Paris : L'Escargot Montorgueil, restaurant classé aux Monuments historiques, décor Second Empire et gastéropode à l'ail - Ier


L’Escargot Montorgueil, restaurant fondé selon les sources en 1832, ou en 1836 ou bien en 1875, a acquis une solide réputation gastronomique alliant la fête et les dîners tardifs dès la Belle Epoque. Depuis cent-soixante-dix ans, le gastéropode, met aphrodisiaque selon certains, s’y déguste façon cuisine bourgeoise, beurré, à l'ail et plein d’allant, aux côtés d’huîtres dans la grande tradition de la rue Montorgueil. L’établissement jouit d’un cadre jalousement préservé depuis sa création. Les salles du rez-de-chaussée, la devanture, sa marquise, son enseigne et ses ornements ont été classés aux Monuments historiques par arrêté du 12 juin 1998. Atmosphère feutrée, lieu de mémoire intimiste, repaire hédoniste, le restaurant accueille sa clientèle dans un cadre Second Empire mâtiné d’ajouts ultérieurs Art Nouveau et Années Folles. L’entrée lambrissée avec tribune ouvre sur des intérieurs à l’avenant. Sous les lustres et les plafonds peints, carrelage d’époque, boiseries ouvragés, miroirs, verres gravés à l’acide, peintures éludoriques ou fixés sous verre, invitent à traverser le temps confortablement calé dans des banquettes de velours cramoisi. Une demi-cloison sépare en deux la salle au décor Second Empire. Derrière celle-ci se trouve un escalier en colimaçon remarquable, structure de métal peint, datant de 1900. Il mène aux trois salons privés parmi lesquels les très prisés salon Sarah Bernhardt et loge Windsor. Selon la base Mérimée, certains éléments de décor pourraient dater de 1875 notamment les plafonds à caisson, les panneaux de bois en forme de losange de la devanture en forme ainsi que les escargots en ronde-bosse de l’enseigne.








La rue Montorgueil se trouve dans le prolongement d’une ancienne voie parisienne, le chemin des Poissonniers, dit aussi chemin de la Marée. Dès 1307, les convois désignés sous le terme de « chasse-marées » transportent les produits de la mer des ports du Nord de la France, de la Bretagne ou de la Normandie, jusqu’aux Halles de Paris. L’ouverture de la porte Poissonnière dans l’enceinte de Louis XIII en 1645 modifie le parcours et raccourcit le trajet. Les huîtres d’Etretat, de Dieppe, de Fécamp, sont acheminées via la rue Montorgueil jusqu’au marché qui leur est dédié rue Etienne Marcel. 

La vitalité commerçante du quartier inspire les entrepreneurs. En 1875, Mignard et Bourreau, marchands de vin, investissent l’établissement à l’enseigne de L’Escargot d’or, angle des rues Montorgueil et Mauconseil. Les huîtres, aux vertus galantes tout comme le gastéropode, apparaissent à la carte de L’Escargot dès 1890. Le dynamisme de la rue Montorgueil où se trouve cette brasserie est le fruit d'une disposition géographique, la proximité des Halles, le grand marché parisien des denrées alimentaires fraîches. Les forts travaillent tard, se lèvent tôt. Les gargotes aux menus roboratifs suivent ces horaires décalés. Elles attirent les oiseaux de nuit, les mondains canailles et à leur suite, cocottes et autres créatures mais également les gens de théâtre en sortie de représentation, ainsi que les écrivains, poètes et artistes.
 
En 1900, Théodore Lecomte, reprend les rênes de L’Escargot. Le nouveau gérant souhaite séduite une clientèle plus élégante, plus fortunée. Il entreprend de vastes travaux afin d’améliorer le standing de son établissement. Un soin particulier est apporté au décor dont une grande partie nous est parvenue. En 1919, André Terrail, qui en 1914 rachetait déjà à Frédéric Delair la Tour d’Argent, quai de la Tournelle, se porte acquéreur de L’Escargot. François Lespinas, ancien chef du roi d'Égypte, déjà aux fourneaux de la Tour, compose la carte du restaurant de Montorgueil. En 1923, André Terrail aménage une nouvelle entrée afin de recevoir le beau monde. Il achète, en salle des ventes, le plafond peint par Georges Jules Victor Clairin pour la salle à manger de Sarah Bernhardt. Les coffrages sont remontés dans le vestibule du restaurant.

Rendez-vous incontournable, haut lieu du Paris de la Belle Epoque puis des Années Folles, L’Escargot a régalé tout autant que divertit les personnalités des arts et des lettres, le monde du théâtre puis du cinéma. Sarah Bernhardt, Marcel Proust, Sacha Guitry, Jean Cocteau, Paul Poiret, Serge de Diaghilev, Pablo Picasso, Salvador Dali se comptent parmi les habitués. Charlie Chaplin en fait même sa cantine parisienne. 





Lorsqu’André Terrail se retire des affaires, Kouikette sa fille assure la relève à L’Escargot tandis que son frère Claude gère La Tour d’Argent. Mais la brasserie de la rue Montorgueil entame un lent déclin précipité par le déménagement des Halles vers Rungis et le désamour du public pour la cuisine bourgeoise.  

En 2005, L’Escargot est à vendre.  Le chef Laurent Couegnas et Denis Jamet producteur de Yahoo Europe, fondateur de Yahoo France, s’associent afin de lui redonner vie. Peinture, menuiserie, ferronnerie, la restauration en profondeur de l’établissement lui rend son lustre d’antan. 

Au milieu des années 2010, Emmanuel et Véronique Laporte, propriétaires de plusieurs brasseries parisiennes comme Le Sans Souci ou François Felix, reprennent à leur tour L’Escargot Montorgueil. S’ils embrassent l’idée d’une cuisine française de tradition, ils n’hésitent à assumer leurs envies de modernité. A commencer par une certaine démocratisation et des additions compréhensives. Les recettes autour de l’escargot, s’y perpétuent culte et classique beurre d’ail et persil, ou plus surprenant au beurre de roquefort, au curry Madras, à la truffe, au foie gras.

Restaurant L’Escargot Montorgueil
38 rue Montorgueil / 40 rue Mauconseil - Paris 1



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris- sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Editions Hachette
Le guide du promeneur 1er arrondissement - Philippe Godoÿ - Editions Parigramme
Petites histoires de grands chefs - Albert Nahmias - Editions Hugo Doc

Site référent
Base Mérimée