Paris : La Samaritaine, grand magasin parisien iconique, renaissance d'un mythe, réouverture en majesté - Ier



La Samaritaine, commerce parisien iconique, a rouvert ses portes au public le 23 juin 2021 après quinze années d’interruption. Acquis en 2001 par le groupe LVMH - Moët Hennessy Louis Vuitton - pour un montant de deux-cent-quarante millions d’euros, l’ensemble des bâtiments constituant le grand magasin ferme en 2005 afin d’assurer une mise aux normes de sécurité nécessaire. Un temps, la rumeur d’un arrêt définitif de l’activité court. Mais après ce faux départ, un projet d’une envergure inédite attend la vénérable enseigne. Le groupe LVMH s’attache à rendre sa splendeur au patrimoine architectural de la ville par l’entremise d’une restauration menée en collaboration avec les architectes des Monuments historiques. L’ampleur de cette entreprise monumentale porte le budget à 750 millions d’investissement. Au cours de l'opération de restructuration, les espaces sont redistribués, les différents modules réhabilités, les édifices repensés entièrement ou soigneusement restaurés. L’emblématique magasin 2, rue de la Monnaie, oeuvre de l’architecte Frantz Jourdain (1847-1935), retrouve sa splendeur passée, le foisonnement d’un décor coloré Art Nouveau. Quai du Louvre l’extension Art déco du magasin 2 signée Henri Sauvage (1873-1932) devient un hôtel de luxe, le Cheval Blanc. Rue de Rivoli, un bâtiment dédié à la vente et à des espaces de bureaux est reconstruit par les architectes de l’agence japonaise Sanaa, Kazuyo Sejima et Ryūe Nishizawa, lauréats du prix Pritzker 2010. A la demande de la Ville de Paris, des logements sociaux et une crèche sont ajoutés au programme. La Samaritaine Paris Pont Neuf promet de devenir l’un des nouveaux pôles d’attraction touristique dans un quartier en pleine mutation comme en témoigne la rénovation des Halles ou bien encore l’ouverture de la Bourse de Commerce - Collection Pinault.  











L’inauguration en grande pompe de la nouvelle Samaritaine Paris Pont Neuf perturbée par les aléas mondiaux, a été différée à la suite de la pandémie. Mais aujourd’hui les vingt-mille mètres carrés de surface de vente flambant neufs attendent la clientèle asiatique et orientale à qui s’adresse particulièrement ce déploiement de luxe. Désormais l’enseigne se positionne dans le haut de gamme, et si l’« on trouve de tout » à la Samaritaine, il s’agit d’un « tout » très exclusif. 

Les débuts de ce grand magasin au tournant du XIXème et du XXème siècle furent plus modestes. Genèse d’un empire commercial, chronique d’une expansion foudroyante l’histoire de la Samaritaine nous raconte celle d’un couple Ernest Cognacq (1839-1928) et Louise Jaÿ (1838-1925) d’entrepreneurs peu communs. Le jeune Ernest Cognacq, qui peine à garder une place, s’est fait calicot sur le Pont Neuf. En 1870, il a l’idée d’installer son petit commerce de nouveautés dans la salle annexe d’un café qu’il fréquente, « À La Samaritaine ». Le succès est immédiat. Quelques mois plus tard, la véritable première boutique voit le jour en 1871 en face du magasin de la Belle Jardinière. Ernest Cognacq épouse en janvier 1872 Marie-Louise Jaÿ (1838-1925), première vendeuse du rayon des confections du Bon Marché où elle s’est initié aux méthodes commerciales d'Aristide Boucicaut (1810-1877). Ensemble, ils font prospérer la Samaritaine, échoppe d’une cinquantaine de mètres carrés à leur installation qui atteint plusieurs centaines de mètres carrés en 1874. Leur entreprise s’étend. Ils rachètent des parcelles bâties tout autour de ce premier magasin. La réfection des bâtiments est confiée dès 1883 à l’architecte Frantz Jourdain afin qu’il les réaménage pour répondre à leur nouvelle vocation. Il imagine de les relier par les rez-de-chaussée. 

