Paris : 26 rue Vavin, un immeuble Art Déco revêtu de céramique signé Henri Sauvage et Charles Sarazin - VIème

 

L’immeuble à gradins du 26 rue Vavin est l’oeuvre des architectes Henri Sauvage (1873-1932) et Charles Sarazin (1873-1950). Surnommé la « maison sportive », le projet originel présenté en 1910 comporte des espaces dédiés aux sports, salle d’escrime, de gymnastique, des ateliers d’artiste et une bibliothèque. Cette idée n’aboutira pas. Inauguré en 1912, le bâtiment à structure de ciment armé s’élève sur neuf niveaux. Le rez-de-chaussée est réservé à des espaces commerciaux. Sa conception selon le principe de volumes en retraits successifs, est le fruit d’un brevet d’invention déposé par Sauvage et Sarazin en 1909. Le 26 rue Vavin est l’un des premiers immeubles construits en copropriété directe à Paris. Le maître d’ouvrage, la Société des maisons à gradins, a été fondée par Sauvage et Sarazin. Les deux architectes imaginent des logements de standing, soucieux du confort des habitants. A travers cet édifice, Henri Sauvage met en pratique ses réflexions sur l’habitation en ville. Il apporte des réponses aux préoccupations hygiénistes de l’époque par la recherche de luminosité, la circulation de l’air et les plantations sur les balcons, suggérant l’idée innovante d’une cité-jardin verticale. L’influence de la Sécession viennoise se lit clairement dans la conception pionnière de cet immeuble à gradins. 











La réalisation du 26 rue Vavin - le chantier s’étend de 1911 à 1912 - préfigure visionnaire le style moderniste de l’Entre-deux-guerres. L’absence de programme ornemental sans pour autant renoncer à la dimension décorative et à la modernité du revêtement de céramique illustrent les préceptes esthétiques développés au cours des années 1920. Les carreaux biseautés de la faïencerie Hippolyte Boulenger et Cie, similaires à ceux employés dans le métro, s’avèrent d’une grande résistance et faciles à nettoyer. La pollution n’accroche pas contrairement à ce qui advient avec la pierre de taille. L’immeuble du 26 rue Vavin construit entre deux édifices préexistants respecte l’alignement de la rue, raison pour laquelle les gradins ne débutent qu’au troisième étage. Grâce aux retraits successifs, les appartements étagés disposent chacun de terrasses sans que cela nuise à l’ensoleillement.

En 1919, Henri Sauvage installe son cabinet d’architecte dans le vide intérieur généré par cette disposition en gradins. Francis Jourdain (1876-1958), peintre designer dessinateur, fils de l’architecte rationaliste Frantz Jourdain (1847-1935), y élit domicile dès l’inauguration. Plus tard, l’écrivain Paul Nizan (1905-1940) résidera rue Vavin quelques années. L’immeuble a servi de décor au sulfureux film « Le dernier tango à Paris » de Bernardo Bertolucci en 1972. Façades et toitures sont classées à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 15 janvier 1975.









Henri Sauvage et Charles Sarazin collaborent de 1898 à 1916. Ils fondent ensemble en 1903 la Société anonyme des logements hygiéniques à bon marché pour laquelle ils réalisent à Paris des immeubles de rapport empreint de rationalisme constructif à l’instar du 17 rue Damrémont dans le XVIIIème arrondissement en 1902 ou le 7 rue Danville dans le XIVème en 1904. Ils explorent la veine Art Nouveau au 22 rue Laugier dans le XVIIème en 1904 et avenue Victor Hugo dans le XVIème arrondissement la Cité Argentine en 1904 également. Ils ne renient pas une certaine esthétique académique haussmannienne avec l’immeuble du 29 rue La Boétie dans le VIIIème arrondissement en 1911. Lorsqu’ils mettent fin à leur partenariat en 1916, ils demeurent très proches.

Ténor de l’Art Nouveau, précurseur de l’Art Déco, Henri Sauvage sait entretenir, tout au long de sa carrière, une réputation d’architecte novateur. De ses jeunes années au cours desquelles il travaille sur des tentures décoratives, du mobilier en passant par les immeubles à gradins jusqu’aux préfabriqués de la maturité, il n’a de cesse de se renouveler. Sensible à l’évolution des esthétiques et féru de progrès technique, Henri Sauvage impose sa marque au gré de ses expérimentations. Rigueur constructive, audaces plastiques et rationalisme pragmatique. Néanmoins, l’éclectisme de ses propositions le rend inclassable. En 1901, il est remarqué grâce à la réalisation de la villa Majorelle à Nancy, véritable, manifeste Art Nouveau. Par la suite, Sauvage mène des projets modernistes d’avant-garde et signe dans le même temps des bâtiments conventionnels comme l’immeuble de rapport du 137 boulevard Raspail datant de 1925. Les magasins 2 et 3 de la Samaritaine à Paris (1925-1930), les magasins Decré à Nantes (1931) illustrent l’évolution de ses préceptes monumentaux, ses recherches fonctionnelles, son goût pour le décoratif et son obsession du détail.

Immeuble du 26 rue Vavin - Paris 6


Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Guide de l’architecture moderne à Paris 1900/1990 - Hervé Martin - Syros Alternatives
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 6è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Parigramme
Guide d’Architecture Paris 1900-2008 - Eric Lapierre - Pavillon de l’Arsenal