Paris : Hôtel de la Marine, un palais du Siècle des Lumières ressuscité - VIIIème

 

Entre l’avenue des Champs-Elysées et le jardin des Tuileries, l’Hôtel de la Marine a rouvert ses portes le 12 juin dernier, place de la Concorde. Sous la houlette du Centre des Monuments Nationaux, l’ensemble architectural du XVIIIème siècle signé Jacques-Ange Gabriel (1698-1782), premier architecte du roi Louis XV, a été réinventé en lieu de culture propice à la déambulation. L’édifice iconique du Siècle des Lumière, vaste de douze mille mètres carrés dont la moitié ouverte aux visiteurs, sera désormais dévolu à une mission pédagogique auprès d’un large public. Ce nouveau pôle d’attractivité muséal célèbre le savoir-faire de l’artisanat français. Ancien Garde Meuble royal, Etat-major de la Marine durant deux-cent-vingt-cinq ans, lieu où fut signé le décret d’abolition de l’esclavage en 1848, l’Hôtel de la Marine émerge tout juste d’une restauration d’envergure. Durant près de quatre années, l’architecte en chef des Monuments historiques Christophe Bottineau a mené un chantier pharaonique en veillant à la conservation du patrimoine. Son aspect et ses volumes d’origine lui ont été rendus ainsi que sa splendeur perdue. Les trois parcours familiarisent les visiteurs avec l’histoire de ce palais. Le circuit des marins à travers les salons d’apparat du XIXème siècle et la loggia se combine avec le parcours des intendants du Garde Meuble de la Couronne le long des appartements privés du XVIIIème siècle, en une troisième proposition, le grand tour. Le dispositif de médiation baptisé « le Confident » fait revivre au fil de ces différentes alternatives les riches heures d’une époque fastueuse et troublée. Le casque connecté propose une expérience immersive grâce au son binaural, technologie innovante qui restitue une écoute naturelle tridimensionnelle. Les personnages illustres associés à l’Hôtel de la Marine guident virtuellement la visite théâtralisée, véritable plongée dans l’histoire du bâtiment. La cour d’honneur traversante entre la rue Royale et la place de la Concorde demeure accessible librement.












L’Hôtel de la Marine est l’un des deux palais dessinés par Jacques-Ange Gabriel afin d’habiller la future place Royale désirée par Louis XV. L’architecte chantre d’un nouveau classicisme conduit l’édification entre 1757 et 1774. Pour créer la loggia et sa vue imprenable, il s’inspire de la colonnade du Louvre. Dès 1772, le Garde-Meuble de la Couronne y prend ses quartiers. L’institution gère les collections royales, mobilier, objets d’art, armures, armes anciennes. Le second, l’Hôtel de la Monnaie, son jumeau bâti en regard sur la place Louis XV, future place de la Concorde, est devenu de nos jours un palace, l’hôtel Crillon. 

Pierre-Élisabeth de Fontanieu, intendant du Garde-Meuble de 1767 à 1784 aménage l’Hôtel dont il a la charge de sorte à pouvoir, dès 1777, ouvrir en partie les galeries au public. Le palais devient ainsi le premier musée dédié aux arts décoratifs à Paris. Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, son successeur en exercice de 1784 à 1792, prolonge la démarche. A la Révolution, le secrétaire d’Etat à la Marine, César Henri de la Luzerne, cousin de ce dernier le rejoint en ces murs et s’installe dans l’une des ailes de l’Hôtel.

L’armurerie du garde Meuble est pillée par les émeutiers en 1789. Puis dépositaires des diamants de la Couronne, l’Hôtel est cambriolé en 1792. A cette date, l’Etat-major de la Marine investit complétement les lieux. L’absence de velléités esthétiques de ce corps d’armée entraînera un nombre de modifications très limité, de sorte que ce patrimoine a été remarquablement préservé. L’Hôtel de la Marine devient lieu de représentation du pouvoir. En 1804, un grand bal est donné en l’honneur du sacre de Napoléon Ier. En 1836, la loggia sert de tribune à Louis-Philippe et sa cour lors de l’érection de l’Obélisque de la Concorde. Le 27 avril 1848, Victor Schœlcher, sous-secrétaire d'État à la Marine et aux colonies du Gouvernement provisoire, signe le 27 avril 1848 le décret d'abolition de l'esclavage. L’édifice est classé au titre des monuments historiques en 1923.