Un an plus tôt, Emile Zola ami de Jourdain est en pleine écriture du nouvel opus de la série des Rougon-Macquart « Au bonheur des dames ». En quête de descriptions réalistes, il demande à l’architecte d’imaginer un grand magasin, quintessence de la modernité, et de lui fournir des plans détaillés. Jourdain formule des idées visionnaires. Il imagine une structure métallique soulignée par un décor coloré, s’attache à la luminosité du verre et en rajoute dans l’abondance des ornements. La fiction va rejoindre la réalité avec la naissance des Grands Magasins de la Samaritaine. 












Avant 1900, Frantz Jourdain procède à un réalignement des éléments disparates. La solution s’avère peu satisfaisante et les édifices trop hétéroclites pour former un ensemble cohérent. Les opérations ponctuelles pour unifier l’ilot révèlent leurs limites. Afin de favoriser l’expansion de l’entreprise, une reconstruction complète paraît nécessaire. Ernest Cognacq et Louis Jaÿ adhèrent au projet d’envergure de l’architecte, porteur de modernité. Le plan directeur d’agrandissement entre la Seine et la rue de Rivoli se précise vers 1904. L’influence de l’Exposition Universelle de 1889, le succès de la Tour Eiffel, poussent Frantz Jourdain à se pencher sur les structures métalliques. Entre 1905 et 1910, il conçoit « une construction féérique » sur les rues de la Monnaie, Baillet, de l’Arbre-Sec - partie arrière du magasin 2 - , des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois - une voie qui disparaît à l’occasion de l’extension de 1925. Manifeste architectural, professant les théories esthétiques comme pratique de Jourdain, l’édifice de conception Art Nouveau professe une vision globale d’art total. Les structures métalliques apparentes soulignées d’une peinture gris-bleuté, les décors foisonnants, les ornements polychromes font profession de foi. 

Le hall à larges baies encerclé de six étages de galeries bénéficie d’une grande luminosité grâce à l’utilisation du fer, la suppression des maçonneries, la réduction des éléments porteurs et l’emploi du verre. Le bâtiment est coiffé d’une verrière monumentale signalé par deux dômes à clocheton aujourd’hui disparus. Cuivres d’Edouard Schenck, boiseries de Janselme supprimées à la fin des années 1930, mobiliers sur mesure complètent la démarche. Sous la verrière, au dernier étage, la fresque aux paons de Francis Jourdain, le fils de l’architecte, reprend les codes couleurs de la façade. Le décor de cette dernière embrasse la profusion des motifs, la luxuriance des détails : les grés flammés d’Alexandre Bigot, les enseignes de mosaïque signées Eugène Grasset, côtoient les noms des rayons Chasse, Amazone, Uniforme, Chapeaux, panneaux de lave émaillée fleurie sur fond orangé de François Gillet. Un décor similaire se retrouve sur la façade du magasin 1 datant de 1912 côté rue de Rivoli.

Pourtant, la mode luxuriante de l’esthétique Art Nouveau passe vite, supplantée par l’épure de l’Art déco. Au début des années 1920, la direction de La Samaritaine fait l’acquisition des parcelles ouvrant sur le quai du Louvre. Dès 1925, afin de mener à bien, un projet d’agrandissement du magasin 2, les constructions du pâté de maison sont rasées. Dans le prolongement de son travail sur les structures apparentes, Frantz Jourdain imagine un bâtiment d’un modernisme radical dont l’ossature de fonte serait apparente, trouvant écho avec le magasin construit vingt ans auparavant rue de la Monnaie. Le Conseil de Paris, commission très conservatrice, s’oppose à ce projet, et manifeste la volonté de contrôler/préserver l’apparence de la ville aux abords du palais du Louvre et du Pont Neuf.











Jourdain s’associe alors à Henri Sauvage afin que celui-ci reformule le concept. Il conçoit de nouveaux plans sur lesquels la charpente métallique est dissimulée sous un revêtement de pierre selon les instructions de la direction de La Samaritaine. Sauvage s’intéresse particulièrement aux techniques modernes, notamment les constructions préfabriquées à partir d’éléments métalliques façonnés en usine. Ces pièces réalisées en amont sont ensuite montées sur le chantier. Cette organisation du travail permet d’envisager de substantielles économies en temps et en financement. En 1928, Henri Sauvage fait monter en huit jours un immeuble de six étages au 27 rue Legendre. Exploit technique. 

