A la fin des années 1970, Haïti vit sous le joug de François Duvalier, dit Papa Doc, et de ses terribles miliciens, les Tontons Macoutes. Règne de la corruption et de la peur. Le narrateur, Vieux Os, double autofictionnel de Dany Laferrière depuis « L’odeur du café », a grandi. Désormais adolescent, il a quitté le foyer de sa grand-mère à Petit-Goâve pour vivre avec sa mère Marie et ses quatre tantes à Port-au-Prince. Il a quinze ans, l’âge des premières expériences. De l’autre côté de la rue vit Miki, vingt ans, chez qui se rejoignent toute une bande de filles, effrontées, insouciantes. Vieux Os observent fasciné leur manège, leur joie, leurs rires, leurs cris, leurs disputes. Elles mènent les hommes par le bout du nez. Ces sensuelles demoiselles choisissent leurs protecteurs parmi ces inquiétants « marsouins », ceux-là même qui terrorisent la population. Désespérée de retrouver la trace de son frère disparu, la gracieuse Pasqualine s’acoquine avec un tortionnaire du régime. Choupette l’hâbleuse fille du peuple, à ses heures vénus mercenaire, ne pense qu’au sexe. La silhouette callipyge de Marie-Flore laisse rêveur tandis que le sourire ironique de Marie-Erna intimide. Et puis il y a la réservée Marie-Michèle, issue de la bonne société de Piétonville, en rébellion contre sa famille bourgeoise. Vieux Os se laisse souvent entraîner dans des mauvais coups par son ami Gégé. Ils sèchent les cours et le soir venu traînent dans les quartiers interlopes des nuits chaudes de Port-au-Prince. Un soir, à la suite d’un incident aux abords d’une maison de passe, se pensant poursuivi par les miliciens, Vieux Os se réfugie chez Miki.
Effrontées impertinentes, Miki et ses amies n’ont pas froid aux yeux. Personnalités attachantes, elles éclairent par leur joie de vivre les jours sombres. Ces grandes filles poussées trop vite, sous une apparence frivole et délurée, souffrent de leur statut indéterminé, entretenues mais pas tout à fait prostituées, source d’inquiétude. Perdre un protecteur signifie perdre la sécurité. Elles ont trouvé un moyen de survivre dans un climat de violence redoutable. Malgré leur jeune âge, elles se débrouillent dans une société aussi dangereuse que corrompue. Elles usent de leurs charmes pour obtenir des largesses des hommes qui les convoitent. Mais manipuler les impitoyables Tontons Macoutes, d’effroyable réputation, est un jeu dangereux.
Le régime de François Duvalier, la violence sanglante de la milice envers les opposants politiques comme la population a contraint à l’exil vers les Etats-Unis et le Canada de nombreux Haïtiens. Les vers du poète Magloire Saint-Aude qui ponctuent les chapitres dans leur troublante beauté, détachée des réalités de la société, questionnent l’engagement des intellectuels, des écrivains dans la lutte contre la dictature. Dany Laferrière explore la réalité de la fracture sociale et dénonce l’hypocrisie de la bourgeoisie, son indifférence au sort des plus pauvres. A travers ce tableau tout embaumé du parfum des jeunes filles, le romancier propose une analyse sociologique éclairante. Dans cette chronique haïtienne qui ne sombre jamais dans le misérabilisme, il trace le portrait en creux d’un pays au bord du gouffre, situation à laquelle Miki et ses amies répondent par leur liberté, leur indépendance d’esprit.
Le goût des jeunes filles - Dany Laferrière - Editions Grasset - Poche Folio
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