Cinéma : Ziyara, un documentaire de Simone Bitton

 

En 1948 les Juifs du Maroc étaient environ deux-cent-cinquante-mille. Entre la fin des années 1950 et le début des années 1970, ces populations se sont exilées vers Israël, la France ou encore les Etats-Unis. Simone Bitton et sa famille ont quitté le Maroc de son enfance en 1966. Elle avait onze ans. Cinquante ans plus tard, elle retourne au pays natal pour redécouvrir les lieux où surgit la mémoire des communautés juives dispersées à travers le monde. Le documentaire ne revient pas précisément sur les raisons politiques de ces départs massifs. Au Maroc, la réalisatrice part sur les traces du souvenir vibrant de leur présence, minorité religieuse qui a laissé de nombreux lieux de culte, synagogues, sanctuaires, cimetières. Certains tombent désormais en ruines. Pourtant une grande majorité a été préservée, entretenue par les populations musulmanes du fait notamment d’une pratique commune aux deux religions, la « Ziyara », la visite aux saints. Ce pèlerinage traditionnel auprès des tombeaux des saints demeure très populaire. Parmi les six-cents-cinquante mausolées, tombes de guérisseurs, soufis et sages, cent-cinquante sont révérés à la fois par les Juifs et par les Musulmans. Simone Bitton va à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qu’elle appelle « les gardiens musulmans de la mémoire juive », ceux qui désormais prennent soin de ces lieux. 





De village en sanctuaire, de ville en cimetière, la cinéaste traverse le pays, road movie d’une grande humanité. Elle recueille les témoignages précieux d’une coexistence pacifique, d’une fraternité entre les peuples, puissante mélancolie sur le fil de l’Histoire. Dans ce documentaire sensible, elle s’attache à évoquer la mémoire commune, les paradoxes actuels, la proximité des croyances. Elle souligne dans la similarité du recueillement un rapport au sacré commun. 

Simone Bitton pensait avoir oublié définitivement le darija, un dialecte arabe qu’elle parlait enfant. En renouant avec ses origines et le pays de sa naissance, elle a retrouvé les mots de cette langue pour aller à la rencontre de ceux qui sont restés. Projet très personnel, le film emprunte également le parcours de sa propre famille. Ainsi, elle donne à voir un Maroc loin des clichés du tourisme de masse, embrassant d’un œil affûté la beauté des paysages et des gens. L’expérience humaniste se révèle tout autant esthétique que cinématographique. 




Navigant entre l’intime et l’universel, Simone Bitton filme l’absence et donne la parole à ceux qui se souviennent. Elle renoue les liens et questionne ce qu’aurait pu être l’histoire du pays si les Juifs du Maroc étaient restés. Sur la route, la mémoire collective de la coexistence entre les communautés juives, chrétiennes et musulmanes, rappelle l’attachement des Marocains à la diversité des cultures, une richesse que les conflits du Moyen-Orient ont mis à mal. 

Les témoignages évoquent la douleur de la séparation. Ceux qui restent expriment un sentiment de perte irrémédiable. Exercice consolatoire, espoir d’un avenir commun possible, leçon de tolérance, « Ziyara » se place à hauteur d’homme et d’émotion pour convoquer le souvenir d’un monde perdu. Poignant.

Ziyara, un documentaire de Simone Bitton
Sortie le 1er décembre 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.