Grands arcs à pans et forts reliefs cubistes, l’extension du magasin 2 est achevée dans un pur style Art déco en 1928. Cette sobriété préfigure le magasin 3, élevé sur une parcelle triangulaire entre les rues du Pont-Neuf, de Rivoli et Boucher et érigé en six mois en 1932 grâce à la technique de l’usinage, du préfabriqué. Cet édifice ne comporte pas de hall central. A l’instar de l’extension sur le quai du Louvre, des dalles de marbre rose plaquées sur un coffrage de béton masque sa structure d’acier. Au début des années 1930, le magasin 2 et sa flamboyante façade Art Nouveau font l’objet de travaux décoratifs visant à épurer la surabondance des motifs qui jure avec l’édifice le plus récent. Tandis que les décors intérieurs sont en partie camouflés, en façade, un badigeon est appliqué sur les panneaux en lave émaillée. En 1980 une campagne de restauration remet à jour une partie de ces ornements. 

Lorsque LVMH rachète La Samaritaine en 2001, une nouvelle ère s’ouvre pour ce site patrimonial classé. De 2005 à 2010, le projet de grande restauration entre en phase de gestation au sein du groupe. De 2010 à 2015, la difficulté à faire valider un projet mixte, grand magasin vingt-mille mètres carrés de surface de vente mais également hôtel, treize-mille mètres carrés de bureaux, logements, entraîne une bataille juridique et de longues négociations avec la ville. Les exigences de préservation du site ne facilitent pas la tâche. Aujourd'hui, La Samaritaine Paris Pont Neuf parade parée des trois joyaux architecturaux de sa couronne, trois modules indépendants Art Nouveau, Art Déco et contemporain. Un soin particulier a été apporté à la renaissance du bâtiment Art Nouveau signé Frantz Jourdain. Le chantier mené de 2015 à 2020 sous la direction de Jean-François Lagneau, architecte en chef des monuments historiques, a rendu au magasin 2 son aspect de 1932, date retenue malgré les quelques transformations à la suite de l’extension de 1925. La conception du plus grand espace beauté d’Europe, les 34 000 m2 au sous-sol, a été confiée à Hubert de Malherbe.

En façade, les décors en lave émaillée réalisés en 1910 sur une surface de six-cent-soixante-quinze mètres de long, ont été rénovés avec une grande maîtrise. Une vingtaine de panneaux trop abîmés ou disparus, en tout quarante-deux mètre carrés, a été reconstituée par Maria da Costa l’une des dernières émailleuses sur lave. Les noms des rayons de l'ancien magasin, délicieusement anachroniques, ont été préservés. Les structures métalliques ont retrouvé leur couleur initiale, un gris-bleu déterminé grâce aux études stratigraphiques menées en collaboration avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France. La campagne de restauration a permis de rendre leurs couleurs aux peintures ainsi qu’aux divers éléments architecturaux, d’enlever les badigeons des années 1930 mais également de décaper les surfaces repeintes à l’acrylique dans les années 1980.











A l’intérieur, balustrades et ferronneries ont fait l’objet d’une restauration minutieuse. Dans le grand escalier, la dorure des garde-corps à l’or fin aura nécessité seize-mille feuilles. Les deux-cent-soixante-dix marches en chêne d'origine ont été conservées. La verrière monumentale joue à nouveau son rôle de source lumineuse. Au dernier étage, où se trouvent les grands espaces de restauration, la fresque aux paons, symbole du magasin et oeuvre de Francis Jourdain, le fils de l’architecte, a retrouvé sa délicate palette chromatique originelle. Le décor a été découpé en trois-cent-trente-six panneaux afin d’être transporté en atelier. Les supports en briques de liège fragilisés ont été rabotés, puis renforcés avec du plâtre et du métal. 

L’hôtel du Cheval Blanc sera inauguré au sein de l’immeuble d’Henri Sauvage côté Seine en septembre 2021. Le geste architectural le plus frappant demeure l’intervention de l’agence japonaise Saana sur l’un des bâtiments de la rue de Rivoli. La demande de permis de construire a été annulée deux fois avant d’être validé en 2015. La grande façade en pierre d’un édifice entièrement restructuré a été remplacée par une paroi de verre ondulée réalisé par les architectes Kazuyo Sejima et Ryūe Nishizawa. Et après un chantier de six ans le résultat est spectaculaire bien que pas exactement au goût de tous…

La Samaritaine Paris Pont Neuf
9 rue de la Monnaie - Paris 1
Horaires : Ouvert tous les jours de 10h à 20h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.