Cinéma VOD : Mank, de David Fincher - Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried - Disponible sur Netflix

A la fin des années 1930, Herman J. Mankiewcz scénariste, script doctor rarement mentionné aux génériques des films sur lesquels il travaille, divertit les pontes des grands studios hollywoodiens de sa verve piquante. Amuseur au bout du rouleau, ces esclandres d’alcoolique lassent désormais ses anciens protecteurs. Sa carrière semble prendre un tournant fâcheux. Il est contacté pour écrire le scénario du premier film d’Orson Welles, la jeune révélation venue du théâtre et de la radio, à qui le studio RKO Pictures à donner carte blanche, passe-droit presque miraculeux à cette époque. Jambe dans le plâtre à la suite d’un accident de voiture, Mank est installé dans une maison isolée en plein désert par le producteur John Houseman, une infirmière, une secrétaire pour toute compagnie. Il a soixante jours pour boucler le script. Le scénariste en plein sevrage, cloué sur son lit par sa fracture, peine à trouver l’inspiration. Pour faire face à l’angoisse de la page blanche, il puise dans ses souvenirs mondains les clés de la future histoire de Charles Foster Kane, biopic romancé de son ancien mécène, le magnat William Randolph Hearst.






Onzième long-métrage de David Fincher, « Mank » signe son retour au cinéma après la parenthèse de la série « Mindhunter » largement saluée par la critique. Cette oeuvre cinéphile exigeante ravira les férus d’histoire, à la fois satire d’une sombre ironie sur les affres de la création et réflexion lucide sur l’industrie du cinéma hollywoodien, sur ses errements et autres liaisons dangereuses avec la politique. 

Faute de financement, le cinéaste tente vainement de monter depuis vingt ans ce scénario original signé Jack Fincher, père de David disparu en 2003. Cet objet filmique magnifique, esthétique léchée, noir et blanc travaillé, assume pleinement la recherche d’une beauté plastique séduisante. Entre la puissante nostalgie et l’évocation ciselée de la légende, cette plongée dans le Hollywood des années 1930 devient par la conviction de son auteur un hommage filial du réalisateur aux scénaristes malmenés par l’industrie. Anti-héros émouvant, personnage dont le regard ironique imprègne de son impertinence lucide le récit tout entier, Herman J. Mankiewicz, frère aîné du réalisateur Joseph L. Mankiewicz, incarne une certaine idée de la création artistique, revendication d’une liberté rarement concédée par les studios. 

Dans cet exercice de haut vol, David Fincher prend clairement parti pour Mankiewciz contre Welles.  Le dispositif filmique d’une grande sophistication formelle évoque en clin d’œil dans sa construction narrative celle du film d’Orson Welles « Citizen Kane » sorti en 1941 qui lui-même navigue entre réalité et fiction.  Le long-métrage de David Fincher s’appuie sur une théorie développée par la critique du New Yorker Pauline Kael dans son essai « Raising Kane ». Elle y minimise l’intervention de Welles dans l’écriture du scénario de son film, jusqu’à sous-entendre qu’il s’est attribué le travail d’un autre. Selon elle, le mérite reviendrait exclusivement à Mankiewicz, seul auteur des points d’originalité de cette oeuvre, l’architecture diffractée, la construction en puzzle et points de vue multiples. Cette théorie controversée a depuis largement été remise en question, démontée preuves et témoignages solides à l’appui dans plusieurs ouvrages plus rigoureux. 



Les protagonistes réels, célébrités comme grands pontes des studios, comédiens, scénaristes, réalisateurs et producteurs, Louis B. Mayer, Irving Thalberg, Marion Davies, Charles Lederer, donnent à voir les relations entre les différentes strates de ce microcosme hollywoodien. La finesse des observations et les dialogues inspirés servent un propos truffé de références. La distribution impeccable incarne avec nuance les aspérités de ces figures mythiques. Gary Oldman est magnifique dans le rôle de Mank qu'il infuse de la malice et du désespoir, d'une humanité de fissures invisibles. Profonde, nuancée, Amanda Seyfried prête ses traits à Marion Davies la maîtresse de Hearst durant près de trente ans, et rendre avec brio les différentes facettes de cette femme. Charles Dance en Hearst est également très bien. David Fincher convoque les destins individuels pour évoquer la grande histoire du cinéma. Son film donne envie de regarder « Citizen Kane » d’un œil nouveau. On aurait tort de se priver.

Mank, de David Fincher
Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Tom Pelephrey, Arliss Howard, Charles Dance, Lily Collins, Tuppence Middleton
Sortie sur Netflix le 4 décembre 2020



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.