L’Etat-major de la Marine annonce son départ en 2007 vers de nouveaux locaux flambants neufs, déménagement effectif en 2014. L’avenir de l’édifice interroge. Un temps, il est question que l’Hôtel de la Marine accueille les réceptions de la République. En 2009/2010, dans le cadre d’un appel à projet lancé par l’Etat, l’architecte Jean Nouvel, Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la Culture de Jacques Chirac et le promoteur immobilier, homme d’affaires Alexandre Allard imaginent une transformation drastique dans sa contemporanéité. L’entreprise est dénoncée par Les Amis de l’Hôtel de la Marine. Olivier de Rohan et Pierre Achard alertent sur cette initiative qu’ils jugent délétères pour la préservation du patrimoine. En 2011 Nicolas Sarkozy, alors président de la République, nomme Valéry Giscard d’Estaing à la tête d’une commission, chargée de déterminer une nouvelle vocation pour le bâtiment. Proposition est faite de consacrer les salons historiques donnant sur la place de la Concorde aux collections du Louvre dans une sorte d’annexe du musée, tandis que le reste du bâtiment serait mis en location. Mais l’institution se désiste. Trop cher.

En 2015, l’Hôtel de la Marine est finalement repris en main par le Centre des Monuments Nationaux afin de créer des espaces d’exposition prestigieux où valoriser les collections du Mobilier national, de la manufacture de Sèvres ou encore du musée des Arts décoratifs. L’autofinancement - vastes bâches publicitaires en façade durant les travaux - et mécénat permettent de réunir la plus grande partie du budget d’une restauration, estimée à cent-trente millions d’euros. L’Etat verse 10% des sommes. 

Le chantier est initié en 2017 dans un respect scrupuleux du patrimoine. L’architecte en chef des Monuments historiques Christophe Bottineau collabore étroitement avec Delphine Christophe, directrice de la conservation au Centre des Monuments Nationaux. Les embellissements et aménagements contemporains suivent cette logique de valorisation. L’imposante verrière pyramidale sur la cour de l’Intendant composée par l’architecte Hugh Dutton illustre cette volonté. Les deux espaces de restauration, l’un dévolu au chef Jean-François Piège et aménagé par Dorothée Delaye, le second un Café Lapérouse décoré par Cordelia de Castellane, s’inscrivent dans une démarche idoine. 

Pour Christophe Bottineau, il s’agit de restaurer les pièces divisées, subdivisées, peintes et repeintes par les services de l’Etat-major de la Marine. A certains endroits, il est nécessaire de décaper jusqu’à dix-huit couches de peinture pour retrouver le décor d’origine, paradoxalement préservé par ces accumulations. Les faux plafonds sont enlevés. Les cloisons ajoutées au fil des ans démontées. Ce travail archéologique mettre au jour fresques murales plafonds et parquets d’origine sous les ajouts successifs du XIXème et XXème siècle. Des trésors sont découverts tel ce décor Louis XV quasiment intact derrière une cuisine en inox des années 1980. Les ornements rocaille du début de règne de Louis XV sont supplantés par les motifs néo-classiques des contemporains de Louis XVI.












Les neuf-cents pages d’inventaire de l’Hôtel du Garde Meuble concernant le mobilier servent de guide afin de meubler à nouveau les appartements restaurés. Les diverses pièces, meubles, objets divers, tableaux sont peu à peu localisées grâce au travail d’identification et de recherche auprès du Mobilier National, du château de Versailles, du ministère des Armées, du musée du Louvre, des Arts et Métiers et de la Manufacture de Sèvres. Parmi ces éléments remarquables se trouvent deux secrétaires signés Jean-Henri Riesener, illustre ébéniste de la fin du XVIIIème siècle, qui étaient dévolus à l’Elysée.  

