Lundi Librairie : La félicité du loup - Paolo Cognetti - Rentrée littéraire 2021

 

Fausto, écrivain en panne d’inspiration, n’a écrit qu’un seul livre qui a connu un grand succès, il y a déjà quelques années. Le temps a passé. Désormais quadragénaire, ce texte ne lui ressemble plus. Son mariage à la dérive, sa carrière en berne, Fausto a quitté Milan pour se réfugier en montagne. A Fontana Fredda, petite station de sports d’hiver du val d’Aoste, il est embauché comme cuisinier dans un restaurant d’altitude, « Le Festin de Babette », fréquenté par les skieurs de passage et les pisteurs locaux. Carte réduite au minimum, plats roboratifs. Vie isolée au pied du Mont Rose. Fausto, peu à peu, se rapproche de Silvia, la serveuse, baroudeuse qui s’est posée ici le temps d’une saison avant de repartir ailleurs. Ils ne se promettent rien, apprécient le moment présent. Alors que le printemps approche et que le restaurant doit bientôt fermer, Silvia envisage de rejoindre pour y travailler, le refuge de Quintino Sella du glacier le Félik, à 3585 mètres d’altitude. Fausto doit se rendre en ville pour régler son divorce avant de rejoindre le campement itinérant des bûcherons où ses talents de cuisinier seront appréciés. 

Roman contemplatif, « La félicité du loup » donne le premier rôle à la montagne, à la majesté des paysages. Paolo Cognetti qui entretient un lien privilégié avec cette nature s’émerveille face à son imprévisibilité. Les sommets glacés, la faune et la flore de la forêt, les grands espaces sur les contreforts du Mont Rose composent des tableaux animés d’un souffle puissant. Le murmure du vent dans les arbres, le chant des torrents, le crissement de la neige, au rythme des saisons, la montagne dans son impermanence salutaire alterne la vie et la mort, puissante mélancolie des cimes. Le romancier, lucide, ne fait pas l’impasse sur la dureté de ce monde. Les dangers et l’âpreté de la vie en montagne sont au cœur du récit. 

Sur les chemins des sommets, décor de solitude, naissent entre les hommes la fraternité et la solidarité. Emportés par leur passion, leurs contradictions, ils sont parfois inconscients sous l’emprise d’un sortilège, envoûtement des randonneurs sur les pistes glacées. Paolo Cognetti lui-même ressent puissamment cet appel de la montagne. Il a tout quitté pour s’installer dans un hameau du val d’Aoste. Sous l’emprise d’une fascination personnelle, il connaît l’inconscience des hommes emportés par leur passion, leurs contradictions.

Le romancier réinvente le microcosme de la montagne, lieux peuplés de personnages attachants, les habitants du val d’Aoste, les travailleur saisonniers, les touristes, et les locaux. La montagne offre à tous une pause hors du temps, pour un an, une saison, un mois ou toute la vie. Il y a Babette, la patronne du restaurant d’altitude qui a baptisé son auberge en hommage à la nouvelle de Karen Blixen et dont le véritable prénom a été oublié. A ses côtés, jamais bien loin, le taciturne Santorso, l’ancien garde-chasse, grand connaisseur des mélèzes, ermite taiseux, entretient une passion pour la faune de la forêt et particulièrement les coqs de bruyère. Gemma, la vieille femme qui a depuis longtemps dépassé les quatre-vingt printemps, son ultime vache, semble la dernière gardienne des secrets de la montagne. Et puis au sommet, Passang, le sherpa népalais, si loin de son Himalaya natale.

Dans ce texte d’une humanité vibrante, Paolo Cognetti raconte les liens noués, l’amour et l’amitié. Personnages en rupture de ban pour lesquels la montagne est un refuge, une promesse de renouveau, Fausto et Silvia, deux solitaires, ont tout laissé derrière eux. Ils souhaitent renouer avec l’inspiration, retrouver une forme de liberté, soigner les maux, leur sentiment d’incomplétude par un retour à la nature. Ils s’allègent des décombres de leurs existences passées afin de guérir leur pesante intranquillité. 

En toile de fond de cette chronique alpestre poétique et sincère, Paolo Cognetti a tissé un sous-texte écologique. Il évoque la font prématurée des glaciers, les saisons perturbées, le monde changeant, le retour des loups et les attaques de troupeaux. Envoûtant.

La félicité du loup - Paolo Cognetti - Traduction Anita Rochedy - Editions Stock - Collection La Cosmopolite 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.