Ailleurs : Espace Sam Szafran, esprit rebelle et grandes histoires d'amitié - Fondation Pierre Gianadda - Martigny - Suisse

 


Peintre, dessinateur, pastelliste et graveur français, Sam Szafran (1934-2019) a suivi un parcours singulier hors des courants, loin des sérails de l’art contemporain. Cet artiste secret, presque sauvage, a embrassé la voie d’une expression plastique très personnelle. Il occupe une place particulière dans la peinture figurative de la seconde moitié du XXème siècle. A la marge, ce conteur a durant toute sa carrière sublimé son histoire personnelle, celle d’une humanité douloureuse et meurtrie. Le processus narratif de son oeuvre cathartique emprunte à la poésie, la métaphore. Le destin de Sam Szafran a été marqué par la tragédie, la Shoah, la déportation, la maltraitance, la bohème et la misère noire, la drogue et l’alcool, mais également par les voyages, les grandes amitiés, les rencontres fondatrices, la paternité et le handicap de son enfant Sébastien, ainsi qu’une reconnaissance tardive mais exempte de toute compromission. En 1994, il rencontre à New York, Léonard Gianadda, entrepreneur prolifique, ingénieur civil, promoteur immobilier, créateur de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny en Suisse, mécène et philanthrope. Entre leurs connaissances communes et leurs affinités évidentes tant sur le plan artistique qu’humain, les deux hommes nouent un lien profond. En collectionneur éclairé, Léonard Gianadda fait entrer les oeuvres de Sam Szafran dans les fonds de son institution muséale. Au début des années 2000, le mécène le sollicite afin de composer les façades de céramique du pavillon privatisable dans les jardins. Désormais, l’espace souvenir Sam Szafran lui rend hommage dans une salle dédiée qui rassemble la trentaine d’œuvres dont la Fondation Gianadda est dépositaire.







Né en 1934 à Paris de parents juifs polonais émigrés en France, le jeune Sam Berger, futur Sam Szafran, est victime des persécutions nazies. Une grande partie de sa famille est assassinée dans les camps de la mort. Son père fait partie des premiers déportés à Auschwitz. L’enfant échappe à la Rafle du Vel d’Hiv’. Il est hébergé par un oncle qui le brutalise. Régulièrement, il le suspend au-dessus d’une cage d’escalier en menaçant de le lâcher. Un tel trauma, que ces volées vertigineuses de marches deviendront l’un des motifs récurrents d’une oeuvre cathartique troublante. Sam Szafran est caché un temps chez des agriculteurs dans le Loiret puis en Aveyron dans une famille de Républicains espagnol en exil. En 1944, il a à peine dix ans, Sam Szafran est arrêté par les Allemands à la Gare d’Orléans puis conduit à Drancy dont il est libéré par les troupes américaines le 18 août. Envoyé en Suisse par la Croix-Rouge, il est accueilli par la famille Halberstadt. En 1947, il a retrouvé sa mère et sa sœur. Ils partent pour l’Australie où ils rejoignent à Melbourne chez un oncle maternel qui maltraite l’enfant. Mais en Australie, il découvre également l’art 

En 1951, de retour en France, Sam Szafran quitte sa famille pour voler de ses propres ailes. Phobies, errances, fuites, à dix-sept ans, il mène une vie précaire, dort dans la rue, multiplie les petits boulots, travaille à la morgue où il nettoie des cadavres, se fait un temps dératiseur. Etape marquante, il suit des cours du soir de la Ville de Paris où il apprend à dessiner. Il fréquente assidument le Louvre, le Muséum d’histoire naturel. La journée, il se réchauffe dans les bistrots de Saint-Germain-des-Prés et de Montparnasse où il fait connaissance d’artistes qui l’invitent dans leurs ateliers. Il découvre l’alcool, pour s’évader. La nuit, il traîne dans les boîtes de jazz, Chet Baker l’initie à la drogue.  

En 1953, Sam Szafran intègre l’atelier d’Henri Goetz à la Grande Chaumière où il étudie jusqu’en 1959. Il se lie avec Jean Ipoustéguy, Orlando Pelago, Jacques Delahaye, Nicolas de Staël. C’est le temps des premières peintures à l’huile. Il assume sa liberté, la radicalité de ses choix, la bohème jusqu’à la misère. A la fin des années 1950, il abandonne l’abstraction pour embrasser une figuration détachée des courants artistiques, autonomie qui consacre une vision très personnelle avec notamment la séquence des choux de 1958 à 1965. Il aborde ce qui deviendra sa pratique de prédilection lorsqu’un proche lui offre une boîte de pastel. 







