Cinéma VOD : Chungking Express, de Wong Kar-wai - Disponible sur Mubi et LaCinetek


 
De jeunes policiers peinent à se remettre de leurs chagrins d’amour. Le matricule 223 achète chaque jour à l’épicerie une boîte d’ananas dont la date de péremption correspond à l’anniversaire de sa rupture. Un soir, il décide de tomber amoureux de la prochaine qui entrera dans le bar où il tente de soigner au whisky son coeur brisé. Une mystérieuse femme, perruque blonde, lunettes de soleil et trench, look à la Gena Rowlands, fait son apparition. Mêlée à des activités louches, elle est en cavale. Tous les soirs, le matricule 663 se rend au Midnight Express, un modeste snack pour commander son dîner et une salade du chef à l’intention de celle qu’il aime, hôtesse de l’air. Faye, la serveuse, écoute en boucle la chanson « California Dreamin’ » en rêvant de voyages. Lorsque le policier change ses habitudes, elle comprend qu’il a été quitté. 






En plein tournage la superproduction, « Les cendres du temps », un film de sabre à gros budget, Wong Kar-wai doit faire face à des avaries, des interruptions répétées et un budget largement dépassé. A l’occasion d’un nouvel incident qui contraint à une pause de trois mois, le réalisateur se change les esprits en réalisant « Chungking Express », oeuvre instinctive et d’une grande liberté du fait de son absence de moyens financiers. L’écriture cinématographique y est conditionnée par les réalités matérielles du tournage. L’urgence de la réalisation, caméra à l’épaule, confère aux images une fluidité étonnante. Wong Kar-wai laisse libre-cours à sa créativité, sens du montage, ellipses narratives et dynamisme de la narration.

Il capte la ville de Hong Kong, élément clé de son propre imaginaire, dans ses métissages, ses lieux les plus authentiques saisit comme des sortes de capsules du souvenir. Le cinéaste se dépêche de capturer les dernières images, avant les grands travaux de transformations menés dans les années 1990. Il laisse la trace sur pellicule de la mémoire vibrante de son enfance, la péninsule de Kowloon, les vestiges d’un quartier interlope et vétuste, rasé pour être reconstruit en 1993. Foisonnement de formes, de couleurs, le réalisateur fait appel aux sens pour rendre palpable les ambiances de la ville.

Wong Kar-wai suit les âmes errantes de cette cité fascinante au fil d’un imaginaire marqué par l’idée des solitudes urbaines, atmosphères paradoxales, poisseuses et oniriques, étranges et réalistes. Dans « Chungking Express », il donne à voir les deux rives de Hong Kong. Le premier segment du film se déroule dans les quartiers monde de Tsim Sha Tsui et Lan Kwai Fong, deux quartiers cosmopolites au sud de Kowloon. Vie nocturne grouillante, brassage des communautés et forte criminalité, apparaissent comme autant d’éléments propices à la fiction. Dans la moiteur étouffante, il saisit les rues la nuit éclairées par les néons, les stands de street food, les trafics variés, les galeries labyrinthiques, les gargotes et les hôtels louches. La seconde partie du film, prend le ferry pour l’île de Hong Kong, ses petits marchés, ses ruelles animées ponctuées d’étals, les bols de nouilles dégustés sur des tréteaux mais aussi Central-Mid-Levels Escalator, le plus long trottoir roulant du monde, les appartements minuscules, les constructions plus anciennes.



Fresque urbaine, « Chungking Express » se déploie dans un chassé-croisé entre deux histoires qui entrent en écho l’une avec l’autre. Wong Kar-wai est parvenu à faire ressentir dans les deux sections de son long-métrage pourtant très différentes, la même nostalgie prégnante, la même mélancolie liée au sentiment amoureux, le même regret de ce qui a été et ce qui aurait pu être. A chaque fois, la blessure de l’amour perdu ne guérit qu’avec l’apparition d’un nouveau sentiment, espoir naissant d’un nouvel objet d’affection. Les personnages tout en désir contenu, en candeur meurtrie et failles révélées, ne parviennent pas à franchir la barrière des non-dits. L’impossibilité d’exprimer le ressenti devient spleen introspectif. La péremption des sentiments est inéluctable. Mosaïque d’images, de sensations, la poésie du film est irrésistible.

Chungking Express de Wong Kar-wai
Avec Faye Wong, Tony Leung Chiu-wai, Brigitte Lin, Takeshi Kaneshiro, Valerie Chow, Chen Jinquan, Kwan Lee-na
Sortie le 22 mars 1995
Disponible sur Mubi et La Cinétek



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.