des jeux d’une rare cruauté. Les parents démissionnaires, ogres bien réels, entretiennent le cercle vicieux de la maltraitance. Les plus jeunes, compagnons de misère, tissent des liens de fraternité dans cette fureur de vivre. A l’école, un enseignant décèle le potentiel du jeune Calaferte. Par son attention, il révèle l’intelligence en sommeil, parvient à dépasser les traumas pour éveiller la sensibilité, le goût de la connaissance. Le nouveau directeur s’émeut du sort de ces gamins de la zone, et veille à leur rendre leur dignité en proposant des horizons inédits à ces enfants défavorisés que tous les adultes pensent déjà perdus.
Louis Calaferte interroge la détermination sociale, questionne le sort de ces enfants abandonnés de tous dans ce ghetto sordide, « petites bêtes malfaisantes », le destin de leurs parents abusifs. Les victimes et les bourreaux ne font qu’un dans cette spirale du pire, d’absolu dénuement. Le caractère de fatalité accroche à la peau, forme d’aliénation intégrée. L’écriture empreinte d’oralité, argot gouailleur, musicalité d’une langue vivante, embrasse un naturalisme percutant. Dans une atmosphère asphyxiante, Louis Caleferte alterne séquences d’une cruauté glaçante et envolées lyriques, désespoir et compassion, truculence et fulgurances. Il déploie la poésie désenchantée d’un monde marginal.
Outrance, âpreté, il raconte l’enfance martyrisée de ces gamins rendus vicieux à force de maltraitance, de manque d’amour, innocence sacrifiée. L’écrivain puise à la source de sa propre enfance et invective ses propres parents avec une rage terrible, particulièrement sa mère « la garce ». Le texte intense, obsédant dresse un constat accablant. Il évite l’écueil du misérabilisme, lucidité aigue, intensité, sans jamais épargner le lecteur. Livre terrible, « Requiem des innocents » est une oeuvre féroce et magnifique.
Requiem des innocents - Louis Calaferte - Editions Julliard - Poche Folio
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