Lundi Librairie : Devenir quelqu'un - Willy Vlautin



A l’âge de douze ans, Horace Hopper, métis amérindien et irlandais, a été confié par sa mère, désireuse de refaire sa vie sans lui, à sa grand-mère, une vieille alcoolique irascible et raciste. En travaillant au ranch d’Eldon et Louise Reese, un couple âgé d’éleveurs de moutons, il a trouvé un nouveau foyer, une famille d’adoption. Au fil des ans, Horace a développé un goût certain pour la solitude des grands espaces du Nevada. Et puis il a un don particulier avec les animaux. Désormais âgé de vingt-et-un ans, Eldon et Louise qui le considèrent comme leur fils, souhaitent lui transmettre l’exploitation. Mais traumatisé par le rejet de ses parents, Horace ne s’estime pas digne de la confiance du couple. Doté d’un petit talent, surtout celui de savoir encaisser les coups, il rêve de devenir boxeur professionnel. Il s’imagine décrocher un titre, gagner beaucoup d’argent afin de prouver sa valeur et mériter leur amour. Pour cela il doit les abandonner, quitter le ranch, s’installer en ville à Tucson et trouver un entraîneur digne de ce nom. D’une grande candeur, Horace est rapidement rattrapé par la réalité. La loi du ring, les combines douteuses, les organisateurs de combats véreux, le cynisme de ce microcosme sportif, il va de désillusion en espoir brisé. 

Willy Vlautin, également parolier et chanteur d’un groupe de folk country, Richmond Fontaine, signe un cinquième roman dont le titre original « Don’t skip me out » est emprunté à l’une de leurs chansons. Cette fable réaliste, empreinte d’une grande mélancolie, raconte la fin du monde rural, le miroir aux alouettes des villes qui dévorent les plus fragiles. Roman d’apprentissage, entre western et histoire de boxe, « Devenir quelqu’un » embrasse le destin cabossé d’un perdant magnifique. Willy Vlautin décrypte les folles espérances de cette classe ouvrière à la marge qui caresse, malgré les difficultés, l’espoir de réussir et travaille dur pour s’en sortir quoiqu’il en coûte. La volonté farouche de se sacrifier pour y parvenir rend d’autant plus cruelles les promesses non-tenues du rêve américain. Dans ce monde sans âme, les solitudes urbaines apparaissent bien plus terribles que l’isolement de la vie rurale. Dans les rues sordides de Las Vegas ou de Tijuana, les tragédies couvent, la précarité est partout. 

Idéaliste, naïf Horace, porté par ses ambitions désespérantes, doit faire face à des épreuves sanglantes. Le caractère tourmenté et taciturne de ce brave garçon un peu paumé s’avère propice aux errances. Le personnage ne parvient pas à surmonter ses pulsions autodestructrices. A chaque ouverture, il se sabote lui-même. Son rêve de boxe, quête absurde, se révèle fuite en avant dans l’inconscience du danger ou le désir inconscient de se punir. Willy Vlautin pose un regard lucide, plein empathie et de tendresse sur ce personnage. Le couple des Reese incarne la bienveillance, la compassion, la décence. Le contraste avec les escrocs qui rôdent autour d’Horace est frappant. Eldon Reese éprouve une tendresse particulière pour ce jeune homme écorché vif, ce garçon de ferme qui écoute du heavy metal en boucle en se fantasmant roi du ring. Innocence, le gamin est galvanisé par un livre de développement personnel.

Dans un style efficace, limpidité réaliste, le romancier peint le portrait d’une autre Amérique, celle engluée dans les aléas de la crise économique, celle du racisme institutionnalisé. La jeunesse en déshérence, privée de ses racines, incarnée par Horace, a appris la honte et le dégoût de soi. « Devenir quelqu’un » questionne l’identité de ses protagonistes. Les Reese appartiennent à un monde qui n’existe plus. Et Horace souhaite se faire passer pour ce qu’il n’est pas, changer d’identité en devenant un Mexicain. Il enfile les gants, combat pour prouver sa valeur, être enfin digne de la société des hommes, être accepter. Abnégation et bonne volonté ne suffiront pas pour échapper au terrible sentiment d’échec qui le ronge. Manque de confiance en soi, impossibilité de se réinventer, lente dérive. Un ouvrage poignant 

Devenir quelqu’un - Willy Vlautin - Traduction Hélène Fournier - Editions Albin Michel Collection Terres d’Amérique



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.