La restauration révèle le faste des appartements de fonction habités par les deux intendants successifs chargés de la conservation du Garde Meuble royal, Pierre-Élisabeth de Fontanieu et Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray. Boiseries, fresques, décorations peintes, préservées ont inspiré Joseph Achkar et Michel Charrière en charge du réaménagement de ces espaces. Depuis trente-quatre ans, ce couple de décorateurs ressuscitent, à travers le monde, lieux séculaires et belles endormies, hôtels particuliers, demeures monumentales et palazzi. Goût de l’authentique, souci de l’historicité, refus de la frime et des modernismes high-tech, ils ont développé un style personnel qui s’attache à la révélation du patrimoine. Palazzo Bernardo à Venise, maison de Saussure à Genève, hôtel Mégret de Serilly à Paris, leurs réalisations laissent rêveur.

Afin de reconstituer les appartements privés de l’Hôtel de la Marine, ils ont assidument fréquenté ventes aux enchères et antiquaires. Les pièces du Mobilier national ont été complétées par des objets usuels, des détails aussi piquants que variés, des tissus voluptueux, damas, velours, soierie. Des chambres à coucher, aux bureaux, du cabinet des glaces à la bibliothèque privée, ils ont récréé le cadre de vie d’une société disparue à travers une quinzaine de pièces. L’illusion de la vie tout en atmosphère ouvre le champ des possible. La suggestion des présences permet de se rapprocher d’un certain quotidien, celui de l’aristocratie du XVIIIème et XIXème siècle. La reconstitution de la salle à manger, assiettes, verres, bourriches d’huîtres et coquilles vides, reliefs factices d’un repas inspiré par « Le déjeuner d’huîtres » de Jean-François de Troye, illustre le propos. Désormais, les visiteurs parcourent les galeries dont les hôtes semblent s’être absentés le moment précédent.










Plus de mille compagnons, artisans d’art, tapissiers, doreurs, ébénistes, appartenant à une soixantaine de corps de métiers ont contribué à la restauration de ce monument. Les embrasses à pompon ont à elles seules nécessité cent-cinquante heures de travail. Les lustriers ont travaillé sur trois-cents sources lumineuses. Les lustres ont été restaurés, des modèles originaux uniques créées et nombres de pièces anciennes chinées.

Le Siècle des Lumières et la technologie contemporaine font vibrer les salons de l’Amirauté. Des miroirs dansants, écrans rotatifs diffusent des vidéos pour faire revivre un bal du XIXème siècle. Le salon d’honneur dédié aux réceptions jouxte le salon diplomatique conçu en hommage à Napoléon III et son épouse Eugénie. Le salon des Amiraux redécoré en 1843 par le corps d’armée présente un dispositif numérique exceptionnel, la table des marins qui retrace les grandes expéditions de La Pérouse, Bougainville, Jeanne Barret.

Quatre-cents mètres carrés ont été concédé à la famille régnante du Qatar par bail emphytéotique de vingt ans afin qu’y soit développée une galerie d’exposition de la collection Al Thani, ensemble prestigieux d’antiquités et de bijoux. L’inauguration est prévue à l’automne prochain. Au troisième étage, les bureaux seront loués à l’antenne parisienne de la FIFA, bureaux au troisième étage. La Fondation pour la mémoire de l’esclavage occupera également des locaux. 

Jocelyn Bouraly, administrateur du bâtiment, s’est d’ores et déjà fixé pour objectif une fréquentation de sept cents mille visiteurs par an.

Hôtel de la Marine
2 place de la Concorde - Paris 8
Horaires exceptionnels jusqu'au 14 juillet inclus
Horaires : Ouvert lundi, mercredi, samedi et dimanche de 10h30 à 19h (fermeture de la billetterie à 18h15) - Mardi de 10h30 à 14h - Jeudi de 12h00 à 19h
hotel-de-la-marine.paris
Page Facebook
Fil Twitter
Galerie Instagram



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.