En 1963, Sam Szafran épouse Lilette, lissière suisse, formée à Aubusson. Un an plus tard, la rencontre avec Alberto Giacometti, qui devient son mentor, est décisive. Szafran rejoint pour un temps Fernando Arrabal, Roland Topor et le groupe Panique en 1972. La même année, il fait la connaissance d’Henri Cartier-Bresson lors de l’exposition « 60-72. Douze ans d'art contemporain en France » au Grand Palais. Le peintre et le photographe, à qui Szafran donne des cours de dessin, nouent une amitié fraternelle très forte. L’artiste si peu sociable, si secret, accorde une place déterminante dans sa vie à ses amis. Ils sont une ouverture sur le monde. Au début des années 1970, il se lie avec Yves Klein, le peintre canadien Jean-Paul Riopelle, le sculpteur écossais Raymond Masson.

Fasciné par la construction architecturale, Sam Szafran peint la séquence des intérieurs de l’imprimerie Bellini et explore les premières étapes de ses futures perspectives tournoyantes. Il rend compte des objets du quotidien dans leur trivialité la plus simple. Dans le foisonnement des formes, il construit une spatialité déterminée par la rigueur de la ligne. Par sa mise en espace, il nimbe de mystère des éléments les plus banals, transfigure l’ordinaire, les silhouettes les plus humbles. 

En 1974, Sam Szafran installe son atelier dans une ancienne fonderie à Malakoff. De 1977 à 1978, il réalise ses premières grandes aquarelles séquences des Ateliers, Serres, Escaliers. Les Villes viendront dix ans plus tard. Traduisant plastiquement le trouble engendré par la spirale des escaliers, il tente à travers pastel et photographies de capturer le moment du vertige naissant. Il joue des paradoxes. Solitude et angoisse se confrontent à la chaleur et la lumière. Le mouvement traduit sur la toile l’ascension spirituelle, l’imminence du basculement, la proximité de l’abîme. Les faisceaux de couleur trouvent l’équilibre entre ombre et lumière. Au début des années 1990, Sam Szafran s’engage dans une série de variation sur le thème des escaliers qu’il peints sur soie à l’aquarelle. Virtuosité de la composition, pluralité temporelle, réflexion sans cesse renouvelée, il s’inspire de l’escalier qui mène à son appartement parisien au 54 rue de Seine. 







En 1994, le Metropolitan Museum of Art expose la collection Jacques et Natacha Gelman. Les européens Sam Szafran, Francis Bacon, Balthus et François Rouan traversent l’Atlantique pour présenter leurs œuvres. A cette occasion, Szafran fait la connaissance de Léonard Gianadda, créateur de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny en Suisse, mécène et philanthrope. Leur amitié commune pour Henri Cartier-Bresson les rapproche. Leurs affinités se confirment. Un lien solide d’estime mutuelle nait. Lors de ses passages à Paris, Léonard Gianadda visite à plusieurs reprises l’atelier de Malakoff en compagnie de Daniel Marchesseau, Jean Clair et Jean-Louis Prat. Il découvre les œuvres en pleine composition, achète des toiles et passe commande. 

Par la suite, la Fondation Pierre Gianadda consacre deux expositions à Sam Szafran en 1999 et 2013. Une trentaine d’œuvres originales rejoignent les collections de l’institution octodurienne. Ce riche ensemble témoigne du lien particulier noué entre l’artiste et Léonard Gianadda. En 2004, à la suite de la disparition d’Henri Cartier-Bresson, Sam Szafran et son épouse Lilette offrent à la Fondation Gianadda une collection de deux-cent-vingt-cinq tirages originaux, annotés, commentés. Cet ensemble réuni au fil d’une importante correspondance entre le peintre et le photographe, se compose de reportages, de portraits d’artistes, d’écrivains et de nombreux clichés de Szafran lui-même. 






Au début des années 2000, à la demande de Léonard Gianadda, Sam Szafran réalise deux fresques monumentales en céramique destinées à recouvrir les façades d’une annexe dans les jardins de la Fondation Gianadda. La technique inédite pour le peintre, il obtient le concours du maître céramiste Joan Gardy Artigas, pour créer « L’Escalier » (2005) et « Philodendrons » (2006 ). Baptisée Pavillon Szafran, l’annexe est inaugurée en 2006. En 2015, la salle Sam Szafran dédiée à l’artiste y est déployée. Daniel Marchesseau, conservateur du patrimoine, historien d’art, commissaire de nombreuses expositions à la Fondation Gianadda, fait don à l’institution d’une remarquable aquarelle sur soie « Escalier-Ville » (2012) signée Sam Szafran. Cette oeuvre puissante illustre la recherche d’une verticalité, une ascension métaphore des destinées humaines dans laquelle l’architecture symbolique structure le réel dans la vibration de la couleur et les illusions d’optique. Vertigineuse fascination. Le peintre disparaît le 14 septembre 2016. 

Espace Sam Szafran
Fondation Pierre Gianadda
59 rue du Forum - 1920 Martigny - Suisse
Tél : +41 27 722 39 78
Horaires : Ouvert tous les jours - De juin à novembre de 9 h à 19 h - De novembre à juin de 10 h à 18 h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.