Paris : 82-96 rue Réaumur, immeuble de l'ancien vaisseau amiral "À Réaumur", modernité post-haussmannienne et âge d'or des grands magasins - IIème

 

Du numéro 82 au 96 de la rue Réaumur, un ancien magasin de nouveautés reconverti rappelle les heures de gloire des grands magasins à la fin du XIXème siècle. L’horloge enseigne, qui demeure, mosaïque polychrome de style art déco, était illuminée de nuit et faisait briller le nom « À Réaumur » complété par celui des propriétaires Gobert-Martin. Homme d’affaires d’origine lorraine, Jean-Baptiste Gobert-Martin (1849-1921), le fondateur de l’entreprise, a été formé aux techniques de vente innovantes en Belgique. Il a fait ses premières armes dans le commerce de drap avant d’aborder la confection. Lorsqu’il s’installe à Paris, il choisit la rue Réaumur, symbole de modernité, pour implanter un vaste bâtiment dont l’architecte François Constant-Bernard trace les plans. Des travées symétriques parcourent une longue façade, largement vitrée grâce à l’intervention de la structure métallique partiellement apparente. Double fenestrage métallique, fenêtres géminées à colonnettes et doubles lucarnes à fronton, les locaux sont baignés de lumière naturelle. Le grand magasin inauguré le 17 avril 1897 demeure dans la même famille jusque dans les années 1960, date à laquelle il ferme ses portes définitivement. Reconverti, l’édifice accueille désormais des bureaux dans les étages et des commerces variés indépendants au rez-de-chaussée.









Jean-Baptiste Gobert voit le jour en 1849 dans une famille de propriétaires fonciers lorrains. Entrepreneur dans l’âme, à vingt ans, il s’installe en Belgique où il entame une carrière dans le commerce des draperies. Au début des années 1860, il s’associe avec Pierre Labbé pour créer la maison Labbé-Gobert de Verviers. Leur premier magasin de draperie remporte un joli succès. En 1877, Jean-Baptiste Gobert épouse Lucia Martin, la fille du directeur des grands magasins Thiéry de Bruxelles, Mons et Saint-Ghislain, Félix Martin de Mortfontaine (1832-1909) cousin de la famille Thiéry et Sigrand. Par cette alliance, il entre dans un clan précurseur du commerce de masse. 

Dans les années 1890, les magasins Esders, clients principaux de Labbé-Gobert qui leur fournit draperies et pièces de confection, rompent le contrat qui les liaient. Le groupe se développe à Paris avec la construction d’un vaisseau amiral au 124 rue de Rivoli et l’installation d’ateliers en propre. Jean-Baptiste Gobert prend alors la décision de créer son propre grand magasin dans la capitale française. Il associe le patronyme de son épouse à la nouvelle entreprise. « À Réaumur » sera placé sous l’égide de Gobert-Martin. 

Percée à partir de 1884, la rue Réaumur toute nouvelle voie apparaît comme la quintessence de la modernité post-haussmannienne. Laboratoire de formes, les architectes y poursuivent des expérimentations rendues possibles grâce au développement de nouvelles technologies, notamment les structures métalliques et le béton armé. Les façades monumentales au décor soigné s’agrémentent de grandes surfaces vitrées caractéristiques de l’époque.  


1897

1900 Sortie du personnel

1920


L’immeuble du grand magasin « À Réaumur » sera l’un des originaux finalisés sur la voie. Afin de bâtir un grand magasin à la mesure de son ambition, Jean-Baptiste Gobert-Martin consulte en premier lieu l’architecte Joseph Hornecker. Le projet inclut un vaste fronton central ce qui n’est pas du goût de Gobert. Il rejette cette proposition car il souhaite établir ses propres appartements au dernier étage de l’édifice. Il marque la direction de son entreprise d’une omniprésence propre à marquer les esprit, soucieux de contrôler lui-même l’activité au sein du magasin et des ateliers. Les cadres formés en Belgique endossent le rôle de sous-lieutenant du grand capitaine. Le chantier du grand magasin débute en 1896. Le premier tronçon est achevé en un temps record, à peine six mois. Il est inauguré le 17 avril 1897 en même temps que la nouvelle rue Réaumur en présence du président Félix Faure.  

Patron dynamique, Jean-Baptiste Gobert applique les principes novateurs du baron Thiéry et développe ses propres concepts ? En pionnier du prêt-à-porter, il propose des « articles de qualité à des prix attractifs » grâce au contrôle de la production rendu possible par le développement de ses propres ateliers de confection à Paris, Lille, Arras, Montluçon. Il s’engage dans des démarches commerciales innovantes. « À Réaumur » devient l’un des précurseurs de la vente par correspondance grâce aux catalogues distribués largement. Pour référence, La Redoute ne sera lancée qu’en 1922. Le succès permet d’étendre la surface de vente de 1000m2 à 2500m2 en 1900. Jean-Baptiste Gobert décède en 1921. Il laisse le souvenir prégnant d’un homme d’affaires avisé et d’un patron philanthrope qui aura notamment créée une fondation, résidence pour les employés malades ou âgés.











L’ascension du groupe se poursuit sous la houlette de Lucia Gobert-Martin. Un second magasin est édifié sur la parcelle non-construite à l’angle des rues Réaumur et Dussoubs. Inauguré en mars 1928, il porte la surface totale à 6000m2. Le terrain sur lequel se trouve les deux anciens immeubles voisins, appartiennent également à Lucia Gobert-Martin. Il est plus tard vendu et arasé afin qu’y soit construit le siège du journal « L'intransigeant », devenu plus tard « France-Soir ».

Dans le même temps, l’entreprise Gobert-Martin s’étend dans toute la France. Les succursales se développent à Metz, Nantes et Briey. Les vêtements de prêt-à-porter sont distribués à travers de nombreux points de vente indépendants. Lucia Gobert-Martin lègue l’entreprise à ses neveux Georges et André Secordel-Martin. « À Réaumur » reste dans la famille Secordel-Martin jusqu’à la disparition du grand magasin en 1960.

Ancien immeuble du grand magasin A Réaumur
82-96 rue Réaumur - Paris 2

Bibliographie
Le guide du promeneur 2è arrondissement - Dominique Leborgne - Parigramme
Paris - Mille Monuments - Kathy Borrus - Editions Menges

Sites référents 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.