Cinéma : Au coeur du bois, un documentaire de Claus Dexler

 

Au bois de Boulogne, les prostituées indépendantes échappent encore à l’emprise des réseaux mafieux, acteurs d’une forme d’esclavagisme moderne. Sans souteneurs ni protecteurs, ces vénus mercenaires ont choisi une organisation alternative et travaillent à leur compte dans des cabanes de fortune, des camionnettes aménagées. Le réalisateur Claus Dexler donne la parole aux travailleurs du sexe, ceux qui ne sont pas entendus. Elles s’appellent Geneviève, Floria, Isidro, Judith, Juliette, Kimberley, Luciana, Mélina, Lydia, Mylène, Florence, Paola, Pirina, Prya, Raquel, Vicky, Yoanni, Samantha, et s’expriment sans fard, avec dignité, humour et lucidité. Femmes cisgenres, travestis, transexuelles évoquent la diversité de leurs situations, une vie à la marge, la condition humaine dans toute sa complexité. Les intervenants ont fait des études ou pas du tout. Ils sont Blancs, Noirs, Latinos, jeunes ou plus âgés, français ou étrangers, avec ou sans papier. Les confidences multiplient les points de vue et de réflexion. Ces travailleurs du sexe racontent avec une grande sincérité leur histoire, leurs espoirs, leurs aspirations, leur vie de couple ou leur célibat, leurs relations avec les clients, la police. Leurs témoignages révèlent une précarité commune, la même clandestinité, le danger au quotidien, la peur et soulignent la réalité du terrain. 









Ce documentaire sensible combat les préjugés avec un certain panache. Le ton décomplexé, malgré un propos ancré dans une réalité exsangue, permet de déconstruire les idées préconçues. Le dispositif de réalisation, fruit d’une démarche plastique déterminé par Claus Dexler, esthétise volontiers les espaces où naissent les confidences. Le bois de Boulogne devient une forêt de conte. La fantasmagorie du décor, atmosphère de fable, estompe la ligne de démarcation entre le quotidien des normes et la marge des créatures de la forêt. Au fil des saisons, beauté de la nature, le bois se fait scène fascinante. 

Tandis que ces personnages contrastés se dévoilent et s’ouvrent, l’authenticité de leur parole, la sincérité du discours frappent. Ils disent leurs existences en périphérie, le travail éprouvant qui parvient à peine à subvenir à leurs besoins. Ces histoires personnelles mêlent l’intime et le collectif sous l’œil empathique de la caméra. Le documentaire ne sombre jamais dans le misérabilisme. Le regard bienveillant du réalisateur refuse de les enfermer dans le rôle de victime malgré l’inquiétude croissante d’une paupérisation évidente.

A l’image, la parole libre de ces prostituées indépendantes met en lumière les points communs tels que la difficulté à se projeter dans le futur, envisager un avenir, les destins accidentés, la violence, la misère. Certaines évoquent la douleur du déracinement, la solitude terrible, la responsabilité pesante d’être un soutien de famille et donc dans l’obligation de continuer. D’autres disent la solidarité, communauté résilient, la force des liens, et puis il y a celles qui ont choisi ce métier et disent s’y épanouir dans une forme de liberté. Le film soulève également la question de la transidentité et éclairent les problématiques de transition, d’acceptation. 




Le réalisateur ne cherche jamais à faire entrer les protagonistes de son film dans des cases. Ensemble, ils parlent de politique, de la criminalisation des clients, de la situation administrative paradoxale des travailleurs du sexe, qui sans de statut légal, ni couverture sociale sont néanmoins imposables depuis la loi passée dans les années 1970 sous Valéry Giscard d’Estaing. 

Documentaire, drôle, touchant, "Au coeur du bois" s’appuie sur un propos rendu subversif par ses accents de vérité à mille lieues des reportages sensationnels de la télévision.  Poignant !

Au cœur du bois, un documentaire de Claus Dexler
Avec Geneviève, Floria, Isidro, Judith, Juliette, Kimberley, Luciana, Mélina, Lydia, Mylène, Florence, Paola, Pirina, Prya, Raquel, Vicky, Yoanni, Samantha
Sortie le 8 décembre 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.