Paris : Immeubles factices et fausses façades, mystification urbanistique, trompe-l'oeil esthétique et mystère de la fonction


Derrière des façades anonymes des plus anodines, se cachent à Paris un certain nombre d’immeubles factices. Ils se fondent dans le paysage architectural de la ville embrassant une double vocation de mystification et d’urbanisme. Afin de parfaire le leurre, ils reprennent les caractéristiques du tissu urbain parisien, parfois l’extrême banalité sans grâce des bâtiments des années 1970 ou d’autres encore l’opulence des édifices haussmanniens. Dans un souci du détail, ces immeubles se parent d’éléments caractéristiques du décor de la Capitale. Portes cochères barrées de panneaux interdiction de stationner, balcons filants, fenêtres joliment ouvragées servent de couverture à ces immeubles anormalement paisibles. Ces illusions pleines de piquant dissimulent des installations techniques rarement flatteuses pour l’œil. Bouches de ventilation, diverses installations électriques, ou même parfois intervention artistique, parmi la douzaine d’édifices camouflage que compte Paris, sept appartiennent à la RATP. Ils sont liés à l’exploitation du RER développé intra-muros dans les années 1980. Puits de ventilation, ils permettent d’évacuer et de renouveler l’air des réseaux souterrains. Postes de redressement, de fournir de l’électricité aux différentes lignes. L’artifice esthétique, aussi astucieux soit-il, ne résiste cependant pas à une inspection minutieuse. Les fenêtres aveugles sont affublées de vitres opacifiées. L’absence de poignée de porte, d’interphone ou de digicode et les accès murés préservent le mystère de la fonction. Inscrire dans le quotidien des bâtiments en masquant leur activité pourtant essentielle à la vie de la cité est devenu un enjeu urbanistique.


29 rue Quincampoix - Paris 4

29 rue Quincampoix - Paris 4

44 rue d'Aboukir - Paris 2

44 rue d'Aboukir - Paris 2

44 rue d'Aboukir - Paris 2

3 rue de l'Aqueduc - Paris 10

3 rue de l'Aqueduc - Paris 10

3 rue de l'Aqueduc - Paris 10


Très ordinaires en apparence les immeubles factices de Paris titillent la curiosité par la cocasserie de la supercherie. Ces caméléons industriels trompent leur monde et passent inaperçus sans dénaturer leur environnement direct. Ils possèdent leur propre numéro, sont indiqués par la voirie parisienne et pourtant ils ne sont qu’artifice. 

Ni logements vacants, ni bureaux désertés, parfois seuls les premiers étages sont factices, couronnés par des niveaux d’habitation ou d’administration. La plupart, sept sur la douzaine recensée, appartient à la RATP qui a cherché à préserver les apparences et l’unité esthétique architecturale. Ces bâtiments sont marqués de panneaux interdiction de stationner frappés de la mention RATP accès pompier. Sous couverture, réaliste ou artistique, authentique ou postiche, ces propriétés protègent leur activité souvent avec charme.


145 rue La Fayette - Paris 10

145 rue La Fayette - Paris 10
145 rue La Fayette - Paris 10
145 rue La Fayette - Paris 10

174 boulevard Saint-Denis - Paris 10

174 boulevard Saint-Denis - Paris 10

174 boulevard Saint-Denis - Paris 10


Le mirage le plus connu, mentionné en 1988 dans le roman « Le pendule de Foucault » d’Umberto Eco, est sans conteste l’immeuble du 145 rue La Fayette. Construit en 1850, il a été évidé au début des années 1980 afin d’accueillir un puit de ventilation du RER B. La façade originelle conservée en l’état joue le rôle d’élégant masque pour une fonction des plus triviales. 

Dans la même veine, au 54 rue des Petites-Ecuries, un immeuble coquet, petit hôtel en pierre de taille qui semble partiellement occupé, accueille sur ces étages bas un poste de redressement de la RATP. Ces installations spécifiques fournissent du courant continu au métro parisien qui possède son propre réseau électrique. Elles sont gérées par l’unité TED, transformation et distribution d’énergie électrique. Chaque ligne est alimentée par plusieurs postes haute tension qui transforment le courant alternatif en courant continu. 


54 rue des Petites-Ecuries - Paris 10

54 rue des Petites-Ecuries - Paris 10

141 boulevard Diderot - Paris 12

141 boulevard Diderot - Paris 12

53 rue des Archives - Paris 3

53 rue des Archives - Paris 3

53 rue des Archives - Paris 3

53 rue des Archives - Paris 3


Même dispositif, fonction différente, au 3 rue de l’Aqueduc qui sert de puit de ventilation, seuls le rez-de-chaussée et le premier étage sont dévolus à la ventilation. Les niveaux suivants abritent des logements. Au 53 rue des Archives, à l’angle de la rue Braque, la façade plutôt neutre d’un ensemble important dissimule le sarcophage de béton où repose un transformateur EDF. Les derniers étages sont occupés. L’entreprise gère l’immeuble le moins réussi du lot, au 27 rue Bergère. Pavée d’un carrelage à peine rescapé des années 1970, cette bâtisse pas entretenue a bien triste mine. Visiblement des travaux sont en cours. Espoir d’une réhabilitation de façade. 

La tourelle de béton du 29 rue Quincampoix mise sur un autre genre. Cette cheminée de ventilation de la voirie souterraine des Halles parvient à s’intégrer dans le décor grâce au trompe-l’œil architectural peint qui a été réalisé par le muraliste italo-américain Fabio Rieti. Ce pionnier en la matière a imaginé aux fausses fenêtres de délicieuses scènes de la vie quotidienne.  


27 rue Bergère - Paris 9

27 rue Bergère - Paris 9

14 rue Duvergier - Paris 19

14 rue Duvergier - Paris 19

78 rue de la Condamine - Paris 17

78 rue de la Condamine - Paris 17

78 rue de la Condamine - Paris 17

1 rue Chapon - Paris 3


Parmi les différents immeubles camouflant des activités surprenantes, au 78 rue La Condamine se trouve un centre de traitement des données de la société Global service provider. Derrière la jolie façade de brique, se trouve un regroupement des équipements de ressources informatiques et de télécommunication géré par cette entreprise, ordinateurs centraux, serveurs, baies de stockage et équipements réseaux. 

Dans un style tout à fait alternatif, au début de la rue Chapon, un duo d’artiste, Julien Berthier et Simon Boudvin, Les Spécialistes, est intervenu en 2006, sur un pan de mur en décrochage. Ils ont créé une nouvelle adresse factice en collant une plaque de bois imitant une porte encadrée de parements, dotée d’une sonnette, d’une boîte aux lettres et d’une plaque nominative. L’oeuvre, nettoyée régulièrement par les services de la Mairie, fait désormais tout naturellement partie du paysage.

Adresses des façades et immeubles factices 

- Puits de ventilation RATP 
44 rue d’Aboukir, 2ème
29 rue Quincampoix, 4ème
3 rue de l’Aqueduc, 10ème
145 rue La Fayette, 10ème
174 rue du Faubourg-Saint-Denis, 10ème

- Postes de redressement RATP, Sous-station de traction
54 rue des Petites Écuries, 10ème
141 boulevard Diderot, 12ème

- Transformateurs EDF 
53 rue des Archives, 3ème
27 rue Bergère, 9ème
14 rue Duvergier, 19ème

- Centre de traitement de données informatiques 
78 rue La Condamine, 17ème

- Installation artistique 
1bis rue Chapon, 3ème



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.